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aleister crowley - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 592: KR'TNT 592 : KID CONGO / NORTH MISSISSIPPI ALLSTARS / DAVID BOWIE / ROCKATS / YOUNGHEARTS / TEMPTRESS / BART WEILBURT / ALEISTER CROWLEY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 592

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 03 / 2023

     

    KID CONGO / NORTH MISSISSIPPI ALLSTARS

    DAVID BOWIE / ROCKATS

    YOUNGHEARTS / TEMPTRESS

    BART WEILBURT / ALEISTER CROWLEY

      ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 592

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     Congo à gogo - Part Three

     

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             Il l’a échappé belle, Kid Congo. Au lieu de le baptiser Kid Congo Powers, Lux aurait pu choisir Tintin au Congo. Ou gros Congo. Les possibilités sont infinies dès lors qu’on donne libre cours à sa fantaisie.

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             Paraît ces jours-ci l’autobio de ce gros veinard. L’Omnibus se présente sous jaquette grise et verte avec la belle photo vendeuse et insidieuse à la fois : le Kid ressemble à un sex toy. Impression déplaisante. Ni Bryan Gregory ni Jeffrey Lee Pierce ne ressemblaient à des sex toys. C’est la première entorse. La deuxième arrive sous la forme d’une préface signée Jon Savage qui comme d’habitude recentre tout sur la culture gay. On n’est vraiment pas là pour ça.

             On est là pour Jeffrey Lee Pierce. Ça tombe bien car le Kid en fait le héros de son book. Il n’en finit plus de le remythifier. Il utilise pour ça un style extrêmement puissant, une sorte de rockalama stylistique que connaissent bien les gens qui l’ont vu sur scène avec les Pink Monkey Birds : entre chaque morceau, le Kid harangue les harengs d’une voix de mère maquerelle déboutonnée qui aurait encore des charmes à vanter, c’est un délicieux entremetteur, doté d’un sens suraigu du contact avec les gens. Il écrit de la même façon, en tirant bien ses phrases pour les rendre plus musicales, et ça donne des pages d’antho à Toto. On sent même parfois que ça l’amuse de rouler ses formules dans la farine, comme par exemple lorsqu’il évoque Lance Loud, le chanteur des Mumps - Lance was square-jawed, tall and athletic, like a queer Clark Kent, but also nervy, sensitive and articulate. The cherry on top was that he loved the Kinks, who were my favorite of the British Invasion bands too - C’est merveilleusement tourné et bien hérissé de syllabes qui claquent. Pour dire la druggy routine, il a ce genre de formule : «From then on, our home became legendary in the annals of the LA underground rock scene as a 24/7 party house. Debauchery and hijinks, fueled up by a never-ending diet of drugs and alcohol, were our daily bread.» Rien de tel qu’une belle langue rock pour lécher la cuisse de Jupiter.

             C’est Jeffrey Lee qui vient trouver le Kid un soir d’août 1979, alors qu’il poireaute devant le Whisky A Go Go pour aller voir Pere Ubu. Jeffrey Lee porte un «white vinyl trench coat». Le Kid ne sait pas trop si c’est un coup de drague, en tous les cas il se demande «who is this completely strange creature». La strange creature se présente : «Hi I’m Jeff». Les dés sont jetés. Les roues dentées du destin s’ébranlent.

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             Le Kid connaît Jeffrey Lee de vue. C’est un client de Bomp!, la boutique de Greg Shaw où bosse le Kid. Jeffrey Lee fouine dans les bacs de British punk et de reggae imports, dans les red de rockab et de r’n’b. Le Kid sait que la strange creature est un homme de goût, puisqu’il achète des maxis de Burning Spear - He was something else, something indefinable, a weird mix of things. But I couldn’t make heads or tails of what he was from the way he dressed. He had four different looks going on at once. That was another plus for me. I liked confused identities - Le Kid sait aussi que la strange creature écrit dans Slash, qu’il chronique du reggae et qu’il est même allé aux sources, avec un séjour en Jamaïque. Alors, ce soir d’août devant le Whisky, Jeffrey Lee lui dit : «You should be in a band with me.» Le Kid lui répond qu’il n’est pas musicien, alors Jeffrey Lee lui dit qu’il peut chanter. Hors de question ! Pas de problème. Jeffey Lee lui dit : «Ok well, I’ll be the singer and you can be the guitar player.» Le Kid proteste encore et Jeffrey Lee finit par le convaincre en lui apprenant à jouer en open E tuning : «That’s how the blues musicians play slide guitar. You can play chords with one finger.» Comme le Kid est une feignasse, ça lui plaît.

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             Et pouf c’est parti. Jeffey Lee travaille déjà son «black-suiter Night Of The Hunter look», son look de prêcheur fou à la Mitchum. Il donne au Kid une cassette sur laquelle il a enregistré le Gunslinger de Bo Diddley et lui dit d’apprendre à gratter en l’écoutant. Ils répètent à Reseda, chez Margie, la mère de Jeffrey Lee. Ils commencent par taper des reprises, le «Gunslinger» de Bo, la cover de «People Get Ready» par Burning Spear, le «Sleeping Into Darkness» de War. Le Kid qui ne sait toujours pas accorder une guitare sait par contre comment il veut sonner : comme Bryan Gregory, ou Pat Place des Contorsion, ou encore Lydia Lunch dans Teenage Jesus & The Jerks. Mine de rien, le Kid nous installe au cœur de l’underground américain - Jeffrey Lee comprenait parfaitement la corrélation qu’on cherchait à établir entre le son qu’on cherchait et ce que les Cramps et les Contorsions faisaient déjà, avec leur passion pour le rockab, la psychedelia et le free jazz, Albert Ayler et James Brown, mais avec une volonté de tout exploser pour créer une nouvelle énergie, a new musical langage - On est là au cœur de l’un des process créatifs les plus probants du siècle passé : la genèse du Gun Club - I had to sound horrible and humble around until the sound started to fall into place. But we knew the idea was king - On aurait presque envie de serrer la pogne du Kid pour ça. Il a raison, seule l’idée compte. Il a cette chance monstrueuse de fréquenter l’artiste le plus complet de son époque. Ce sont des pages qu’on savoure et qu’on peut relire, comme on réécoute en boucle certaines chansons qui donnent des frissons - Jeffrey was much further ahead than all of us. Il avait déjà écrit des chansons - Ils font une ramshakle version du «Tombstone Blues» de Bob Dylan, et puis un jour, Jeffrey Lee sort de sa manche «this ‘60s garage-punk-type song he’s written called ‘Sex Beat’.» Le Kid nous donne absolument tous les détails de cette genèse - We took drugs and drank and drank. A group mind was formed through intoxication, and somehow music, and a vision for it, was born out of that - Ils commencent par s’appeler Creeping Ritual, «because we thought that’s what the music sounded like. Dr John’s Gris-Gris album was a big influence.» Tout est fabuleusement distillé dans leurs cervelles de camés visionnaires - Everything was miraculous to us, every step, every advance we made. Slowly, it all started to take shape and make sense - C’est là, à cet endroit précis, qu’on réalise vraiment à quel point le Kid est un gros veinard et à quel point il écrit bien. Chacune de ses phrases sonne juste, car chargée de sens, comme l’est la genèse du Gun Club. Le Kid nous fait revivre ce prodigieux process en mode work-in-progress. Un step by step, dirait un consultant en nouvelles technologies.

             Ils jouent encore un mishmash d’influences, «country music and murder and gunfighter ballads we loved, cut through with R&B and Jeffrey’s obsession with reggae.» Keith Morris leur dit que Creeping Ritual sonne trop gothique. Il leur propose d’autres noms, Ass Festival ou encore Sand Niggers. Ils optent pour Gun Club. En échange du nom, Jeffrey Lee file une chanson à Morris, «Group Sex» qui finira sur le premier album des Circle Jerks.

             Non seulement Jeffrey Lee sait exactement comment doit sonner le Gun Club, mais il sait aussi ce qu’il doit faire sur scène. Il peaufine son look de Reverend Harry Powell, the evil rock’n’roll preacher. Le Gun Club veut détruire la musique pour la recréer - Live, we wanted  to be offensive and conjure up bad vibes. We were huge Dr. John fans. Bad juju was the only kind of juju for us - Jeffrey Lee se pointe sur scène avec une bible qu’il jette à terre, qu’il piétine et qu’il frappe à coups de chaîne. Ils se font virer des clubs, mais deviennent célèbres. Après le départ de la première section rythmique, Jeffrey Lee embauche Terry Graham et Rob Ritter, la section rythmique des Bags qui viennent de splitter.

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             Pour que les choses soient bien claires, Jeffrey Lee donne à chacun des membres du Gun Club une cassette sur laquelle il a enregistré le «My Brand Of Blues» de Marvin Rainwater, le «Big Iron» de Marty Robbins, le «Somebody In My Home» de Wolf, le «Ballad Of Hollis Brown» de Dylan et le «Prodigal Son» des Stones. Il voulait que le Gun Club soit une «combination of every element of these songs.» Le Kid est fier de son son, «the no-wave aspect of my guitar playing mixed with the country, rockabilly, Bo Diddley and blues influences.» C’est lui, le Kid, fier comme un paon, qui compose «For The Love Of Ivy». On le revoit jouer ça à la Boule Noire. En concert, Jeffrey Lee se met à hurler - this horrible howling - un Jeffey Lee qui joue en permanence sur les deux tableaux, «light and dark, perversion and charm», le Kid dit aussi que les gens qui l’aimaient voulaient aussi le tuer. En concert, le Gun Club reste volatile et complètement imprévisible.

             Tout va bien jusqu’au jour où les Cramps proposent la botte au Kid. Troublé, le Kid en parle à Jeffrey Lee - I don’t know what to do. The Cramps want me to join them and I’ll have to leave the Gun Club - À quoi Jeffrey Lee répond : «Are you insane to even ask? Of course you should join the Cramps.» Supra-intelligent, Jeffrey Lee lui donne sa bénédiction.

             Promu guitariste des Cramps, le Kid ne perd cependant pas son mentor Jeffrey Lee de vue. Il voit que Jeffrey Lee en bave. Impossible de stabiliser le line-up : 5 changements de line-up en 3 ans. Le Kid accepte de donner un coup de main en remontant sur scène avec son vieux poto. Mais ça ne plaît pas à Lux & Ivy qui réagissent comme des gros cons : «You can’t do that. You’re in the Cramps. The Cramps don’t do that.» Ils ont un petit côté stalinien. Tu dois rester dans la ligne du parti. C’est Ivy qui appelle le Kid en septembre 1983 pour le virer. Le Kid le prend bien : «I was taking enough drugs that being fired didn’t affect me emotionnally either, other than thinking, Ugh I’m out of a job.» Incidemment, le Kid montre toute la différence qui existe entre Jeffrey Lee et les Cramps. L’un réagit bien, les autres réagissent mal.

             Le Kid revient donc dans le Gun Club qui a déjà enregistré deux albums. Jeffrey Lee et lui reprennent leurs habitudes, ils écoutent de tout. Ils commencent à bosser «a noisy free-form interlude based on Pharoah Sanders’s ‘The Creator Has A Master Plan’». Jeffrey Lee va même aller jusqu’à jouer à la trompette sa version d’«A Love Supreme», a wild, free-form noise jam, que le public ne supporte pas. Il ne savait pas jouer de la trompette, mais ça amusait le Kid de le voir déconner - He was that type, the typical rock-guy, brillant and fun - Jeffrey Lee va même faire le con sur scène avec une machette, les gens flippent mais on leur dit en rigolant qu’il ne faut pas s’inquiéter, «Oh it’s just Jeffrey’s sword !», il est en effet obsédé comme Tarentino par les films japonais, par les combats de Samurais, il connaît bien l’historique des guerres, son film préféré est Apocalypse Now qu’il revoit encore et encore. Quand il commence à prendre du poids et à porter un bandana, les gens disent qu’il ressemble à Marlon Brando, dans Apocalypse Now, tout cela restait extrêmement amusant, dit le Kid, «sauf quand on se retrouvait à bord d’un tour bus avec le Colonel Kurtz on a journey into his own heart of darkness.» C’est l’époque où Patricia Morrison fait partie du groupe. Pendant une tournée anglaise, Terry Graham et Jeffrey Lee deviennent fous, out of control - Patricia and I realized we were sick of Jeffrey too - Mais il leur reste encore une tournée en Australie. Jeffrey Lee est défoncé en permanence. Pourtant le Gun Club est bien établi en Europe, nous dit le Kid - On aurait pu maintenir le groupe indéfiniment, mais on n’en voyait pas l’intérêt. On allait finir par se haïr les uns les autres. Alors je suis allé voir Jeffrey pour lui dire que le mieux était d’arrêter le groupe and all move on - Plutôt finir sur une bonne note qu’une mauvaise, pas vrai ? En fait, le Kid dit qu’ils ont viré Jeffrey Lee. Le Gun Club a continué sans lui, «me, Patricia and Desi Desperate», un trio qui allait devenir Fur Bible.

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             Le Kid adore le nom - it sounded like a word-virus from the mind of William Burroughs. I took to it straightaway - Comme front man, ils veulent Tex Perkins, que le Kid a rencontré en Australie et qui va monter un supergroupe, The Beats Of Bourbon, avec Spencer P Jones des Johnnys et Kim Salmon. Mais le plan Tex Perkins ne marche pas. C’est donc le Kid qui va devoir chanter. Comme on s’attend à ce que Fur Bible fasse du Gun Club, ils optent pour «Captain Beefheart as our lodestar», avec une image «heavily gothic». Le mini-album de Fur Bible sort sur New Rose en 1985, et nous l’avons épluché dans un Part One qui faisait suite au Cosmic de Bourges en 2014.

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             Puis le Kid va accompagner The Legendary Stardust Cowboy sur une tournée, un loustic qu’il appelle the Ledge - Même si tu as déjà joué avec Lux Interior et Jeffrey Lee Pierce, rien n’aurait pu te préparer à jouer avec the Ledge. En tant que musicien, je n’ai jamais rien éprouvé de tel. The Ledge n’avait aucun sens classique de la mélodie ou du rythme. Il vivait dans son propre monde, musical or otherwise - Et le Kid ajoute : «The Legendary Stardust Cowboy wasn’t an alter ego: it WAS him.» Il faut se souvenir que Bowie le prit avec Vince Taylor comme modèle pour Ziggy Stardust - He was the real deal. The outsider’s outsider - Sur scène, ça donne des cuts qui sont des free-form rockabilly jams, le Kid ajoute que «the Ledge’s childlike insanity was infectuous.» Tout le monde se fout à poil sur scène, sauf Patricia qui passe du statut de «goth ice queen» à celui de «country-and-western drag queen with a giant blond Dolly Parton wig and dark sunglasses.» Le Kid parle de cette tournée comme d’un crazy, weird phenomenon.

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             Comme Jeffrey Lee a de nouvelles chansons, le Gun Club se reforme. Il cultive une nouvelle obsession : le fitness. D’où les survêtements. Et comme il vient de rencontrer Romi Mori, son obsession pour les films de Samurais s’aggrave. Ils enregistrent Mother Juno à cette époque. Nick Sanderson bat le beurre. Et Romi passe à la basse. Jeffrey Lee découvre les Cocteau Twins et tombe amoureux de leur son. Le Gun Club enregistre Mother Juno au fameux studio Hansa de Berlin. À l’époque, le Kid joue aussi dans les Bad Seeds, et il se retrouve pris entre deux feux - I was caught between le devil and the deep blue sea. Between Nick Cave and Jeffrey Lee Pierce. Both immeasurably brillant and tortured artists, both extremely fucked-up, high-maintenance individuals - Toujours cette fabuleuse rockalama stylistique, en une seule phrase le Kid sait dire la grandeur oscillante de ces deux artistes. Et puis il revient sur ce lien fondamental qui l’attache à Jeffrey Lee - Jeffrey had me. And I had Jeffrey. Whether I liked it or not. We had something of a codependant relationship. We needed each other. When Jeffrey was at his worst, I did my best to protect him - Le Kid n’en finit plus de rappeler que Jeffrey Lee avait besoin qu’on s’occupe de lui en permanence et en même temps, il rendait la vie impossible aux gens qui l’aidaient. Il va trouver un toubib qui lui annonce qu’il a chopé une cirrhose. Plus il se sent mal et plus il déprime. Le Kid essaye de décrocher, mais la fréquentation de Jeffrey Lee rend toute tentative impossible - He was drinking heavily - Pire, il prend énormément de poids. Le Gun Club repart en tournée en Californie et cette tournée donne la nausée au Kid, car ils jouent dans les mêmes «underground rock clubs» qu’il y a 5 ans, and the time before, and the time before, il prend bien soin de répéter pour mettre l’accent sur l’aspect tragiquement routinier des choses - Nothing had changed - Le Gun Club n’est toujours pas reconnu en Californie. Et Jeffrey Lee a entamé son ultime descente aux enfers.

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             Le groupe enregistre Pastoral Hide & Seek à Bruxelles. Jeffrey Lee rentre d’un voyage au Vietnam et dit à qui veut bien l’entendre qu’il a été mordu par un insecte dans la jungle et qu’il a chopé une maladie exotique très rare - He was incredibly sick - Et plus sa cirrhose s’aggrave, plus il déprime - Back on heroin, and a wreck, Jeffrey had become a handful and impossible to be around - Romi ne peut plus l’encadrer. Voyant qu’elle prend ses distances, Jeffrey Lee commence à la manipuler pour la récupérer, nous dit le Kid. C’est là qu’elle démarre une relation avec Nick Sanderson. Jeffrey Lee tombe sur le pot aux roses. Fin de l’histoire. Romi va épouser Nick et lui donner un fils. Jeffrey Lee boit comme en trou et passe son temps dans un pub de West Kensington. Comme il drague la poule d’un client du pub, il se fait virer à coups de pompe dans le cul. Il rentre chez lui chercher le sabre de samouraï que lui a offert Chris Stein et revient dans le pub en faisant siffler la lame au-dessus de sa tête. Le patron parvient à le plaquer au sol pour le neutraliser. Jeffrey Lee est embarqué par les condés puis expulsé aux États-Unis. Le voilà de retour au bercail, back on heroin and drinking heavily. Il traîne au Viper Room, le club de Johnny Depp qui est un fan du Gun Club. Le Kid l’y voit régulièrement, mais il garde ses distances, car dit-il, il ne veut pas que Jeffrey Lee sache qu’il est lui aussi back on heroin.

             Pour la dernière reformation du Gun Club, Jeffrey Lee engage une certaine Elizabeth Montague pour jouer de la basse. Jeffrey Lee revient d’un voyage au Japon et le Kid est choqué de le revoir bouffi, complètement difforme, «même sa tête semblait deux fois plus grosse qu’avant.» Sur scène, Jeffrey Lee porte un imper et un béret noirs, «looking like a cross between a Nazi officer and a French philosopher. It was pure Jeffrey Lee Pierce showmanship.»

             Dans son dernier chapitre, le Kid rend un ultime hommage à son mentor - Jeffrey was my alter ego and opposite number, my counsel and my inspiration, my antagonist and irritant. We were different in so many ways but somehow the same - Le Kid se souvient d’avoir vu naître la légende de Jeffrey Lee Pierce, le strange creature venu le trouver dans la file d’attente devant le Whisky A Go Go et qui devint «a vengeful, blasphemous orator - part preacher, shaman, and orisha, part provocateur and trickster.» Le Kid se dit fier d’avoir été sur scène avec lui «at the very first Gun Club show and the very last. Those seventeen years shaped the course of my life to date.» Ce dernier chapitre est tellement bien écrit, tellement intense, tellement chargé de légende qu’il donne le vertige. On mesure vraiment l’amitié qui liait ces deux hommes, une amitié qui fut le fil rouge dans l’histoire du Gun Club, l’un des quatre groupes les plus fascinants de l’histoire du rock américain, avec les Stooges, les 13th Floor et le Velvet. 

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             Le plus drôle de l’histoire, c’est que le Kid est en permanence attiré par les gens fascinants. Il commence de bonne heure avec les Ramones, dont il monte le fan club californien. Il s’habille comme eux, en jean, perfecto et baskets. Il a déjà vu les Dolls sur scène, mais c’est les Ramones qu’il préfère, «faster and funnier than anything I could have imagined.» Et il ajoute, extatique : «The Ramones were my first addiction, my first rush.» Il flashe un peu plus tard sur les Screamers, «the most original band in Los Angeles. Already fully formed in concept and presentation, they were a future shock in sound and image. Leur musique était un carnage discordant de distorted synths, keys, drums and the painted yowl of Tomata du Plenty qui était indiscutablement adorable et charismatique mais aussi très certainement complètement cinglé.» Le Kid s’installe à une époque dans un immeuble nommé the Wilton Hilton où vivent les Screamers. Tomata dit au Kid qu’à l’époque où il s’y est installé, il a trouvé un immense pentagramme peint sur le plancher du living room. Le Kid découvre la collection de disques des Screamers : Mae West, Nico, Neu!, et pas mal de Kraut. Tomata devient en quelque sorte le premier mentor du Kid. Il l’emmène voir les films de Dario Argento et de Douglas Sirk. Le Kid découvre aussi les racines de Tomata : le théâtre underground & the drag scene de Seattle, la pre-punk scene de New York et les Cockettes de San Francisco. Tomata a aussi monté un proto-punk band à Seattle, The Tupperwares.

             Le Kid réussit à aller voir les Pistols au fameux concert du Winterland organisé par Bill Graham. Il est fasciné par «l’in-person live-wire charisma» de Johnny Rotten. Qui ne le serait pas ? Quand il séjourne à New York, le Kid atterrit chez Lydia Lunch qui l’incite à gratter sa gratte. Gratte ma gratte, darling. La scène se déroule juste avant la rencontre avec Jeffrey Lee. Le Kid n’a jamais approché une gratte. Lydia lui dit qu’elle non plus, mais elle gratte sur scène. Elle se fout de savoir jouer, elle gratte ses poux. Elle fait du primitive noise. Alors le Kid gratte n’importe quoi pendant que Lydia fait n’importe quoi à la batterie - It was a lot of fun - Teenage Jesus & The Jerks étaient certainement le groupe new-yorkais le plus avant-gardiste de cette époque.

             Oh et puis il y a aussi les drogues, quasiment à toutes les pages. La Kid adore la dope. Ses souvenirs d’acid trip sont des chefs-d’œuvre de narration psychédélique, ses pages sont dignes de celles d’Henri Michaux. Le Kid décrit par exemple une soirée sous acide avec la bande de Bryan Gregory. Il se retrouve dans un bar assis en face de Crocus Behemot - The Rolling Stones’ «Beast Of Burden» was blaring on the jukebox. I looked at Crocus and  wondered, «What am I doing in a country-and-western bar with Jackie Gleason ? - Puis tout la bande s’en va finir la soirée chez Bryan Gregory, dans le Bowery - Things got even weirder - Gregory passe les menottes à l’une des filles de la bande et l’enferme dans une cage. Tout le monde est sous acide. Le Kid prend soin d’expliquer que Bryan vit dans l’un de ces appartements qui sont «underneath the sidewalk, with metal doors that shut with a padlock, like the storeroom of a deli.» Chaque mot épaissit encore le mystère de la scène. Dans ce book, les acid trips sont étranges, même dangereux. Le Kid raconte aussi son premier shoot d’hero, il dit que c’est comme dans la chanson du Velvet et le mec qui l’initie lui explique qu’on peut se contenter de ce qu’il appelle the cottons, c’est-à-dire le bout de coton à travers lequel on siphonne le liquide, et comme il ne peut pas s’en empêcher, le Kid cite «an urban legend about someone who had done Johnny Thunders’s cottons and OD’d.»

             Il parvient à se désintoxiquer, mais il replonge à la première occasion - Instantly. The familiarity (...) This is who I am. This is how I want to feel. Nothing. Problem solved. Heroin is so insidious in that way. I was hooked again. Stupid me - Comme déjà dit et redit, c’est extrêmement bien écrit. Le Kid est une sorte de Thomas de Quincey des temps modernes. Il a le privilège d’avoir exploré les gouffres, comme le fit Henri Michaux, et donc il est habilité à en parler. Il auréole sa légende de littérature. Ou si tu préfères, il auréole sa littérature de légende. D’une certaine façon, il est aussi wild as fuck que le fut William Burroughs. Dopé et ancré dans le vrai monde, un monde qu’il donne à voir à travers ses yeux. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut approcher Jeffrey Lee Pierce d’aussi près. On en prend de la graine. Au propre comme au figuré.

             Le Kid grandit à La Puente, une banlieue chicano de Los Angeles. Sa première initiation lui vient des Shangri-Las - If being bad was cool, I wanted to be bad. Not bad-bad, just good-bad, but not evil, as the Shangri-Las put it - Puis il flashe sur le «Short Shorts» des Royal Teens - Some of the first words I ever spoke were from that song : «Ooh man dig that crazy chick» - Bambin, le Kid a déjà du style. Il sait se mettre en scène. Il est admirable à tous les égards. Sa copine Elaine lui fait écouter Laura Nyro, et il lui fait écouter Jimi Hendrix. Mais il n’est pas attiré par les femmes. À 14 ans, il flashe sur le glitter-rock, puis sur Zappa et ensuite Captain Beefheart. Il finit par découvrir le pot aux roses : Dr Demento. Il voit les Dolls en 1974 au Roxy. Il entre enfin par la grande porte dans la légende de Los Angeles, c’est-à-dire l’English Disco de Rodney Bigenheimer, the Mayor of Sunset Strip comme l’appelait Kim Fowley. L’English Disco est le point central de la culture californienne des années 70, «the ultra-hip teen mecca that only played the latest British imports.» Et boom, le Kid se prend le glam en pleine poire, «Tiger Feet» de Mud, et boom «Blackbuster» de Sweet, et boom «48 Crash» de Suzi Quatro. Et kaboom avec David Bowie, «a rock star of course, but androgynous to the extreme - both asexual and openly hedonistic.» Et boom, L’International Heroes de Kim Fowley. Le Kid évoque aussi Phast Phreddie Patterson et son zine Back Door Man qui est orienté mostly Detroit pre-punk, mais qui présente aussi des groupes locaux comme les Motels qui au début avaient un son plus primitif, «and the Imperial Dogs, Don Waller’s band, who had a hard-edged Stooges/MC5 sound.»

             Et puis voilà les Cramps. Le Kid les voit comme un groupe «sexual, visceral and raw.» Il les trouve même «magical et shamanic». En 1980, les Cramps s’installent à Los Angeles et viennent trouver le Kid chez lui, au Wilton Hilton. Comme Bryan Gregory s’est barré, ils n’ont plus de second guitariste. C’est cette femme qui porte bien son nom, Poison Ivy, qui lui pose la question : «What would you sacrifice to be in the Cramps ?». Le Kid ne comprend pas. Alors elle lui demande s’il est prêt à se couper un doigt pour jouer dans les Cramps. Le Kid ne comprend toujours pas, d’autant plus qu’il est censé jouer de la guitare - But what the hell, it was only one finger. I had ten - Alors il dit oui, I think I would. C’est bon. Ivy lui dit qu’il est embauché - It was that easy. Ils m’ont même laissé mon doigt - Mais il doit abandonner sa liberté et le Gun Club. Total allegiance. C’est là qu’il soumet le problème à Jeffrey Lee qui lui donne sa bénédiction.

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             Lux le baptise Congo Powers et le Kid vient de Kid Thomas, «a crazy screaming rhythm-and-blues piano stomper from New Orleans», un peu à la Esquerita, avec la pompadour et la pencil mustache, ce qui donne au final Kid Congo Powers. Il faut maintenant revoir le look. Les cramps sont dans le black, tiki culture and voodoo. Le Kid se retrouve en turban avec un collier d’os - I looked like a voodoo guru, the Maharashi Screamin’ Jay Hawkins - Pas facile d’entrer dans les godasses d’un mec aussi iconique que Bryan Gregory, baby. Le Kid parle d’un «scary sexual cocktail of androginy and machismo, like a weird cross between Boris Karloff and a leather daddy.» Comme Lux est un shaman, almost pansexuel, le Kid est peinard. Lux n’est pas homophobic. De toute façon, les Cramps sont au-delà de nos petites catégorisations. Ils cultivent la perversion - The Cramps embraced perversion, in all its facets and in the best possible way - C’est Ivy Poison qui donne les instructions techniques au Kid. Elle supervise sa formation professionnelle. Elle veut que sa gratte sonne comme un klaxon de bagnole - Think of it like a horn - Hoink hoink ! Et le solo doit sonner comme un wild sax solo. Alors, bête et discipliné, le Kid sonne comme un klaxon. Hoink hoink ! Le coup de klaxon en intro du «Bacon Fat» d’Andre Williams sert de modèle. Le Kid découvre que les Cramps misent tout sur le rythme qui est la clé, comme chez Bo Diddley, c’est lui qui permet de déployer «that wild unbridled sexual power qui sous-tend tout le grand rock’n’roll».

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             Pour son premier concert avec les Cramps, le Kid se retrouve à New York, le soir où John Lennon se fait buter. Puis ils vont enregistrer leur deuxième album Psychedelic Jungle au studio A&M de Los Angeles. Ils veulent un son plus swampy et sexual que sur le premier, enregistré à Memphis avec Alex Chilton. C’est une très grande page de la rock culture que nous pond le Kid avec le récit de cet enregistrement. Il indique que tout était magical and ritualistic - Nous avons décidé de rester éveillés aussi longtemps que possible, pas en prenant des drogues, mais en se privant de sommeil, juste pour sortir de nous-mêmes et laisser la musique prendre le contrôle, histoire de pouvoir jouer à l’instinct, pas de façon intellectuelle. Nos animalités allaient driver notre créativité - L’idée sonne comme du pur Lux - To achieve otherness, you have to become ‘other’. We became a spectral presence, almost like ghosts - Ils jouent sur des petits amplis turned up to the max. Sur «Beautiful Gardens», ils jouent et jouent et jouent et jouent le même riff until we couldn’t feel ourselves. It was intended to be a psychedelic-shamanistic-ecstatic conjuring.» Le Kid raconte aussi comment Lux est venu à bout du «She Said» d’Hasil Adkins qu’il n’arrivait pas à chanter correctement : en s’enfonçant un gobelet en plastique dans la bouche.

             Un jour sur scène, les cheveux du Kid prennent feu et Lux présente le Kid au public : «We present you Kid Congo, the burning bush !». Mais il n’y a pas que des bons côtés dans les Cramps. C’est d’abord un couple, avec tous les problèmes que ça peut poser aux autres. On ne discute pas dans les Cramps, on ferme sa gueule. C’est le couple qui décide, comme le dit aussi Gary Valentine de Blondie. Personne n’est associé aux décisions. Rien n’est pire que d’avoir un couple dans un groupe. C’est une sorte de malédiction.    

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             Le Kid ne parle pas trop des Pink Monkey Birds dans son book. Apparemment, le groupe est toujours en activité, même si le dernier album date de 2016 : La Areña Es La Vida. On y retrouve le son très rythmique de premiers Pink Monkey Birds. Le Kid poursuit sa longue exploration des genres avec, il faut bien le dire, un certain bonheur. Il fait par exemple du petit garage congolais dans «Coyote Conundrum». Il en profite pour dire n’importe quoi, ses paroles n’ont pas vraiment de sens - We get a bomb bomb/ l’amour toujours - Ça fait partie du jeu. Avec «Magic Machine», le Kid s’amuse à s’énerver et il joue avec les mots - I am drug today/ I am love today/ I am here to play/ I am drunk you say - Il n’a pas grand chose à dire, en vérité, tout est dans l’interprétation. On sent bien le sulfure du vétéran de toutes les guerres. Et voilà un cut à Kiki le bassman, «Ricky Ticky Tocky», départ au riff mécanique et c’est parti mon Kiki. Ce mec est très précis, il ne varie guère son jeu. Le groove hypno servi frais et serré est le vrai son des Pink Monkey Birds. En B, on trouvera un joli groove congolais intitulé «La Arena», avec la belle intro du mec qui descend faire un tour en ville et qui se casse la gueule, what the hell, il ouvre les yeux et que voit-il ? Une araignée qui lui grimpe dessus. Le Kid sait raconter les histoires. C’est un conteur né.

             Par contre, pas un mot sur les Knoxville Girls dans le book.

    Signé : Cazengler, gros con go !

    Kid Congo Powers. Some New Kind Of Kick. Omnibus Press 2022

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. La Areña Es La Vida. In The Red Records 2016

     

     

    Les gars du Nord - Part Two

     

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             Quelle chance ils ont eu Luther et Cody d’avoir un père comme Jim Dickinson ! Franchement, ça fait rêver tous ceux qui ont eu un père pas terrible. Luther a pu apprendre la guitare, le piano et le chant. Son petit frère Cody est devenu un excellent batteur. Ce sont quand même des métiers autrement plus intéressants que ceux de banquier ou de dessinateur industriel. Daddy Dickinson devait aussi leur raconter des histoires fabuleuses, le soir avant de dormir. Il évoquait probablement ses souvenirs de Betty LaVette, de Carmen McRae ou de Jerry Jeff Walker, d’Aretha, de Billy Lee Riley ou d’Alex Chilton, tous ces gens qu’il accompagnait à Memphis ou ailleurs, en Floride, par exemple, au fameux studio Criteria. Il devait leur parler aussi longuement de l’extravagant Tav Falco qui était arrivé à Memphis sur une Norton qui pissait l’huile, ou de Sid Selvidge un type prodigieusement doué que personne ne connaissait. Il devait aussi évoquer les souvenirs du grand James Carr qui était un peu dérangé, et de Ronnie Hawkins qu’il estimait infiniment. Et puis Esther Phillips et Albert Collins, ah quels artistes ! Il n’oubliait certainement pas le pauvre Eddie Hinton qui était à la rue et il devait beaucoup insister sur les grands artistes noirs de la région, à commencer par Otha Turner, le vieux joueur de flûte de cane qu’il considérait comme un pur génie. Mais aussi T-Model Ford dont il a produit l’un des derniers albums, et bien entendu RL Burnside et Junior Kimbrough qui sont des voisins. Côté gens célèbres, il y avait aussi les Rolling Stones et les Flamin’ Groovies, mais il réservait ça aux chroniqueurs à la petite semaine. Oooh oui les enfants, votre daddy est allé pianoter chez ces gens-là, et même, tenez-vous bien, chez Bob Dylan ! Vous voyez un peu le travail ?

             — Le grand Bob, daddy ?

             — Ooooh oui, et quel grand bonhomme, les enfants ! Vous n’êtes pas prêts d’en revoir passer un comme ça dans le quartier, malheureusement. Les gens vont devoir compter sur des gamins comme vous. Normalement, vous avez tout ce qu’il faut pour ne pas les décevoir...            

             Luther et Cody n’avaient pas besoin d’aller au cinéma : ils voyaient défiler toute l’histoire du rock et du blues américains en cinémascope. Daddy Dickinson leur a surtout donné le goût des bons artistes et des vrais disques. Il n’a même pas eu à leur expliquer que tout cela n’allait pas sans la pâte humaine. Daddy Dickinson a probablement suivi le même parcours que David Hood, le daddy du p’tit Patterson : ces deux southern gentlemen ne faisaient aucune différence entre les blancs et les noirs, comme d’ailleurs Sam Phillips et Steve Cropper. Ces gens du Sud qui avaient pour particularité d’être de vrais musiciens savaient qu’ils avaient tout à apprendre des noirs. Eh oui, sans les noirs, il n’y aurait jamais eu ni jazz ni blues. 

             Toute l’éducation de Luther et de Cody Dickinson est donc basée sur ces principes fondamentaux : l’humain et la musique, l’un n’allant pas sans l’autre. C’est la raison pour laquelle on peut écouter leurs disques les yeux fermés. D’autant plus que Daddy Dickinson, l’un des producteurs les plus géniaux de l’histoire du rock américain, produisait parfois leurs albums. Il ne pouvait pas leur faire de plus beau cadeau. Et on en profitait aussi. 

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             La prestigieuse série des albums des North Mississippi Allstars commence en l’an 2000 avec « Shake Hands With Shorty ». C’est un album de reprises qui nous plonge dans le North Mississippi hill country blues cher à Jim Dickinson. Luther et Cody attaquent avec les classiques de Mississippi Fred McDowell, « Shake ‘Em On Down » (qu’ils tapent avec une terrible énergie) et « Drop Down Mama », joué aussi avec ce qu’on appelle un entrain communicatif. Sur ce cut, Sid Selvidge joue un solo explosif. On s’initie avec ces gens-là à la dynamique des fluides. Le blues hypnotique de RL Burnside leur va aussi comme un gant, comme on peut le constater avec « Po Black Maddie ». Étant donné que ce sont des puristes, ils connaissent toutes les ficelles. Ils restent chez RL avec « Skinny Woman », le blues-rock des plantations, trempé dans l’eau noire du terreau maudit. Luther et Cody le jouent heavy, dans l’esprit de ce que faisaient les groupes anglais en 1968. Même chose pour « Drinking Muddy Water » : ils sortent ce son qui faisait rêver Clapton au temps de Cream. On parle de Luther et de Cody, mais avec eux jouent Chris Chew, Garry Burnside et Cedric Burnside, fils et petit-fils de RL. Ils sont furieusement bons. C’est battu à la guinéenne, chanté à l’insistante un peu chamanique, comme au temps de Captain Beefheart et des sorciers du Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Luther et Cody semblent avoir trouvé le chemin de la connaissance suprême, celle du beat vénéneux qui rampe sous les racines des palétuviers depuis des milliards d’années, bien avant que l’homme ne soit homme. On se retrouve là au cœur du primitivisme de l’énergie juteuse et poisseuse, au cœur d’un génie du son fabriqué de toutes pièces par l’immense Jim Dickinson et ses amis nègres. Luther et Cody sonneraient presque comme Monsieur Jeffrey Evans. Luther balance des solos bien baveux, dans la meilleure des traditions. Lancinant ! - Goin’ down south ! Goin’ down south ! - C’est à tomber. Alors on tombe.

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             « 51 Phantom » sort du four l’année suivante. Le morceau titre se distingue aussitôt par l’énormité de sa prestance dégoulinante. Ce blues-rock hyper produit entre directement dans les annales du Memphis Beat. Grâce à son génie du son, Daddy Dickinson propulse ses deux rejetons dans le cercle supérieur. Et en prime, ça wolfe en fin de cut. Que demande le peuple ? On trouve une autre belle pièce juteuse : « Snakes In My Bushes ». Daddy graisse le son au maximum. Tout est atrocement soigné. Le solo de Luther est gras comme un porc. Pur régal. On remercie les dieux du ciel pour ce son. On adore voir couler ce genre de purée. « Sugartown » est encore plus énervé, encore plus gorgé de son. C’est fabuleux et aussi complet que le riz macrobioté. Avec « Lord Have Mercy », on sent deux choses. Un, ils ont la connaissance des arcanes du son. Et deux, le gras du son va bien au-delà de celui qu’expérimentaient les Anglais au temps du British Blues. Luther repart en solo gras double d’obésité suintante. Daddy Dickinson a nourri son fils au pis des vaches du Memphis Beat. C’est donc normal qu’il joue comme un dieu. Encore du gras de couenne du manche avec « Circles In The Sky », un gras à faire baver les charcutiers du monde entier, joué dans l’incroyabilité du gras qui tâche. Daddy Dickinson veille au grain de gras. On peut même qualifier ce son d’inventif et d’hyperbolique. Un modèle du genre, évidemment. On se doute bien qu’avec un titre comme « Mud », on va avoir du limon à la pelle. Voilà encore une étonnante pièce d’insurrection inventive et gorgée d’un allant bizarroïde. Alors, évidemment, on ressort de ce disque un peu ébranlé et dans un élan de mysticisme pulsionnel, on fait le serment, devant Dieu, de rester fidèle aux North Mississippi Allstars, quoi qu’il arrive.

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             Deux ans plus tard, ils reviennent enfin avec « Polaris », un album beaucoup plus pop. Mais attention, il ne s’agit pas de pop à la petite semaine. Non, ils cherchent les voies impénétrables de la grande pop lumineuse de Big Star, comme c’est le cas avec « Eyes » qui ouvre le bal. « Meet Me In The City » est une belle pop d’essence bluesy. On sent à l’écoute de « Conan » que les North Mississippi Allstars pourraient bien devenir le groupe le plus excitant d’Amérique. Ils se situent au confluent des meilleures influences et ils sont nourris du meilleur son. Alors pas de problème. La belle pop ambitieuse d’« Otay » renvoie à celle de Robert Pollard. Ils sont devenus extrêmement ambitieux. C’est claqué au refrain déflaqué, on sent une énorme énergie d’appétit de fame bon esprit. L’étonnant de cette histoire, c’est que Noel Gallagher vient chanter sur « One To Grow On », un balladif fatidique. Puis ils repartent sur un boogie blast à la Hooky, avec « Never In All My Days ». Les voilà sur leur terrain d’excellence, avec de grosses incursions de gras. Ça va loin, car le stomp s’étrangle de gras, à trop vouloir se goinfrer. Stupéfiant « Bad Bad Pain », un groove traversé d’éclairs de guitare. Luther passe un solo qui est une épouvantable dévalade. Et sur le dernier cut de cet album épatant, on entend le vieil Otha souffler dans sa flûte de canne. 

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             « Hill County Revue » est un album live enregistré lors d’une espèce de grande kermesse sudiste. La famille Dickinson avait invité toute la famille Burnside et des gens comme Chris Robinson des Black Crowes. On a l’impression d’écouter le Woodstock du North Mississippi hill country blues. On sent comme une énormité du son dès « Shake ‘Em On Down ». Luther et ses amis en font une version trop pulsée, trop jouée, affolante de présence dans l’essence. Ils passent tous les grands classiques locaux en revue, « Po Black Maddie », « Skinny Woman » et « Jumper On The Line » de RL Burnside, Jim Dickinson vient chanter « Down In Mississippi » de JB Lenoir, Chris Robinson vient chanter « Boomer’s Story » et sur « Shiny She Wobble », on entend les tambours d’Otha Turner, le beat ultime. Ils finissent avec l’imparable « Goin’ Down South » qui chaque fois nous ramène en enfer.    

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             « Electric Blue Watermelon » vaut largement le déplacement. On y trouve une belle pièce de balle hypnotique intitulée « Mississippi Boll Weevil ». Tout est là : l’esprit, le son et l’énergie divine. Quels veinards ces trois-là d’avoir un producteur comme Daddy Dickinson. Beau produit local avec « Moonshine ». C’est fou comme on se gargarise de ce folklore deep south, alors que chez nous existent le calva et la prune. Lucinda Williams vient chanter dans « Hurry Up Sunrise ». Elle a du répondant, mais ça sent trop le Nashville Sound. C’est insupportable. Le pathos des poules américaines dépasse parfois les bornes. Ils font ensuite du funk avec « Stompin’ My Foot ». N’oublions pas qu’à Memphis on avait les Bar-Kays. Les voilà qui rockent le funk, c’est fou ce qu’ils sont brillants, les morpions. Chris Chew le bassman black s’amuse comme un fou. Luther part en vrille comme Bloomy et il bat tous les records de vélocité carabinée. Absolument énorme. Voilà ce qu’il faut bien appeler une éruption de funk sudiste. On retrouve l’énormité du son dans « Bang Bang Lulu » qui sonne comme le bastringue du diable. « Mean Ol Wind Died Down » est une pièce d’anthologie. Luther est accompagné par Otha Turner et ses drums à l’ancienne. Le cut est traité sur différents modes, Otha et jazz-bass, mais ça reste essentiellement du groove des collines. Ils chantent la nostalgie d’un temps révolu, en gros l’histoire de Jim Dickinson. Luther fait un véritable festival à la guitare. Et derrière bat Otha l’ancien roi des pique-niques. C’est le même son que dans « Fast Life Rider » de Johnny Winter. Exactement le même.

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             « Hernando » sort en 2008. Attention, voilà encore un album assez magistral. Ils shakent « Shake » à l’ancienne mode des collines. C’est énorme car inspiré et vraiment digne de RL Burnside. Ils se situent bien au cœur du country-blues référentiel. On retrouve aussi le son gras dont rêvaient tant les Anglais dans « Keep The Devil Down ». Luther sait allumer un brasier. Il sait aussi partir en free-jazz, comme on le voit avec « Soldier ». Il peut rivaliser d’excellence fluidique avec Jeff Beck. Ils savent même jouer le rockabilly, comme on peut le constater avec « Blow Out ». On est à Memphis, les gars, ne l’oubliez pas. Tout est solide sur cet album et en particulier « Rooster’s Blues » encore une pièce diablement inspirée et même un peu britannisée sur les contours. C’est joué gras dans le corpus christi, et dûment frictionné à l’escalade. C’est même extraordinaire de grasseyage, d’autant que Luther et son frère bénéficient du génie productiviste de leur père. Le solo défraye bien la chronique. Ah, quelle fricassée ! Et c’est relancé au dirty job ! Ils ne nous épargnent rien.

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             Eh oui, toutes les bonnes choses ont une fin. Daddy Dickinson a cassé sa pipe en 2009, alors Luther, Cody et Chris ont enregistré un album pour lui dire adieu. Disque poignant que ce Keys To The Kingdom ! « This A Way » sonne comme un rock-blues sérieux, bien sabré et bien saqué à la manœuvre. Luther a dans les pattes un bel héritage. Memphis Beat c’est sûr, mais il y a surtout un gros fantôme derrière la console. Mavis Staples vient donner un petit coup de main dans « The Meeting ». Ils font aussi de la country sauvage avec « How I Wish My Train Would Come », dans une merveilleuse ambiance décontractée. Mais ils plantent une reprise de « Stuck Inside Of Memphis With The Memphis Blues Again ». Il faut attendre « Ain’t None O’ Mine » pour renouer avec l’intérêt. C’est un heavy blues véritablement énorme, comme on sait le jouer dans cette région du monde. Ils font leurs adieux définitifs avec « Jellyrollin’ All Over Heaven ». Leur père aurait adoré. Voilà une chanson d’une rare verdeur attentionnée.

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             Le double album World Boogie Is Coming est un nouvel hommage aux musiciens noirs du Mississippi. On trouve à l’intérieur de la pochette une photo stupéfiante d’Otha et de Luther en train de jouer, en plein dans le feu de l’action. Ils attaquent avec une version épaisse du vieux coucou « Rollin’ N Tumblin’ ». C’est battu aux tambours locaux et gratté à la mode des collines. Le résultat est très impressionnant et le son très ancien. Il semble remonter aux origines de l’humanité. Même chose pour « Boogie » : c’est tout simplement le boogie de l’origine des temps. Pas de plus bel hommage au son et on entend les fameux tambours berbères d’Otha. Qu’on se rassure, tout n’est pas bon sur cet album. Certains morceaux laissent l’auditeur indifférent. La B démarre sur du pur Otha avec « Shimmy ». On l’entend souffler dans sa flûte par derrière les fagots. On se croirait revenu dans la Grèce antique. Les bergers du Péloponnèse, tels qu’on les entend dans les anticailleries pasoliniennes, sortent exactement le même son. « Granny Does Your Dog Bites » est battu au tambour militaire d’Otha. Quelle magistrale leçon de beat ! Une nommée Sharon Thomas chante et elle s’en sort plutôt bien. Puis ils tapent dans Bukka White pour une reprise spectaculaire du « World Boogie » qui donne son titre à l’album. Ils restent dans le blues à l’ancienne pour attaquer «  Goin’ To Brownsville ». La C est consacrée à Junior Kimbrough. Luther et ses amis jouent une fois de plus le heavy blues de rêve bien grassouillet. « I’m Leaving » est tout aussi heavy au beat. On se régale de ce joli bouquet garni de son bien gras de la couenne. Sacré Luther, en voilà un qui a tout compris. Avec « Jumper On The Line », il revient à RL Burnside. C’est donc de l’hypnotic sans surprise. On retrouve évidemment le grand Fred McDowell sur la D avec « Crazy ‘Bout You ». Luther nous ressert une louche de heavy blues de rêve absolument parfait. Beau car terriblement inspiré. Et même imbattable. Ils gospellisent le heavy blues de « Back Back Train ». On sent que les racines remontent à la surface. Puis on se tape une belle lampée de blues-rock référentiel avec « Brooks Run To The Ocean ». Luther et ses amis rivalisent de classicisme avec les géants du Texas blues.

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             Prayer For Peace paraît en 2017. Il ne reste plus que Luther et Cody. Ils posent pour la pochette. L’album vaut largement le détour. Luther et Cody s’ancrent de plus en plus dans le heavy blues. Avec « Left To Be Free », ils sonnent comme les Left Lane Cruisers, avec le même sens du rôtissage en enfer. Ils jouent ça au heavy blues des seventies et nous gavent d’une heavyness de rêve. Même chose avec « Bird Without A Feather » qui ouvre la bal de la B. En vieillissant, Luther devient heavy en diable. Il va chercher l’axe de la mélasse. Les Allstars font aussi une version magnifique du vieux « You Got To Move » de Fred McDowell, jadis repris par les Stones. Back to the groovy blues du Mississippi avec « 61 Highway ». On réalise une fois encore que dans cette région, les gens sortent un son particulier, un son très raw, très mal embouché et Luther chante de plus en plus comme un noir. On retrouve ce son terriblement muddy dans « Long Haired Doney », c’est même joliment vasouillard. On a là le meilleur rock blues du Deep South. Leur « Miss Maybelle » vaut aussi le détour, car voilà du boogie blues à l’ancienne mode. Et leur « Stealing » sonne un peu comme le « Dead Flowers » des Stones. 

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             Luther monte The Word et enregistre un fabuleux album d’instros intitulé The Word en 2001. Un bon conseil : si ce disque passe devant toi, saute-lui dessus. Ça sent bon le jive de Memphis dès « Joyful Sounds » qui ouvre la bal des débutants. Quelle fluidité dans le son ! Quelle aisance dans la partance ! Quelle science du temps et de l’infinitude du groove ! Il faut voir comme c’est nappé d’orgue. Avec « Call Him By His Name », on part au Sahara et une guitare entre dans le groove de la solitude infinie. La classe du lutin Luther ! On sent qu’il a eu un père. Il passe ensuite au gospel batch avec « Blood On That Rock ». C’est exceptionnel d’Americana. Chris Chew fouille avec la basse dans les racines de la vie. Quelle élégance ! Ça pue le génie des origines du son. Ils le touchent du doigt, pas de doute. De cut en cut, on voit que Luther et ses amis revisitent tous les cadres ambianciers de l’Americana. Sur « Without God », il sonne comme un cow-boy invincible et visionnaire, perché au sommet du Grand Canyon. Il s’amuse même à dépasser les bornes de la virtuosité. On assiste là à un spectacle extraordinaire. Oh ce n’est pas fini. Voici « Waiting On My Wings ». C’est un peu comme chez Paul Butterfield, il faut savoir donner du temps au temps pour voir éclore les prodiges. Les cuts de cet album sont très longs et incroyablement riches. Luther et ses amis attaquent des grooves, comme ce sont des surdoués, on imagine aisément le travail. Tout est joué rubis sur l’ongle. Encore un cut claqué à l’évidence : « At The Cross ». C’est tout simplement visité par la grâce. S’ensuit un « I’ll Fly Away » monté sur une bassline volante et emmené à la pure énergie de gospel. C’est hallucinant de vélocité et d’ailleurs, Luther en profite pour s’envoler. Ils jouent « I Shall Not Be Moved » à la mémoire de l’Americana des bivouacs. Ils cultivent vraiment la mémoire des racines. Luther semble se souvenir de l’ancien temps. Retour au blues d’harmo avec « Keep Your Lamp Trimmed And Burning ». Luther entre dans le matin du blues avec une ferveur barbare. Voilà une nouvelle preuve de l’existence d’un dieu du blues.

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             À la mort de Jim Dickinson en 2009 paraît un album de Luther Dickinson & The Sons Of Mudboy intitulé Onward And Upward. On peut y lire un texte fabuleux de Jim Dickinson : « I refuse to celebrate death, my life has been a miracle of more than I ever expected or deserved, I have gone farther and done more than I had any right to expect. I leave behind a beautiful family and many beloved friends. Take reassurance in the glory of the moment and forever promise of tomorrow. Surely there is light beyond the darkness as there is dawn after the night. I will not be gone as long as the music lingers. I have gladly given my life to Memphis music and it has given me back a hundredfold. It has been my fortune to know truly great men and hear the music of the spheres. May we all meet again at the end of the trail. May God bless and keep you. World boogie is coming. » On retrouve sur cet album Luther Dickinson, bien sûr, mais aussi les Selvidge père et fils et Jimbo Mathus. Beaucoup de cuts vont à l’encontre de ce que prône Jim Dickinson, car ce sont des cuts lugubres et déprimants. On sent avec des choses comme « You’ve Got To Walk That Lonesome Highway » qu’ils essayent de développer un son, mais le pathos aplatit toute tentative d’envol. C’est donc un album profondément révérencieux. On reconnaît bien là le goût des Américains pour le pathos. C’est d’un ridicule qui ne fait hélas pas honneur à Jim Dickinson. Aux enterrements, les blackos font la fête, au moins ils s’amusent. Pas les blancs. Les blancs plombent tout. Il faut attendre « Glory Glory » le dernier cut de l’album, pour voir enfin le ciel se lever, car c’est un gospel country fantastique blasté à la slide sauvage - Burden down Lawd, burden down Lawd/ When I lay my burden down/ I’m goin’ to Jesus where I lay my buden down.

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             Puis Luther monte le South Memphis String Band avec Jimbo Mathus et Alvin Youngblood Hart, deux rebelles recherchés par les Yankees. Ils enregistrent Home Sweet Home l’année de la mort de Dad qui déclare dans le petit texte de la pochette : « So pull up a chair and pour some gin in your glass. If you don’t dig this there is seriously something wrong with you. » Les trois rebelles attaquent « Jesse James » au vieux banjo des sous-bois. Ils tapent dans la pure Americana. Au dos de la pochette, on les voit tous les trois, avec des mines renfrognées - And he rode many an express train - Avec « Deep Blue Sea », ils dégagent une énergie considérable. On se régale aussi d’un « Things Is ‘Bout Coming My Way » joué au primitif élégiaque. Ils tapent ça à la fine slide des berges du Mississippi. Plus loin, ils prennent une version de « Bloody Bill Anderson » au banjo et ils basculent dans l’Africana de Southern Gothic, celle qu’on siffle dans les sous-bois. Puis ils passent directement au chain gang avec « Eighteen Hammers ». Ils sont tout de même un peu gonflés de reprendre ce chant que psalmodiaient des bagnards condamnés à casser des cailloux jusqu’à leur mort.

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             Ils sortent un second album en 2012 : Old Times There. Au dos de la pochette, on peut voir leurs armes disposées sur une pièce de tissu frappée des lettres SMSB : deux fusils Hawkins croisés comme des tibias de flibuste, un Colt 45 et un couteau de chasse qu’on appelle dans la région le Bowie knife. Normalement, avec un tel attirail, un honnête homme doit pouvoir survivre dans les montagnes du Colorado. Ils tapent « Feather Bed », une merveilleuse pièce d’Americana, chantée à l’arrache du pauvre hère. On revient invariablement à la guerre contre les Nordistes, avec « Stonewall 1863 ». Les rednecks n’ont jamais pu avaler la défaite. Avec « Skillet Good And Greasy », on entre dans une cabane de Rebs. Ils jouent entre eux les vieux hymnes des mecs qui refusent de se rendre. Ils savent qu’ils vont crever, mais ils chantent - All the time/ All the time ! - On tombe plus loin sur « Sandy River Belle » et on a du mal à entrer dans ces complaintes, et pourtant, on sent un vieux fond d’inspiration. Ils reprennent le fabuleux « Wildwood Boys » des Dixie Flyers, encore une histoire de bruit et de fureur qui narre le terrible destin des jeunes Rebs entraînés dans le tourbillon fatal d’une guerre perdue d’avance.

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             Luther enregistre aussi des albums solo, comme par exemple Hambone’s Meditations, paru en 2012. Il joue les sept morceaux de l’album à la guitare acoustique. On sent bien entendu chez lui l’amoureux transi des traditions anciennes, mais on bâille un peu aux corneilles, même si certains arpèges évoquent le doux parfum des fenaisons. Il se perd un peu dans la foison des notes et des cordes et voilà, on se retrouve avec un disque destiné à la revente.

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             3 Skulls And The Truth est un bon disque. On le ramasse par conscience professionnelle. On y trouve « Have My Way With You », un beau heavy blues hardiment visité par les trois guitares entreprenantes de Luther, de David Hidalgo et de Mato Nanji. On retrouve le débraillé du son qui caractérise si bien le Memphis Beat. Avec « I’m A Fool », ils perpétuent bien l’esprit des compos atypiques dont se prévalait Dad. C’est bien, car ils chantent tous les trois à tour de rôle. Boogie blues de rêve avec « Known Round Here », toujours le gras du son. Trois guitares, ça finit par faire pas mal de potin. Assis sur son nuage, cigare au bec, Dad doit être assez fier de son fiston. Toujours du heavy de rêve avec « The Worldly And The Divine », avec un bel équilibre entre le gras du chant et le gras des guitares. Luther a tout pigé. Il a récupéré le génie du rentre dedans. On entend le scratch des solos sur les manches. Ça crachouille autant que ça mélodise. Le gras goutte aussi de « Still Looking ». Des grosses gouttes de gras du blues, a-t-on déjà vu chose pareille ? Encore une jolie machine atypique avec « The Truth Ain’t What It Seems ». C’est un remugle de boogie admirable. On peut leur faire confiance. Ces mecs ont le diable dans le corps, ça coule comme du bronze dans la gueule ouverte de Bob le bonheur. Il y a dans ce cut tout ce qu’il faut pour rendre un homme heureux. Encore une énormité explosée de son avec « Wake Up Alone », nouveau modèle d’anticipation. Même chose pour « National Comb ». Ils n’arrêtent jamais. Ce sera un disque incendiaire jusqu’au bout. Leur heavy blues est gluant de rêves humides et ça couine exagérément. La guitare jute dans son coin. C’est dégueulasse, car le solo pourri coule comme un jus de la bouche d’une charogne. Rien d’aussi baudelairien. 

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             Son dernier album s’appelle Rock ‘N Roll Blues, une manière de boucler la boucle et de dire les choses. Dans la vie, il faut toujours dire les choses. Pour sa pochette, Luther a écrit un très beau texte. Il se dit hanté par le fantôme de Dad qu’il entrevoit dans une chambre de motel - Bob’s waiting for you, or be it Duane, Charlie or Dad - Deux filles l’accompagnent sur cet album : Amy LaVere à la stand-up et Sharde Thomas aux drums. Ils attaquent avec un très beau stomp. Luther raconte sa jeunesse punk - I grew up on punk rock - comme d’ailleurs beaucoup de jeunes Américains de sa génération. Puis il enchaîne avec une belle série de country-songs doucéreuses et diablement inspirées, de type « Blood n’ Guts », « Yard Man » ou encore « Goin’ Country », joliment insidieux. Il raconte qu’il ne peut pas chanter le blues parce qu’il est blanc, alors il se rend à Nashville pour virer country - White boys ain’t born to sing the blues/ I’m going country/ Goin’ to Nashville Tennessee - Mais Dad l’avait averti - Son you did the one thing I told you not to do/ Memphis boy never hang up his rock’n’roll shoes - Luther renoue ensuite avec le fife-and-drums sounds dans « Mojo Mojo » et là, on se dit qu’il faudrait peut-être enfin arrêter de les prendre pour des morpions. La B s’écoule paisiblement avec un morceau titre en hommage aux poor boys des plantations qui n’ont aucun droit - Down upon the old plantation/ A poor boy has no rights - et plus loin, Luther prend un solo étonnamment élégant dans « Some O’ Day ». Ah tiens, quelle belle leçon de maintien !

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             Luther et Cody enregistrent Soul Food avec The Word, l’autre side-project. Dès « New World Order », on sent l’énormité d’un son et la cohésion d’un groupe de virtuoses inexorables. C’est un instro d’une rare densité. Luther joue comme un démon et Cody bat le beat du diable. Côté aisance matrimoniale, c’est assez spectaculaire. Avec « Come By Here », ils reviennent aux valeurs tribales avec de gros tambours. Autre retour aux racines avec « When I See The Blood ». Ils vont chercher le feeling du blues primitif et swinguent the gospel out, car Ruthie Foster vient faire sa Mavis. Ce disque est foisonnant comme pas deux. Attention à « Soul Food II ». C’est embarqué au groove de r’n’b et Luther y place un véritable killer solo. « Early In The Moanin’ Time » est conduit à la corne de brume par Luther. Derrière lui, ça swingue sous le boisseau. Ils enchaînent avec « Swamp Road », que Chris Chew mène au drive de basse et ça donne de la good time music d’obédience dickinsonienne. Les deux derniers cuts vont en fasciner plus d’un, à commencer par « Speaking In Tongues ». On sent l’équipe de surdoués et leur instro dégouline d’inspiration. Ils terminent avec « Glory Glory », un speed-gospel emmené par Amy Helm. Luther et Cody font exactement le même travail que celui que fait Mavis : ils remettent du jus dans le gospel. 

    Signé : Cazengler, North Mississippiteux

    North Mississippi Allstars. Shake Hands With Shorty. Tone-Cool Records 2000

    North Mississippi Allstars. 51 Phantom. Tone-Cool Records 2001

    The Word. The Word. Ropeadope Records 2001

    North Mississippi Allstars. Polaris. ATO Records 2003

    North Mississippi Allstars. Hill County Revue. ATO Records 2004

    North Mississippi Allstars. Electric Blue Watermelon. ATO Records 2006

    North Mississippi Allstars. Hernando. Songs Of The South Records 2008

    North Mississippi Allstars. Keys To The Kingdom. Songs Of The South Records 2011

    North Mississippi Allstars. World Boogie Is Coming. Songs Of The South Records 2013

    North Mississippi Allstars. Prayer For Peace. Songs Of The South Records 2017

    North Mississippi Allstars. Up And Rolling. New West Records 2019

    Luther Dickinson & The Sons Of Mudboy. Onward And Upward. Memphis International Records 2009

    South Memphis String Band. Home Sweet Home. Memphis International Records 2009

    South Memphis String Band. Old Times There. Memphis International Records 2012

    Luther Dickinson. Hambone’s Meditations. Sutro Park 2012

    Luther Dickinson. 3 Skulls And The Truth. Blues Bureau International 2012

    Luther Dickinson. Rock ‘n Roll Blues. New West Records 2014

    The Word. Soul Food. Vanguard 2015

     

     

    Wizards & True Stars - Bowistiti (Part Two)

     

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             Avec Moonage Daydream, Brett Morgen ne se limite pas à raconter l’histoire extraordinaire de David Bowie. Il traite surtout du temps qui passe - et qui ne repasse pas, comme le disait si joliment Erik Satie - Moonage Daydream est la parfaite illustration d’un thème qui nous est cher, surtout quand on approche de la fin : la brièveté de la vie. De toute évidence, Bowie ne sert que de prétexte. Aux yeux de Morgen, Bowie est l’incarnation exacte de la fugacité. T’es là ? T’es plus là. T’es déjà mort. Même pas le temps de comprendre.

             Rien de tel qu’un festin d’images pour illustrer la fugacité. Céline et Joyce ont bien tenté de faire entrer leurs vies dans des gros livres - voilà amis lecteurs à quoi se résument nos vies, à ces gros livres dérisoires - des éditions de poche dont les tranches jaunissent avec le temps et qui renforcent ce sentiment de dérision totale, et c’est même tellement aigu qu’il est impossible de s’y replonger alors qu’à une autre époque, ce fut un délice que d’entrer dans Ulysse ou Voyage Au Bout De La Nuit. Avec Moonage Daydream, aucun risque de rejet, car tout est flashy, Bowie est flashy, sa musique flashe mille éclairs, mais en même temps, cette beauté est à l’image des roses, tragiquement éphémère. Moonage Daydream n’en démord pas : t’es beau, t’es pas beau, tu n’en as plus pour très longtemps. Ta vie n’aura été qu’une illusion : une misérable illusion si tu étais pauvre, une pâle illusion si tu étais riche.

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             Morgen a même l’air de vouloir dire : plus t’es beau et plus t’es éphémère. Tu n’auras duré qu’un seul jour - You can be heroes/ Just for one day - Même dimension du flash éphémère chez Warhol qui voulait lui aussi que l’art et la beauté ne durent qu’un seul instant. Chez Morgen, elle dure deux heures, le temps du film. Un film pris en sandwich entre deux monologues de Bowie sur le même thème : la vie ? Oh et puis déjà la mort. Bowie dit comment il a su accepter l’idée de la mort - Tout à coup, l’apparence du sens est transcendée. Et on a du mal à comprendre. Un mystère profond et redoutable. I’m dying. You are dying. Second by second. Tout est fugace. Does it matter ? Est-ce que je m’en soucie ? Yes I do - Puis il ajoute un peu plus loin, alors que s’accélère le rythme des images de la beauté du monde : «Life is fantastic !». Et comme c’est David Bowie, il lance «Let’s keep walking», ce qui revient à dire qu’on peut encore marcher dans la mort, et c’est certainement ce qui se produit, car quand on ressuscite, le sentiment d’avoir avancé dans une lumière blanche est réel. Au temps de Ziggy, dans «Rock’n’Roll Suicide», Bowie jouait déjà avec l’idée de la mort - You’re wonderful/ Gimme your hands - Il savait que ça finirait mal, alors il préférait anticiper et suicider le personnage qu’il venait tout juste de créer : Ziggy Stardust. Drame national en Angleterre. Uniquement en Angleterre. Les autres n’ont rien compris.

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             C’est là où Moonage Daydream télescope de plein fouet l’imposture créée par la presse rock, c’est-à-dire Bowie la pop star, l’icône glam. C’est dingue de réaliser à quel point les gens n’ont rien compris à l’époque. Aussitôt Hunky Dory, Bowie faisait de l’art, et non de la pop. Avec Hunky Dory, Bowie prenait la suite d’Oscar Wilde et des Préraphaélites, il prenait la suite d’Aleister Crowley et d’Aubrey Beardsley, la suite de Lord Byron et de Lewis Carroll, il débordait tellement du cadre dans lequel la presse et les médias l’enfermaient que tout le monde n’y a vu que du feu. La meilleure preuve de cette tragique méprise, ce sont les questions que posent les journalistes de télévision sur sa sexualité. Ils n’avaient pas compris à l’époque que l’art échappe à la sexualité. Bowie dit à un moment, comme pour se protéger de l’incurie des journalistes : «I’ve nothing much to offer. I’m an absolute beginner.» Il dit aussi vivre chaque seconde de ses heures sur la terre - I hate to waste days - Il veut tirer quelque-chose de chaque jour qui passe. Il ne raisonne jamais en termes de popularité ni de fortune - Je gagnais beaucoup d’argent. C’est ma vie qui est devenue vide - Alors l’art comme seule réponse, l’art comme seul sens, avec le sentiment aigu d’une fin de l’art - Il n’y a rien à quoi se raccrocher : youth, physical things, definitively not possessions - Comme d’autres en quête de sens, il s’en va vivre au Japon pour pratiquer le Bouddhisme Zen. 

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             Moonage Daydream traite donc des deux thèmes en parallèle : la brièveté de la vie et l’art. Deux thèmes qui s’enlacent comme les deux serpents du caducée. La vie et la mort, l’art incarnant la vie. Bowie ne chante pas, il incarne l’art au cœur des seventies. Les kids se peignent des éclairs sur le visage. Il recrée le théâtre d’ombres sur scène, il utilise le Kakubi pour créer une nouvelle forme d’art moderne, encore plus gorgée de kitsch et de perfection graphique, Bowie disparaît au profit de Ziggy, c’est l’Immaculée Conception des temps modernes, les gens ne voient qu’une pop star, les gamines pleurent dans la rue, alors qu’il fallait au contraire s’extasier, Bowie dans son rôle de grand prêtre, aucune limite au flash de l’art - Press your space face close to mine love/ Freak out in a moonage daydream oh yeah - Young Dude, costard bleu d’eau, fard bleu d’eau, lèvres peintes en rose, art total pour une époque affamée de paillettes, Bowie transcende la moindre image et ajoute du son - All the young dudes/ Carry the news/ Boogaloo dudes/ Carry the news - Il saute du Young Dude au Thin White Duke, comme un auto-portrait sauterait d’un cadre à l’autre au mur d’un musée d’art moderne - Fedora blanc, cheveux jaunes - Il est à la fois Malcolm Lowry et Truman Capote, Luchino Visconti et Francis Scott Fitzgerald, il meurt à Venise et sous le volcan Popocatepetl - Soif d’images - I’m the space invader/ I’ll be a rock’n’rolling bitch for you - Bowie n’en finit plus de s’échapper de lui-même - my work isn’t me - il dit passer à côté de sa vie, en parfaite incarnation de l’éphémère. Il comprend que l’art meurt avec la vie. Quand tu meurs, l’art disparaît avec ta mémoire et ton regard. L’art reprendra vie dans la mémoire et le regard des autres. Brett Morgen réussit avec son film un tour de magie extraordinaire : il démontre que l’art est à l’image de la vie et qu’il ne reste rien après la mort - You’re wonderful/ Gimme your hands

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             Bowie chante, mais il sculpte et il peint aussi. Il appelle ça des hobbies, pour répondre aux questions d’un âne de journaliste de télévision. Il indique aussi que son demi-frère Terry l’a initié à Kerouac et à Burroughs. De là un goût prononcé pour les misfits qu’on ne voit d’ailleurs pas, si, peut-être une seconde de Lou Reed, pour un instantané à la Warhol, la fameuse pelle avec les langues. Lou Reed, mort lui aussi. Dead flower. Souvenirs d’enfance ? Rien. Pas de tendresse. Père ? Mère ? Éphémères. Terry aussi, éphémère, asile de fous - Cause I’d rather stay here/ With all the madmen - et il t’explose l’asile de fous à coups de «Zane, Zane, Zane/ Ouvre le Chien». D’«All The Madmen» à l’«Aladin Sane», il n’y a qu’un pas - Battle cries and champagne just in time for sunrise/ Whoooooo’ll love Aladdin Sane - L’éclair sur le visage. Le piano d’Aladin comme une rivière de diamants, l’un des plus beaux chocs esthétiques de l’an de grâce 1973. Pop ? Non, art total, Scriabine, Scrialadin. Ce Lad Insane dit n’avoir qu’une seule religion : l’imagination. 

             Il part à la découverte du monde, un luxe que permet la fortune, mais il voit sa découverte comme une œuvre d’art - like an old fashioned Beatnick traveler - Il pense bien sûr à Brion Gysin, Burroughs et Paul Bowles, sans les nommer. Il part à la découverte de l’Amérique, amère déception - No myth land for me - il s’y sent mal, il se réfugie dans son monde intérieur, qu’il appelle the small universe - This is Major Tom to Grand Control - L’une de ses chansons parfaites, l’expression de la perdition, car oui, la vie est une perdition. Tu ne décides de rien, ni de ton arrivée sur terre, ni de ton départ, sauf si tu as le courage d’en finir - You walk past the café but you don’t eat/ When you’ve lived too long/ Oh no no no you’re a rock ‘n’ roll suicide - Les hasards de la vie décident pour toi, des rencontres, des accidents de la route, des plages ensoleillées, tu crois décider, mais au fond, tu sais bien que c’est absurde - Planet earth is blue/ And there’s nothing I can do - Bowie résume toute l’absurdité de la vie dans ce vers.

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             Et l’amour dans tout ça, lui demande une femme qui, se croyant intelligente, développe des trésors de perspicacité. Bowie se montre charitable avec elle. Il répond : «Oui, mais à distance.» Il fait aimablement comprendre qu’il n’a pas le même genre de préoccupations que les autres. Comme il a besoin de se réinventer (en permanence), il va s’installer à Berlin et fait venir Eno pour l’aider à trouver une nouvelle voie. Il ambitionne de créer une nouvelle méthode d’écriture. Cette démarche est en soi une forme d’art pur, the action art, dirait un théoricien de l’art. L’art n’a plus besoin de se matérialiser, il est dans l’action. La fameuse trilogie berlinoise (Low, Heroes et Lodger) n’a absolument rien changé au rock, mais on y détecte une volonté de changement. Bowie et Eno trafiquent péniblement ce qu’ils appellent de l’emotive Soul. Belle tarte à la crème. Encore un prétexte. Tout le monde est tombé dans le panneau, à l’époque. Le panneau s’appelle «Heroes» - Though nothing will keep us together/ We could steal time/ Just for one day - Interesting music. Drop it ! Bowie jette l’art. Move on ! Il passe à l’action. Beaucoup plus intéressant. Jamais figé. Bowie dauphin. Il vient de tout comprendre : «Art is about searching. The search is the key.» Il en arrive aux mêmes conclusions que Dave Davies qui nous disait la semaine dernière que l’important n’est pas de tout vouloir apprendre, mais d’apprendre à apprendre. Action. Move on. Quand un chien va chercher la baballe, il fait de l’art. 

             La dernière obsession de cet immense artiste éphémère sera de vivre chaque seconde de chaque jour de sa vie - Every second - La vente au détail de l’éphémère. L’épicerie de l’éphémère. Que n’invente-t-on pas pour se distraire de ses obsessions ! Vers la fin du film, il évoque aussi le chaos, et le mot chaos résonne bien dans la voix - Kahosss - Chacun sait que le chaos, c’est la vie, on dit même «la source de la vie». Bowie sent comme tous les gens d’un certain âge qu’on est entrés avec le nouveau millénaire dans une nouvelle ère de chaos, alors il recommande d’adapter notre spiritualité à ce nouveau millénaire, mais sa voix ne porte pas. C’est un peu comme s’il entrait en contradiction avec tout ce qui précède. Que peut-on adapter quand on ne décide de rien ? Pour une fois qu’il veut prophétiser, il se vautre.   

    Signé : Cazengler, David Bouillie

    Brett Morgen. Moonage Daydream. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock - Go Rockats go !

     

             Si l’avenir du rock préfère les chats aux pingouins, c’est très certainement à cause de Charles Baudelaire. Chaque fois que l’occasion se présente, il ressort la fameuse strophe du chat, prenant bien soin d’en faire miauler les syllabes, le chat mystérieux qui se love, le chat séraphique dont le poil s’électrise, le chat étrange dont les griffes entrent dans tes cuisses quand il ronronne, oui, il a raison Baudelaire, tout en lui est, comme en un ange, aussi subtil qu’harmonieux. Notez-bien que Baudelaire aurait pu dire exactement la même chose du pingouin, et qui tout est, comme chez le chat, aussi subtil qu’harmonieux - il suffit de voir le blanc/orange/noir de sa parure trancher sur l’azur prométhéen - aussi mystérieux par le fait qu’on ne sait jamais s’il fait cui-cui ou coin-coin, aussi séraphique, par le moiré palpitant de ses orifices sensibles, aussi étrange que peut l’être le chat dans sa capacité à supporter les plus grands froids tout en restant digne. Dommage que Baudelaire ne soit pas allé admirer les petits pingouins du Cap au Jardin d’Acclimatation pour composer des vers, et les proposer ensuite au grand éditeur anglais Penguin. Anatole France a été plus malin que Baudelaire : il s’est jeté à l’eau avec L’Île Aux Pingouins. Bon, on n’est pas là pour pérorer sur les pingouins. Revenons à nos moutons, avec une hypothèse farfelue : admettons que Baudelaire soit un poète contemporain, comme l’est Michel Houellebecq. Il n’aurait jamais consacré un poème au chat, devenu beaucoup trop ringard. Non, Baudelaire porterait des tatouages et il consacrerait un poème aux chats modernes, c’est-à-dire les Rockats : «Dans ma cervelle se promènent/ Ainsi qu’en leur appartement/ De fort beaux Rockats wild et charmants/ Quand Dibbs miaule, on n’entend plus que lui/ Tant son timbre est raw and sharp/ Mais que sa voix s’apaise ou gronde/ Elle est toujours riche et profonde/ C’est là son charme discret de la boue choisie.» Et en conclusion, Baudelaire ramènerait sa vieille botte de Nevers : «Non, il n’est pas de stand-up qui morde/ Sur mes reins, parfaite chaloupe/ Et fasse plus royalement/ Chanter sa plus vibrante corde/ Que ta voix, Rockat mystérieux/ Rockat séraphique, Rockat étrange/ En qui tout est, comme en un rêve de bop/ Aussi sauvage que wild as fuck !

     

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             C’est grâce à Simon Noot, dans Vive Le Rock, que tu apprends la bonne nouvelle : les Rockats font leur grand retour cette année avec Start Over Again. Non seulement tu apprends la bonne nouvelle, mais tu tombes sur une double de rêve : tu vois Smutty Smiff prier plein pot sur toute la double. Il porte une chemise à jabot et ses mains sont tatouées. Là, tu entres sur le territoire des dieux, chez les wild cats.

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             Les Rockats nous dit Noot furent les pionniers du revival rockab des années 80 en Angleterre. Smutty Smiff est à gauche, sur l’illusse. Pour leur première tournée américaine, en 1978, les Rockats qui s’appellent encore Levi & the Rockats ouvrent pour les Cramps au Max’s Kansas City. En Angleterre, les Rockats s’acoquinent avec les punks et jamment avec toute la bande des Joe Strummer et des Billy Idol. Smutty a la chance de voir Charlie Feathers et Mac Curtis sur scène au Royalty. C’est aussi l’époque où Leee Black Childers vit à Londres avec les Heartbreakers. Comme chacun sait, Childers est un gros fan de London rockabs. Il monte Levi & the Rockats et demande à Smutty quel instrument il veut jouer, et pouf, stand-up. C’est Billy Rath qui lui apprend à jouer de la basse. En 1978, Smutty est déjà couvert de tatouages. Il explique qu’il a grandi à Southend On Sea, dans l’Essex, et son grand-père, vétéran de la Royal Navy, était couvert de tatouages. Et tous les Teds du coin étaient tatoués. Alors, Smutty s’y est mis dès 15 ans. Quand Leee Black Childers rentre aux États-Unis, les Rockats le suivent. Childers a tous les contacts à New York et à Los Angeles. Smutty rencontre les Stray Cats à Long Island et leur dit qu’ils feraient un carton en Angleterre, ce qu’ils ne vont pas manquer de faire.

             Smutty pense que le rockab tient bien le choc : «Rockabilly will always attract a young audience. It’s feel-good music that makes you want to move.» Puis il rend un hommage fantastique à Carl Perkins : «The Rockats most rockabilly prestigious show was probably with Carl Perkins, who we opened for at a venue called the Lone Star Café in Lower Manhattan around early 1980.» Et il ajoute, haletant : «He was to us true rackabilly royalty.» Et comme Carl est un mec bien, il dédicace une photo pour Smutty en écrivant : «Keep slappin’ that bass!».

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             Start Over Again starte avec une belle cover de «Nervous Breakdown», sacrément bien tapée au I’m ahh-having ahh, c’est prodigieux, fantastiquement tenu en laisse, avec un joli background de boppin’ beat, et petite cerise sur le gâtö, Clem Burke bat le beurre. Dibbs Preston est toujours aussi à l’aise au chant, il a derrière lui une fière équipe. Sur «This Is The Night», ça boppe bien le blues, comme dirait Carl Perkins. Le balda est assez rock’n’roll, même si l’on entend du gros foutoir derrière, ils tapent le «You’re My Baby» de Johnny Cash au you’re my sugar. Ils ramènent une belle pulsation rockab dans «Rock Baby Rock (All Night Long)», on sent bien le slap au creux des reins, une vraie pulsion de vie, un beat unique d’all nite long. Mais attention, la viande est en B. Ils tapent leur morceau titre au heavy blues. C’est un album plein de son dont on ne se lasse pas, et boom !, voilà le heavy rockab down the pike tant attendu : «Lucky Old Rockabilly (Walking Down The Pike)». Heavily balancé, chanté dans la force de l’âge, Dibbs a toujours ce beau brin de jeunesse éternelle dans la voix. Pire encore : voilà «Rock Around With Ollie Vee» ! Les voilà partis sur les traces de Buddy Holly au wild as fuck, tu as Smutty Smiff qui t’explose ça au slap ! Encore encore un joli shoot de wild cat strut avec «Rockabilly Doll», ils y vont au cool cat cool et au c’mon be my rockabilly girl. Pur jus d’excellence. Ils terminent avec un «Tanya Jean» affreusement bien chanté. Ce mec Dibbs est un bon, il chante goulûment, avec des accents hédonistes.

             Profitons-en pour ressortir quelques vieilles reliques de l’étagère.         

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             En 1981, année de l’élection de François Mitterrand, paraît un album de Levi & The Rockats enregistré live At The Louisiana Hayride, là où Elvis fit ses débuts sur scène. Alors autant le dire tout de suite, Levi c’est pas Elvis. Ils démarrent avec «Rock-A-Billy Idol», un big fat rockab de superbe allure. Ah on peut dire qu’ils ont de l’énergie à revendre, mais au fil des cuts, on s’aperçoit qu’ils sont trop rock’n’roll. Ils font une belle cover d’Eddie Cochran, «Tired & Sleepy» - Oh baby so tired - et passent au heavy lonesome avec «Lonesome Saturday Night». Globalement, c’est bien vu, bien amené au come back baby. Levi sait groover son bop. En B, ils tapent un classic jive de «Crazy Baby» et enchaînent avec un «Love This Kat» bien rampant - Don’t treat me like a dog - Ah il est pas si mal, le petit Levi. Ils terminent en pure rockab madness avec «Note From The South». Ils sont merveilleusement dévoués à la cause du peuple, yeah baby !  

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             Le Live At The Ritz des Rockats n’ira pas sur l’île déserte. Inutile d’insister. L’album est beaucoup trop rock’n’roll. Ils sont beaucoup trop classiques, trop «My Way», trop groove de Ritz au lait. Pourtant, ils y croient dur comme fer. Il faut attendre «50 Miles From Nowhere (A 1000 Miles From Home» en B pour renouer avec le wild as fuck, ils jouent ça ventre à terre. On trouve enfin une belle pulsion rockab dans «(Knockin’) At My Front Door». Big boppin’ ! Ils ne s’éloignent pas trop du rivage, mais ça pulse bien entre tes reins. Le vrai wild cat strut se trouve en bout de la B des cochons : «I Wanna Bop». Ils démontent la gueule du tempo pour mieux le chalouper des hanches. Joli shoot de wanna bop.         

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             Le Make That Move paru en 1983 n’est pas un très bon album, dommage, car la pochette est superbe. On est échaudé dès le «Burning» d’ouverture de bal. What’s that ? Certainement pas du rockab. Ils font une espèce de sale petite pop-rock. Méchante arnaque ! L’album s’enfonce tout seul dans le malaise. Ils vont même aller singer les Stray Cats avec «Go Cat Wild», mais ils n’ont absolument aucune crédibilité. Ils font des petits oh oh oh de super cons, ils deviennent awfully ridiculous avec «Never So Clever», on se croirait au bazar d’Istambul. On ne sauve qu’un seul cut sur cet album : le morceau titre, bien lancé à travers la plaine au big bad bop, c’est même claqué des mains sous le boisseau, quel dommage de tout l’album ne soit pas de ce niveau !         

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            Après un blanc de douze ans, les Rockats refont surface avec l’excellent The Good The Bad The Rocking. C’est un pur album de wild cats, bing bong, ils te sonnent les cloches dès «Doghouse» - Hey the doghouse made of stone/ Hey the doghouse that’s my home - c’est du wild boppin’ craze, gorgé de congestion rockab et d’eeeehhh the doghouse ! Pas de problème, tout l’album va rester au même niveau, ils enquillent les wild struttings un par un, «Pink & Black Cadillac», aw comme ils sont bons, il travaillent bien leur wild as fuck, ils sont une bénédiction pour l’humanité. On a toujours le couple infernal Stephen Dibbs Preston et le wild slinger Barry Ryan qui te claque un solo de revienzy dans «Say You’re Mine». Belle énormité encore que ce «Rolling Like A Wheel», en s’en pourlèche les babines, tellement c’est inspiré, ils tapent ça au sommet du lard, ‘cause baby I’m rolling. Retour au cœur du mythe avec «Love You Anyway», ils sont en plein dans l’oss de l’ass du rockab, ils te pulvérisent vite un cut, ces cats ! Et Barry Ryan envoie une fabuleuse giclée de bouillasse en plein dans l’œil du love you anyway. Ils restent dans l’énormité avec «Off You Rocker», cut plein d’esprit et plein d’oh yeah. Aw comme ce Dibbs est bon, il rebondit sur les coups de boutoir du stand-up. Avec «Too Bad She’s Bad», ils te groovent le rockab par la bande et ils terminent au pur drive avec «She Ain’t My Gal», ils foncent droit dans le mur, c’est chanté au lard de cat et derrière ça pulse dans la purée. Alors là, oui ! Mille fois oui ! 

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             Rollin’ Thunder est un album qui porte bien son nom : bienvenue au paradis avec une vraie rafale de wild cuts. Rockab pur dès «True Hearted Woman». Encore du wild as fuck avec «Sweet Lips», tu crois rêver, Dibbs y va au yes I know. On croise pas mal de coups de génie sur cet album, à commencer par cette version demented de «Lonesome Train» et ça fait le train au beurre. Magnifique ! Version magique aussi de «Matchbox», le vieux classique du grand Carl, c’est le sommet du lard, rien de plus sauvagement sourd que ce Matchbox, ils le jouent à la black. Ils tapent aussi une cover du «Rocky Road Blues» de Gene qu’on va dédier à Damie Chad. C’est d’une violence incroyablement maîtrisée. Les Rockats sont vraiment bénis des dieux. Ils jouent le morceau titre sous le boisseau, big shoot d’insidieux, passé au slap de génie. Les Rockats combinent toutes les bonnes combines : le boisseau, le slap, le génie prévalent et le pulsatif. Ils font aussi une cover de l’«I’m Cryin’» des Animals et rendent hommage à Johnny Burnette avec «Rockabilly Boogie». Version live, encore une belle énormité, ils sont au cœur du rock/rock/rock/rockabilly boogie ! Ils terminent avec une vaillante version de «Driving Wheel», pur rockab strut, ils y vont, fiers comme des conquérants, ces mecs jouent à la vie à la mort. Rockats forever !

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             Encore un big album avec Wild Love qui date de 2003. Le coup de génie de l’album s’appelle «Dyn-o-mite». Boom !, comme son nom l’indique. C’est même violemment bon, bien groové sous le boisseau du bop d’argent, c’est trié sur le volet du rockab, une vraie dentelle de Calais, c’est fabuleux de my baby treats me right. L’autre coup de génie s’appelle «Whiskey Boys». Tu n’en finis plus avec ces princes de la nuit, ils te drivent ça avec tout le raunch du monde et Barry Ryan agit dans l’ombre. Ce cut est une merveille littérale, là tu bouges son cul, tu frétilles comme un canard et Barry Ryan te passe un solo d’effarance maximaliste. Ils te claquent si bien le beignet que tu tends l’autre joue. Tu es là pour ça, de toute façon. Ils font aussi une magnifique cover de «Be-Bop A Lula», avec un don’t need a maybe d’antho à Toto. On peut aller jusqu’à dire que c’est la meilleure des versions, après la version originale, bien sûr. Dibbs a tous les réflexes de Gene. On se régale aussi du «Long Gone Daddy» embarqué au see that train. Fantastique ! - See that train rollin’ down the trail - Encore de la bonne viande avec «Time Goes By», wild rockab d’ouverture de bal, suivi d’un «Cold Outside» encore plus wild, bien slappé dans les flancs, tu peux y aller, les Rockats te rockent bien le butt, ils sont purs et fins. Ils passent en mode boppin’ the blues avec «Trouble Maker», ces mecs sont des cakes, ils ne vivent que pour le bop. Avec «Blue Teardrops», ils sont encore dans l’extrêmement vrai. Ils crapahutent au cul du cut. Et ils terminent cet album haut en couleurs avec l’«I Just Found Out» de Johnny Burnette.   

    Signé : Cazengler, cat du Graal

    Levi & The Rockats. At The Louisiana Hayride. Posh Boy 1981 

    Rockats. Live At The Ritz. Island Records 1981         

    Rockats. Make That Move. RCA 1983                                

    Rockats. The Good The Bad The Rocking. Fury Records 1995    

    Rockats. Rollin’ Thunder. Downer Records 2001  

    Rockats. Wild Love. Blues Leaf 2003     

    The Rockats. Start Over Again. Cleopatra 2022

    Simon Nott : Sticking to the bass-ics. Vive Le Rock # 96 - 2022

     

     

    Inside the goldmine - Younghearts of stone

     

             «À cœur vaillant rien d’impossible», scandait jadis Jacques Cœur. Pour faire écho à cette antique devise, notre malheureux compère Rico aurait pu scander «À cœur fragile rien de possible». Cœur fragile, mais batteur de tous les diables, il ne laissait aucun beat se perdre. Comme s’il voulait substituer un wild heartbeat au sien, défaillant. Il battait tout ce qu’il pouvait, s’épuisant physiquement, histoire d’alourdir un peu plus l’épée de Damoclès installée au-dessus de sa tête depuis qu’il était né. Pas facile d’échapper à son destin. Rico avait pris le courageux parti d’aller à sa rencontre et même de l’affronter. Affronter son destin, c’est ce que font les gens déterminés à ne pas traîner en longueur. Plus il battait le beurre, plus son visage se creusait. Peut-être ne s’en rendait-il pas compte, mais il finissait par nous faire peur. Vous avez déjà joué dans un groupe avec un cadavre ? Grâce à Rico, nous avions le sentiment d’avoir deux longueurs d’avance sur les Cramps. Sa peau devenait verdâtre à mesure qu’on avançait dans le set. Ses cheveux collés par la sueur étaient ceux d’une momie de pharaon égyptien. Comme il n’avait plus dents, un filet de salive coulait au coin de ses lèvres gercées. Il nous regardait à travers deux fentes. Alors qu’il avait les yeux clairs, une sorte de regard noir brillait au fond des fentes et nous n’osions plus le dévisager. Il était déjà mort lorsqu’on enregistra le premier album. Il l’était doublement au moment des répétitions des cuts prévus pour le deuxième album, des cuts qu’il composait dans sa tête de mort et qu’on montait ensemble tous les trois en répète. Chaque fois, il partait d’une idée de riff qu’il exhalait de sa bouche entrouverte avec un nuage de vapeur et nous donnait des instructions très précises sur la structure, tatata, sur le break, tatata ratata, le couplet suivant, la reprise et le pont, tatatata tu repars là, ratata, il battait le beat les yeux clos et on voyait son pauvre corps décharné penché sur des fûts qu’il installait le plus bas possible. Son génie macabre nous fascinait et nous ne perdions pas une seule miette de ses indications. Et puis un jour, nous l’attendîmes au studio. En vain, pendant trois heures. Il n’est jamais venu. Alors nous avons débranché les guitares et sommes rentrés chez nous sans mot dire. Car enfin, que pouvait-on ajouter ?

     

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             Ni cœurs vaillants, ni cœurs fragiles, mais cœurs jeunes, voilà les fabuleux Younghearts de Los Angeles, découverts sur l’une de ces compiles Soul qui te marquent la mémoire au fer rouge, That Driving Beat - A Collection Of Rare Soul Recordings, parue sur Soul Supply en 1986.

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             Un premier album sorti sur Minit en 1968 vaut sacrément le détour. Il s’appelle Sweet Soul Shakin’. Ils sont quatre lead singers, et c’est Charles Ingersoll qui emmène le morceau tire au paradis, accompagné par les guitares des Caraïbes, c’est une Soul fine et grouillante de vie, de groove et de good time, c’est tellement joué aux Caraïbes que ça bascule dans le génie. Charles Ingersoll revient en B swinguer «Oh I’ll Never Be The Same» à la pointe de la glotte. Ron Preyer chante aussi «The Beginnig Of The End» à la voix d’ange et on entend Carol Kaye monter «Get Yourself Together» sur un beau drive de basse. Nouveau coup de génie en fin de balda avec «Little Togetherness» attaqué au groove d’ange de lumière. L’ange Gabriel swingue la hot house, c’est digne de Marvin, insidieux, ça se glisse sous ta peau. On s’éprend aussi de «Misty» en B, car voilà un doo-wop digne des Flamingos, just perfecrt, posé dans un fondu d’harmonies vocales triées sur le volet. «Count Down (Here I Come)» est plus raw, c’est Earl Carter qui chante et le raw renvoie directement à Jr Walker. Wow, quel album !

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             Paru en 1973, Do You Have The Time est beaucoup moins percutant que l’album précédent. Ils attaquent leur morceau titre en mode funk californien, à l’image de la photo des trois Younghearts qui orne la pochette. Ils visent une sorte de paradis du groove, les nappes de violons sont celles de Marvin. Ils tapent aussi pas mal dans le groove de satin jaune, très chanté et très super-frotteur. «All The Love In The World» vaut pour une belle Soul des jours heureux, c’est monté en neige de Californie, c’est-à-dire noyé de lumière, avec une voix d’ange Gabriel charriée par les flots de lumière. Ils font de la Philly Soul californienne. L’autre merveille de l’album s’appelle «Don’t Crush My World», en ouverture de bal de B, une Soul allumée aux chœurs de gospel batch. Et puis on trouve un arrière-goût de Four Tops dans «Look What Your Love Has Done For Me». On les sent vraiment décidés à en découdre. L’album se termine avec «Do You Have Time», un groove de jazz de classe surnaturelle chanté à la gorge chaude.

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             Fantastique album que l’A Taste Of… paru en 1974. La pochette n’est pas très expressive, mais sur les neuf cuts de l’album, six sont bons, ce qui est quand même assez rare. C’est Ron Preyer qui fait la pluie et le beau temps sur cet album Tasty et ce dès «For The Rest Of My Life». Il fait l’ange Gabriel au ouh ouh baby. S’ensuivent deux hits somptueux, «We’re All God’s Children» - groove de satin jaune produit à outrance - et «You’re No Here With Me», groove digne de Marvin, violonné jusqu’à l’horizon. H.P. Barnum signe les arrangements. Si tu aimes l’élégance du groove, écoute les Younghearts - There’s nothing I can do - Trois autres merveilles en B : «Dedicate (My Life To You)», un heavy froti de sable chaud, Ron Preyer chante l’amour au sommet de sa glotte translucide et devient magique à force d’aw baby. Soudain, il explose et disparaît dans l’espace. S’ensuit un morceau titre en forme d’instro de good time music avec les violons de Barnum et ils finissent en heavy funk avec «Get On Down». Leur funk est délicieusement carré, pulsé, cisaillé à la fast cocote de wah sèche, get on down down down/ Do you feel it ?

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             Leur dernier album s’appelle All About Love et paraît en 1977. Il n’est pas aussi bon que le précédent et cette fois, la pochette flirte avec la putasserie des années 80. C’est essentiellement un album de Soul de satin jaune. Ron Preyer fait encore des miracles avec «Queen Of My Heart». Il n’a rien perdu de sa magie vocale et cette Soul de Los Angeles n’a rien à envier à la Philly Soul. Ils s’énervent un peu plus en B avec «Number One Attraction», un uptempo chanté à quatre épingles sur un plateau d’argent. Ron Preyer éclaire le monde. Cut après cut, ils restent dans l’upper Q, c’est-à-dire le top Quality system. «Didn’t I Give You Love» est encore une fast Soul gorgée d’échos de voix et qui flirte dangereusement avec les Tempts.

    Signé : Cazengler, Oldheart

    Younghearts. Sweet Soul Shakin’. Minit 1968

    Younghearts. Do You Have The Time. 20th Century Records 1973

    Younghearts. A Taste Of… 20th Century Records 1974

    Younghearts. All About Love. ABC Records 1977

     

    *

    En anglais le nom de ce groupe TEMPTRESS signifie Tentatricce, mais une fois que vous l’aurez écouté ne céderez-vous pas à la tentation de le traduire par Tempête… A vous de décider.

    TEMPTRESS

    ( K7 /  Old Magick Records / Juin 2019 )

    Un trio originaire de Dallas qui s’est fait remarquer dès la parution de leur premier EP.

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    Andi Cuba : drums , vocals / Christian Wright : bass, vocals / Kelsey Wilson : guitar, vocals.

    Ride your life : un sentier de basse et tout de suite le grand galop, vous voici empêtré dans un sonore manteau noir, la voix d’Andi d’une dureté inflexible vous appelle, elle s’offre, elle ne dit pas que sa chair est une bombe sexuelle mais vous comprenez que sa voix ne ment pas que la fente de son désir est l’abîme de la mort. Ride your lidfe ou ride your death s’équivalent, une guitare folle qui vous emmène jusqu’au bout de la nuit propitiatoire, une batterie sèche comme le désert et une basse pubienne qui vous pousse dans vos dernières pulsions. Sur YT une vidéo, petits moyens et grosse impression, un truc qui ne fait pas peur mais aussi gluant que les phantasmes qui vous agitent. Qui vous agissent. Hot rails : de toutes les vidéos c’est la plus belle, la plus accomplie :  le son tremble, dites-vous que le morceau précédent comparé à celui-ci est une ode printanière à la joie de vivre, celui-ci c’est la chappe de plomb liquide bouillonnant de l’apocalypse de la folie qui ruisselle sur vous en pluie diluvienne, une batterie osseuse, un vocal meurtrier, une basse qui pousse les murs, une guitare qui bulldozérise la réalité. Heavy woman : Pour les amateurs, sur YT une vidéo néronienne vous attend : Une entrée classique, heavy-doom-stoner, dès qu’Andy  brandit son vocal impérieux comme un coup de fourche qui  vous traverse le corps charnel et astral, vous comprenez que l’écoute ne va pas être facile, cette batterie qui crépite et rebondit tel un assaut militaire, cette basse qui annihile le monde et cette guitare qui brûle les ruines qui subsistent, vous avez l’impression que la géante de Baudelaire s’est échappée des Fleurs du Mal, qu’elle se rue sur vous, et qu’elle est beaucoup plus cruelle et vindicative que le poëte ne la pressentait.

    Consolation des d’oreilles rachitiques : cet EP ne contient que trois titres.  L’opus suivant en offre six. Qui s’en plaindrait ? Pas nous.

     

    SEE

    (Metal Assalt Records / Mars 2023 )

    Méditez sur le titre de l’album. Nul besoin d’aguicher le passant. Il suffit de regarder ou d’écouter pour comprendre.

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    Death comes around : des notes de basse aussi lourdes que des cercueils, un brouhaha de bruits confus, le monde s’éloigne de vous, une guitare lente qui déplacerait les pierres tombales, une batterie implacable, et une voix d’homme noyée en elle-même, l’extinction définitive se rapproche, la mort rôde aux alentours, elle n’est pas pressée, elle prend son temps, une procession funéraire se dirige vers vous, elle vient vous chercher, des trombes de guitare  ne se hâtent point, elles vous entourent, elles vous cernent, c’est la mort qui berce votre cercueil, des ombres noires se regroupent en silence autour de vous, la guitare pousse des cris d’agonie, elle expectore des gémissements encombrés de glaires visqueuses, la basse joue au métronome, bientôt il s’arrêtera. Into my soul : la suite, l’instant crucial, celui où l’image se confond avec son reflet, l’on a passé la barrière du souffle, la mort pousse les portes de l’âme, elle a encore des couloirs désespérément désertés à parcourir, le tempo est encore lent mais les cordes accélèrent, vous ne savez plus si vous êtes Andy qui chante ou si c’est Andy qui s’éteint, long tunnel électrique, la batterie s’alourdit, vous êtes ce que vous n’êtes pas et vous n’êtes pas ce que vous êtes, la musique sombre, elle s’engloutit en elle-même, cris de cadavres désespérés, vous n’êtes plus qu’une exhalaison mortelle de terreur, la guitare perçante fredonne votre requiem, la basse visse les vis de votre cercueil, un gong final et répétitif raisonne sans fin dans les atermoiements du néant. Waiting : éclats battériaux victorieux, monumentales fronces de guitare, le chant n’est plus qu’un dialogue hurlé, lyrics terriblement ambigus, éros et thanathos n’ont jamais été aussi emmêlés, les murs d’airains de la musique s’écroulent et s’exhaussent tour à tour, sont-ce deux naufragés de la vie ou de la mort qui se débattent pour parvenir à entrevoir leur véritable état, le rythme est lent mais d’une telle violence que plus rien n’importe, des coups brutaux retentissent, qu’annoncent-ils. La fin de quoi. Cry : moins funèbre que cette basse vous êtes déjà mort, la voix d’Andy glaciale vous le souhaite, rien n’est terminé, toujours la même douleur, sans cesse la même torture, rien ne change, ce qui est terminé peut recommencer il suffit de refaire les concessions que l’on a déjà vécues, la mort et l’amour sont un cercle infernal qui ne s’éteint jamais, une brûlure infinie. L’instrumentation atteint à un paroxysme rarement entendu. Serpentine : explicit vidéo sur YT : longue introduction, absence drummique, le désir sait se faire attendre, mélodie lascive, mèche à combustion lente, maintenant seule une basse angoissante, la guitare arrive tout en puissance, la tête du serpent se dresse, quel est le monstre, n’est-il pas mâle et femelle en même temps, ne faut-il pas que chacun joue son rôle, la mort est toute proche, le serpent au ventre étincelant, il dodeline sur un riff oriental bientôt atteint de transe, la voix oppressée devient suppliante, ogives gothiques de voix féminines maintes fois répétées. La mort sulfureuse tout en douceur. Homeless : vidéo médiévale en frontispice de Bandcamp : attention une guitare anonyme en début, c’est juste le premier cercle d’une spirale aspirante, un serpent de feu qui vous emporte en son tourbillon sonore, sans espoir, vous avez cru quoi, que vous assistiez à un film érotique, désir, soumission, jalousies, masochismes, propositions extrêmes, sadisme mental, prostitution, pornographie… là n’est pas le vrai message, juste des enjoliveurs rutilants pour le corbillard qui vous emmènera au cimetière, la mort est au bout de votre chemin, vous aurez beau dire, beau faire, résister, vous venger, elle vous attend. Ode au nihilisme. Magnifique.

             Noir de chez noir. Parcouru des flammes rouges de la luxure. Des lyrics qui parfois ne sont pas loin d’égaler ceux de Jim Morrison. Laissez-vous tenter par Temptress. Vous ne pouvez y perdre que votre âme. Ce ne sera pas une grande perte.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 12 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

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    Bart Weilburg né en 1962 a passé sa vie à jouer dans les bars, à Nashville, dans le Maine et en Oklahoma. Durant sept ans il a accompagné Wayne Hancock chanteur de country surnommé ‘’ The Train’’ pour ses concerts fleuve qui dépassaient facilement les quatre heures… après l’arrêt des tournées durant le covid il a décidé de travailler pour son compte. Il a sorti en mars 2022 un premier EP (six titres) Birdy’s Blues, il explique qu’il a enregistré pour les personnes qui après les concerts de Wayne Hancock venaient l’interroger sur les instrumentaux qu’il jouait durant le set. Un disque dédié aux amateurs en quelque sorte. Un an plus tard il récidive avec un album, instrumental bien sûr, que nous allons  écouter. Musicien accompli jouant de plusieurs instruments, passionné de country, de rock ‘n’ roll, de rockabilly, de western swing… il se présente comme un ‘’ retro vitalist bringing the old sound to the present day’’. Le profil idéal pour illustrer notre rubrique.

    WILD STRINGS

    BART WEILBURG

    (Album Numérique / Bandcamp / Mars 2023 )

    Bart Weilburg : guitar / Bobby Black : pedal steel guitar / June Core : drums / Christoffer ‘’ Kit’’ Anderson : electric guitar, electric bass, upright bass, Keyboards / Jim Pugh : organ.

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    Wild strings :   seul morceau de l’opus qui n’ait pas été composé par Bart Weilburg mais par  Big Jim DeNoon ( 1921 – 1978 ) multi-instrumentiste surnommé le géant du western swing qui connut son heure gloire dans les années cinquante, Django Reinhardt s’en est inspiré… : Qu’est-ce qui différencie la version de Weilburg, l’accompagnement rythmique un peu trop jazz à notre goût qui nous rend le son plus moderne, plus sixties, plus écoutable pour nos oreilles formatées, mais qui délaie quelque peu la virtuosité de l’original en nous obligeant à entendre autre chose que la guitare. Il donne son titre à l’album mais perso je l’aurais placé en dernière position, hommagiale pour sûr ! Strike it rich : nettement plus country, un régal cette guitare qui survole tout en laissant les autres s’exprimer, notamment la pedal steel qui vous embobine la cervelle, comparativement au premier morceau la rythmique de fond se fond agréablement avec l’ensemble (très beau travail de basse ), ici tout baigne dans l’huile, l’ensemble est d’une extraordinaire fluidité. Springtime in Oklahoma : intro nettement plus rockabilly, la guitare de Bart  faisant office de vocal, la basse envoie ses scuds, l’on glisse lentement vers quelque chose d’assez jazzy, à chacun son solo, une guitare glougloute d’une façon étonnante puis laisse la place à la batterie et l’on termine par des sonorités rockabillyiennes de bon aloi. Une conviction s’impose, ce n’est pas un guitar hero qui tire toute la couverture à lui mais un véritable groupe soudé comme un seul homme. Suzane Marie : attention la piste la plus longue et la plus lente, langoureuse presque, paresseuse sûrement, chacun y va tout doux, beaux effets de notes chamarrées, l’on verse dans un slow-jazz genre anaconda en période de digestion qui déroule ses anneaux pour être certain que tous les centimètres carrés de sa peau bénéficieront du soleil, engourdissement de la bestiole, certes l’on ne s’ennuie pas mais de temps en temps l’on aimerait marcher sur la queue d’un crotale colérique. Cette Marie vous ramollit vos ardeurs. Shuffle mode : l’on passe à la vitesse supérieure, pas tout à fait le TGV plutôt le tortillard agreste qui vous permet d’admirer le paysage, la guitare suit les glissements du terrain, heureusement que nous longeons le courant rapide d’un orgue qui pousse la guitare à imiter les ricochets que font les saumons quand ils remontent le courant. I want mine too : montée graduelle vers le plaisir, les fils électriques de la guitare de Bart prennent feu et l’on aime cela, rien de tel qu’un incendie aux flammes exacerbées et pointues comme des langues de serpent pour vous mettre en joie, d’autant plus que l’orgue s’en vient tamponner un peu violemment vos morsures, aux drums June Core se met à cogner sur sa cowbell comme s’il ne l’aimait pas et la guitare s’envole tel un aigle qui voudrait saisir le soleil dans ses serres. Pour le moment le plus beau morceau de l’opus. Paranoid twist : rien qu’au titre l’on a compris que l’on va déguster, un régal, imaginez un mix des plus beaux instrumentaux des early sixties, un truc joyeux qui vous emporte au septième ciel, avec ces vibratos qui semblent vous faire tomber de la lune sur laquelle vous étiez monté vous ne savez pas trop pourquoi, bref vous racontez n’importe quoi, c’est cela l’extase qui pulvérise le mur du son. Magnifique. Cette piste enfonce la précédente. Un must ! Vous n’en sortez pas tordu mais complètement vrillé. Shinbone Alley : danse macabre, pas la peine de prendre l’air triste, l’ensemble est tout joyeux, le morceau est construit pour laisser la guitare batifoler à sa guise du début à la fin, n’y a qu’au milieu qu’elle se permet un passage à vide pour repartir encore plus rapidement. Finit exsangue tout de même. Normal, c’était dans la série j’ai tout donné et Dieu n’a rien repris. Blue mountain holler : soyons cowboys ou ne soyons rien, les guiboles qui dansent et les pieds qui sautent pour éviter les balles que les colts des copains vous balancent entre les jambes pour savoir si vous tiendrez le rythme. Sur ce coup Bart est démoniaque, cabriole plus vite que l’ombre des tirs de ses camarades. Ceci n'est pas un bizutage. Ceci est une démonstration. Let’s have another : reprenons notre souffle, une rythmique cool et la guitare qui fait des pas de deux, hélas elle ne sait pas se tenir tranquille, se lance très vite dans une exhibition de haut niveau comme si elle sifflotait l’air de rien sans être consciente de votre ébahissement, l’hypocrite ! En plus elle en rajoute jusqu’à la dernière seconde. De quoi vous dégoûter de vous mettre à la guitare pour le restant de votre vie. Hundred dollar cigar : une bande-son parfaite pour nos rockambolesques, cela ne ressemble pas à un instrumental mais à un générique de film rempli de rebondissements, vous tremblez pour la vie de l’agent Chad mais le Chef tire imperturbablement sur son cigare, il a raison vous avez un de ces solos de guitare qui sauveront le monde alors que vous croyez que tout est définitivement perdu. Course contre la mort. Pizzicato Pete : tiens il a dû écouter ce que je disais à l’écoute du premier morceau, joue aussi bien que Big Jim et les copains se font un peu plus discrets, superbe pizza tomato pizzacati, la meilleure que vous n’ayez jamais mangé. En fait c’est elle qui vous dévore tout cru.

             Quand c’est fini vous avez envie de traduire Bart Weilburg devant un tribunal international pour cruauté mentale, alors comme personne ne vous soutient, il ne vous reste plus qu’à écouter son premier EP pour vous réconcilier avec le plaisir de vivre :  

    BIRDY’ BLUES

    (Album Numérique / Bandcamp / Mars 2022 )

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    Hurricane : vous attendez l’ouragan, surprise, vous avez un jeu d’écume qu’une légère brise s’amuse à éparpiller aux quatre coins de l’océan puis à rassembler en un tour de main, z’avez ensuite la guitare qui imite la grosse voix, qui picore les olives des apéritifs, qui klaxonne comme une automobile coincée dans un encombrement, le message est d’une limpidité absolue : Bart Weilburg peut tout faire. Qu’on se le dise. I’m coming home : surprise un instrumental chanté, se débrouille bien le Bart, a dû emprunter le morceau au répertoire de Wayne Hancock, l’avait de la veine le Wayne d’avoir un tel guitariste, c’est comme si j’avais Marcel Proust pour écrire mes chroniques. Surfin’ tomatoes : le genre de bocal de marmelade que l’on emporterait au paradis parce que là-haut des mignardises aussi sucrées ça ne doit pas exister. Cet EP présente un petit côté m’as-tu-vu que l’on adore, toutes les quinze secondes une figure de style imposée, avec tous les tours qu’il offre il y en a qui vous les saupoudreraient sur un triple album. Under your spell again : attention encore un instru avec vocal intégré, cette fois la voix devant et la guitare qui assure discrétos, vous voulez du country en voici, en voilà, le tout expédié en moins de deux minutes et demie. Irréprochable évidemment. Daddy found a ferret : il court il court le furet du bois joli et de la guitare démoniaque fait ses gammes sans discontinuer, une démonstration de gymnastique sans défaut, le truc qui reçoit dix sur dix aux Jeux Olympiques. Birdy’s blues : entrée tout ce qu’il y a de plus jazzy, la suite aussi, pas vraiment ma tasse de tea for two mais l’on comprend la logique de ce premier EP,  Bart Weilburg a tenu à démontrer qu’il ne se limitait pas à un seul style, que son domaine s’étend à l’ensemble de la musique américaine populaire.

             Ce qu’il y a d’admirable dans ses enregistrements c’est qu’il n’y a jamais une once méprisante ( et méprisable ) de virtuosité gratuite. Tous les amateurs de guitare devraient se ruer dessus.

             Exceptionnel !

    Damie Chad.

     

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    Depuis trente ans PHILIPPE PISSIER parmi d’autres travaux herculéens, poursuit son projet titanesque de permettre au public français d’accéder à l’œuvre d’Aleister Crowley. Kr’tnt ! s’est toujours fait un devoir de signaler les parutions successives qui jalonnent cette œuvre de longue haleine.

     

    A LA CROISEE DES CHEMINS

    & AUTRES TEXTES

    UNE ANTHOLOGIE INTRODUCTIVE A L’ŒUVRE

    D’ALESTEIR CROWLEY

     Volume I

    ( Editions Anima / Décembre 2023 )

    Traduction : PHLIPPE PISSIER

    AUDREY MULLER / DIANA ORLOW / JEAN MATHIEU TAÏEB

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     Dans une longue introduction, Vincent Capes présente les principes qui ont présidé à la constitution de cette anthologie. La sulfureuse réputation de Crowley a éclipsé tout un pan de son activité, l’écriture par laquelle, ironie existentielle, il a redéfini les fondements de toute pratique magicke. Adolescent Crowley s’est voulu poëte, la poésie entrevue en son plus haut niveau jouxte les abstractions métaphysiques, le tour particulier de son esprit pragmatique l’a conduit à développer une interaction opératoire avec et sur le monde. Toute la difficulté de la compréhension de la démarche crowleyienne consiste à mener de front cette double relation prépositionnelle contradictoire avec et sur. Crowley n’est pas anglais pour rien, la lecture de Berkeley nous semble indispensable pour mieux entendre en sa toute complexité le modus vivendi théorique de l’acte magique.

             Crowley procédait du romantisme anglais, de Percy Bysshe Shelley et de William Blake, le désir de bâtir une œuvre littéraire s’imposa quasi naturellement à lui, ce premier volume cerne les modalités typiquement littéraires, nouvelles, roman, théâtre, visions (entendons ce mot en le sens où l’employa Lamartine que dans sa célèbre lettre à Paul Demeny, Arthur Rimbaud classa parmi les voyants ), essais littéraires, conférences. D’après ce que nous avons compris le deuxième opus devrait porter sur les aspects théoriques et pratiques de sa pensée, osons employer les termes de philosophie magicke. Vincent Capes, sans nier les efforts de notre scripteur, affirme que malgré ses grandes qualités Crowley n’est ni un prosateur de premier plan ni un poëte à classer parmi les plus grands. Nous partageons cet avis, mais que ces restrictions ne nous empêchent de nous pencher sur cet aspect de la Grande Bête.

    Le volume offre tout d’abord un ensemble de six nouvelles. Les intelligences moyennes les jugeront datées, à croire que les textes surréalistes ne portent pas l’évidence des stigmates scriptuaires de leurs cent ans d’âge. Certes elles sont marquées de l’estampille symboliste et fin de siècle, mais les lire selon cette aune historiale ne leur apporte – et surtout ne leur retranche - rien de ce que Crowley a voulu dire en les écrivant. Nous partons du principe très simple que le moindre mot écrit sur une page signifie avant toute chose, et en dehors de sa propre signifiance, ce que leur auteur a voulu nous signifier.

    Laissons de côté Stratagème qui à notre avis ressort principalement de l’esthétique du grotesque élaborée par Edgar Poe, elle se démarque trop des cinq autres. La nouvelle peut être considérée comme un acte gratuit, ainsi l’on peut rédiger des histoires remplies d’apparitions surnaturelles sans soi-même le moindrement croire à l’existence des fantômes. Tel n’est pas le cas de Crowley. Ces nouvelles ont pour thème la connaissance de soi et du monde par l’entremise de l’autre. Ici l’autre est la confrontation à ce que Goethe désigna à la fin de Faust par l’éternel féminin. Un barrage, une barrière qu’il faut surmonter, que l’on soit individu mâle ou femelle, afin de parvenir à une meilleure adéquation avec sa propre interaction avec le monde, car toute puissance se vérifie par un accroissement de sa maîtrise des êtres et des étants. Récits d’initiation qui ne sont pas sans surprise, l’abîme intérieur n’est que la reproduction du chaos du monde. Traverser l’un pour déjouer les pièges de l’autre n’est pas sans danger. Tout drame intime est le reflet d’une complexité extime. Ces nouvelles exposent en leur trame souterraine la nécessité ou l’inutilité d’une organisation ésotérique supra-individuelle afin de développer l’efficience de la facticité de ses propres progrès.

    Toute l’ambiguïté crowleyienne tient en ce dilemme entre la loi de base thélémite du Fais ce que tu voudras profondément anarchiste, voire libertarienne en le sens stirnérien, et la construction d’une organisation hiérarchique coercitive.

    Si les nouvelles ici présentées semblent pencher pour une préférence égotique, l’extrait de Moonchild, roman, met l’accent sur l’aide que peut apporter un ordre supérieur.

    Outre ces Contes Cruels, Villiers de l’Isle-Adam écrivit du théâtre. Axel est le plus parfait exemple de l’héroïsation manipulatoire de la mise en œuvre d’un concept afin d’en faciliter son enseignement. Il n’est donc pas étonnant que Crowley dans sa volonté didactitienne se soit emparé aussi de cette formalité littéraire.

    Crowley utilise une forme non novatrice, nous restons dans le droit fil du théâtre du dix-neuvième siècle, pour utiliser un repère français, ces deux drames ne jurent en rien avec l’esthétique hugolienne. Le scorpion est une terrible charge contre les religions dogmatiques, chrétienne et islamique. Crowley règle ses comptes avec son éducation rigoriste. Tout comme dans les nouvelles, la problématique de ’’ l’amour’’ qui puisse unir un homme et une femme reste le symbole d’un phénomène transitif d’élévation ou de reconnaissance. Notons la présence de l’Ordre du Temple. Dévoyé. La nef dénommée Un mystère. Beaucoup plus subtil que le précédent. Est-ce vraiment une parodie du sacrifice christianique, ou la marque de la difficulté de Crowley à s’affranchir totalement de son initiale culture chrétienne. Mystère et boule de gomme.

    La clameur du vingtième éclair est un extrait du livre La Vision & La Voix (traduit par Philippe Pissier et paru en juin 2019 ). Ces huit pages ne se résument pas, elles sont à lire, c’est en elles que se déploie le Grand Crowley tel qu’en lui-même il s’est aventuré à être, ces visions sont des fulgurances, des projections hors de soi de milliers de symboles élémentaires que l’on a recueillis en soi dans un désassemblage aléatoire et les voici subitement mis en ordre, avec une telle rapidité que leur assemblage nous échappe et se projette sur l’extériorité chaotique, lui insufflant sens, forme et réalité. Imaginez un miroir dont le reflet crée le monde qu’il reflète. Tête de Méduse dont le regard insufflerait la vie.

    Trois essais littéraires. Son Balzac est décevant. Crowley dresse le portrait du romancier réaliste, celui qui connaît le fonctionnement des hommes et les rouages de l’économie. L’en fait un éducateur, celui qui vous permet de comprendre la vie. Bref il loue le Balzac réaliste tel qu’on l’a longtemps peinturluré dans les manuels scolaires. De l’autre Balzac, celui entre autres de Louis Lambert et des écrits théoriques de ce personnage sur la notion de volition, lui le thélémite, il ne pipe mot. Etonnant ! Son Percy Bysshe Shelley est d’une autre ampleur même s’il lui faut dans un premier temps médire de Keats pour exalter l’auteur de Prométheus Unbound. De même dans l’essai précédent il a vivement critiqué Shakespeare pour tresser une couronne de laurier à Balzac. S’il révère la portée universaliste de la poésie de Shelley – entendez par là qu’elle transcrit et épouse admirablement jusqu’à la structure énergétique de la matière – il s’avère mauvais prophète, l’œuvre de Shelley ne rayonne plus de nos jours… Hélas. Ne nous attardons pas sur Le génie de M. James Joyce, fallait être courageux à l’époque de sa parution pour dire tout le bien que l’on pensait de l’auteur d’Ulysses qui ne commencera Finnegans Wake, son œuvre majeure, qu’en 1923.

    Gilles de Ray, conférence qui devait être prononcée à l’université d’Oxford, le cinq février 1930. Non ce n’est pas une défense exaltée des pratiques assassines qui furent reprochées au compagnon de Jeanne d’Arc mais une charge humouristique contre l’Eglise Catholique et la bêtise humaine. Délicieux !

    Appendice I : quelques poèmes érotiques directement écrits en français par Crowley, Rabelais et Ronsard ne sont pas loin… Un Appel au peuple Français rédigé en 1915, lui rappelant les traîtrises passées de leur allié britannique. A la gauloise poème publié en 1942 pour soutenir le combat de la France.

    Appendice II : Le Livre de la Loi traduit par Diana Orlow, une courageuse approche d’un des textes fondateurs de l’enseignement crowleyien.

    Appendice III : Une lettre de Fernando Pessoa à Crowley, éditée pour la première fois dans le Mensuel de Littérature Polycontemporaine  Alexandre ( N° 60 – Février 2000 ).

    Appendice IV : Texte inédit de Nicolas Ballet : Emergence d’une occulture industrielle.  Vincent Capes consacre toute une partie de sa préface à signaler combien les points d’intersections entre la culture rock et Aleister Crowley sont nombreux. Vincent Ballet analyse minutieusement en une quarantaine de pages le déploiement de cette accointance dans la musique industrielle qu’il décrit en tant que phénomène non pas culturel mais d’occulture. Si dans les années soixante les hippies à la recherche d’une nouvelle spiritualité ne cachent pas leur attrait pour le New Age, la Wicca, le bouddhisme, le zen et la méditation… après la tornade punk survient une génération d’artistes qui ne se reconnaissent plus dans la douceur de l’ésotérisme hippie, ce ne sont plus des marginaux mais des individus aux parcours extrêmes qui ont besoin d’ombre, de petits groupes discrets, qui appliquent le vieux mot d’ordre pour survivre tranquilles agissons cachés, d’où cette notion d’occulture… toute relative d’ailleurs car aujourd’hui les vidéos de Coil et Genesis P-Orridge pour ne citer qu’eux sont sur You Tube… Nicolas Ballet examine soigneusement les apports de d’Aleister Crowley et d’Austin Osman Spare à ce mouvement. A lire.

    Un volume indispensable aux amateurs avides de toute ligne de la Grande Bête et aux néophytes qui veulent entrer en douceur dans l’œuvre d’Aleister Crowley.

    Damie Chad.

     

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    EPISODE 20 ( Lascif  ) :

    105

    Par acquis de conscience nous avons continué à tourner dans le cimetière scrutant les noms inscrits sur les tombes.

              _ Agent Chad, aucun de ces morts ne se prénomme Ecila, cela m’a l’air d’un prénom assez rare, je pense que vous avons eu de la chance d’y tomber dessus par hasard, continuons nos pérégrinations, faisons en sorte que sur les 17 heures nous soyons à proximité de cette tombe, pour une première et rapide approche, 17 h 30 est l’heure de la fermeture des portes .

    106

    Une large dalle blanche d’une dizaine de centimètres d’épaisseur, à peu près au milieu de sa longueur s’étalaient les lettres ECILA… nous en fîmes le tour à plusieurs reprises sans rien déceler d’autre. Le Chef alluma un Coronado

             _ Etrange cette inscription solitaire, un prénom suivi d’aucun nom de famille !

             _ A moins Chef que ce ne soit justement le nom de la famille, les membres sont réunis dessous sous ce seul patronyme !

              _ Agent Chad votre hypothèse n’est pas idiote, elle ne me convainc pas entièrement, je ne sais pas pourquoi.

    Ce furent les chiens qui confirmèrent son intuition. Ils batifolaient depuis dix minutes autour de nous lorsque d’un commun accord ils se ruèrent sur une des longueurs du rectangle et se mirent à gratter frénétiquement arrachant les touffes du gazon qui la bordaient. Au début nous n’y prêtâmes que peu d’attention mais bientôt sur la tranche de la dalle apparurent deux lettres C et L que jusque alors les brins d’herbe voilaient.

              _ Je parie Ecila m’écriai-je !

    Les chiens achevèrent rapidement leur travail. C’était bien Ecila, mais le restant de l’inscription nous stupéfia : ECILA 19  -19  . Sur le coup le Chef éprouva le besoin d’allumer un nouveau Coronado.

              _ Le tombeau serait donc vide Chef !

              _ Agent Chad, rien ne vous empêche, espèce de tête de linotte, d’être prévoyant et d’acheter pour votre repos éternel, comprenez trente ans, une concession à perpétuité. Par contre ce qui est étonnant c’est que notre Ecila prévoyait de mourir avant le vingt-et-unième siècle…

              _ Tout de même étrange ne trouvez-vous pas ? Nous sommes en 2023 !

              _ Extrêmement mystérieux, agent Chad, nous en saurons davantage ce soir !

    106

    Il était une heure du matin, il pleuvait, une bise à vous glacer les os soufflait en rafales, Paris semblait désert, Carlos sifflotait en conduisant :

              _ Quelle bonne idée de m’avoir appelé je commençais à m’ennuyer dans mon nouvel home, il ne s’y passe grand-chose, au moins avec vous l’on ne sait jamais à quoi l’on va s’amuser… Bon, je m’arrête, vous descendez, je range ma Ford Cayenne dans une rue avoisinante, je lâche les chiens et je vous rejoins dans dix minutes.

    107

    Un véritable chronomètre Carlos, dix minutes plus tard un coup de sifflet nous avertit de son arrivée. Il y eut une espèce de raclement sur le mur une ombre passa au-dessus de nous et en un magnifique roulé-boulé Carlos se releva à nos côtés, il entreprit aussitôt d’arracher le scotch qui entourait un long paquet sombre. Le Chef alluma un Coronado :

              _ Je sais que c’est dangereux mais dans l’obscurité cela servira de ralliement si par hasard nous nous séparions. Je répète mes instructions : avec ce temps pourri je ne pense pas qu’il y ait grand monde. Si vous rencontrez quelqu’un pas de pitié pour les détrousseurs de cadavres un bon coup de barre à mine entre les oreilles, Idem pour des gardiens effectuant un tour de ronde. Les fonctionnaires trop zélés sont les ennemis du genre humain. En avant marche.

    Nous avions l’impression d’errer dans un dédalle. Carlos avait pris la tête de notre colonne. Il s’arrêta brutalement :

              _ Attendez-moi, je vais régler leur compte à ces petits malins qui viennent fumer un pétard, on ne les voit pas, mais je les sens !

              _ N’en faites rien Carlos, à mon avis nous ne sommes pas loin de la tombe de Jim Morrison, le devoir du Service Secret du Rock ‘n’roll est de protéger les fans !

    Nous nous remîmes en route. Carlos leva le bras. L’alerte était sérieuse, dans le silence l’on entendait des craquements de feuilles mortes trop réguliers pour ne pas être inquiétants. Il y eut comme un mouvement entre deux tombes. Une furtive pression s’exerça sur mon mollet. Molossa accompagnée de Molossito ! Tous deux prirent la tête du groupe. Vingt minutes plus tard nous avions atteint notre objectif.

    108

    Carlos avait-il été croque-mort dans une autre vie. Virer la stèle de marbre de son support fut un jeu d’enfant. Je me permets ici une comparaison, c’est un art qui tient du billard, imaginez que vous êtes autour d’un billard et que vous avez non pas une queue entre les mains, lectrices ne vous égarez pas, mais une barre à mine, c’est un peu comme si vous deviez marquer un point en trois coups, faut calculer au millimètre près, Carlos nous indiqua l’endroit exact où introduire le bout plat de notre ustensile, et hop en trois pesées la pierre tombale se retrouva soulevée comme par magie et glissa dans l’herbe, telle une feuille de papier qui vous échappe.

    Nous nous penchâmes sur l’excavation dégagée. Il faisait trop noir, nous ne vîmes rien. Le Chef alluma une lampe électrique dont il tamisa la lumière avec ses doigts.  Nous fûmes surpris. Le caveau n’était guère profond, un mètre vingt tout au plus. Une fois la plaque de marbre reposée, elle ne devait surplomber le cercueil noir, il y en avait un, que d’une trentaine de centimètres. Carlos tapota le bois :

              _ De l’ébène murmura-t-il, je suis certain qu’il contient une enveloppe de plomb !

              _ Ouvrons ! ordonna le Chef

    Nos trois barres-à-mine entèrent en action, un claquement sec, le bois céda, un grincement plus long, le plomb céda. Nous rabattîmes le couvercle. Ecila apparut.

    Nous fûmes subjugués par sa beauté, elle était intacte, son visage légèrement émacié, ses paupières creuses, ses lèvres décolorées trahissaient que sa mort remontait à plusieurs années. Mon cœur se serra en la contemplant, je songeai à mon Alice à moi, toute froide dans sa tombe, était-elle aussi bien conservée. Je me repris, je remarquais qu’elle n’était pas enveloppée dans un suaire de plastique. Cet outrage lui avait été épargné. Ses longs cheveux blonds avaient été soigneusement peignés, on l’avait parée d’une longue robe blanche, virginale, ses bras étaient croisés sur sa poitrine. L’annulaire de sa main gauche présentait un fin anneau d’or torsadé. Sa main gauche posée sur son cœur recouvrait un objet inidentifiable. Nous n’osâmes pas le lui arracher.

              _ Nous en avons assez vu, bougonna le Chef, Agent Chad, prenez quelques photos avec votre portable, je vous éclaire.

              _ Voilà Chef, c’est fait !

              _ C’est bien, refermons ce cercueil et laissons-là dormir en paix, vite que son exposition à l’air ne l’abîme pas.

    Nous nous préparions à reposer le couvercle lorsqu’une plainte déchirante déchira la nuit. Etait-ce Ecila qui ne voulait pas retourner dans sa tombe. Cette pensée nos traversa l’esprit à tous les trois, nos yeux se portèrent sur son visage. Ses lèvres n’avaient pas bougé ! En un réflexe de prudence Le Chef éteignit sa lance. L’ululement désespéré retentit mais si près que nous eûmes l’impression que l’un de nous trois l’avait poussé.

              _ Vite le couvercle et refermons la tombe, ordonna le Chef.

    Une force inconnue semblait repousser le couvercle, nous unîmes nos efforts pour clore cette séquence digne d’un film d’horreur, je glissai ma main dans l’entrebâillement, quelque chose bougeait à l’intérieur…

             _ Lumière Chef !

    Nous faillîmes éclater de rire, dans le halo de la lampe la frimousse de Molossito apparut, la pauvre bête paraissait terrifiée, je la saisis sans ménagement et la fourrai dans mon imperméable, elle se glissa sous mon tricot et ne bougea plus. Déjà le Chef et Carlos replaçait la dalle sur son support… Molossa avait disparu, la brave bête nous attendait devant la Ford Cayenne dans laquelle nous engouffrâmes. Nous étions essoufflés, repasser le mur du cimetière s’était avéré plus difficile que prévu…

    109

    De retour au local le Chef alluma un Coronado, j’ouvris une bouteille de Moonshine , Carlos se hâta de remplir les verres :

              _ Comment se porte notre chien d’attaque s’enquit-il.

    J’extirpai Molossito de sous mon tricot et le déposai sur le bureau, l’était encore tétanisé de frayeur, nous poussâmes tous les trois un cri de surprise, des deux côtés de sa gueule dépassait à la manière d’un bâton un étrange objet.

             _ Chef, je suis sûr que ce corniaud flairant la mort a poussé un premier hurlement de terreur et totalement paniqué s’est glissé à notre insu dans le cercueil lorsque vous avez éteint votre lampe. L’a eu la frousse de sa vie quand nous avons refermé le couvercle, il s’est affolé, ne savait plus ce qu’il faisait, ce qu’il tient entre ses dents doit être l’objet sur lequel était refermée la main d’Ecila !

    Délicatement je desserrai la mâchoire du chiot, l’objet roula sur le bureau, c’était une espèce de tube de métal, plus ou moins mangé par la rouille. Nous le regardâmes sans oser le toucher :

              _ je pressens une douille s’exclama Carlos

              _ J’opterai plutôt pour une bottle neck en acier pour jouer en slide m’écriai-je

              _ Non, vous vous trompez, le visage du Chef était devenu livide, je suis formel, un tube en métal pour Coronado !

    A Suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 537: KR'TNT ! 537 : JOE BOYD / ROD STEWART / LEMON TWIGS / WENDY RENE / MOTHER MORGANA / ALEISTER CROWLEY / DICK RIVERS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 537

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    13 / 01 / 2022

     

    JOE BOYD / ROD STEWART

    LEMON TWIGS / WENDY RENE

    MOTHER MORGANA / ALEISTER CROWLEY

    DICK RIVERS / ROCKAMBOLESQUES

    London Boyd

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    C’est un peu grâce ou à cause de Jac Holzman qu’on ressort de l’étagère l’autobio du Boston boy Joe Boyd, White Bicycles. Jac nomma Joe correspondant d’Elektra à Londres. Mais pour dire les choses franchement, on attaque le Boyd book avec une certaine appréhension car le nom de Boyd reste lié à la scène folk anglaise, Incredible String Band, Nick Drake et Fairport. Ce n’est pas l’univers de Mick Farren, if you see whant I mean. Et puis «My White Bicycle» n’est quand même pas la meilleure des références : ce n’est ni «Arnold Layne», ni «Strawberry Fields Forever» et encore moins «I Can Hear The Grass Grow». Dommage, car comme on va le voir, London Boyd avait aussi flashé sur les Move.

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    Chacun sait que les a-priori sont faits pour être dépassés. C’est leur raison d’être. Alors tu entres dans ce petit book la fleur au fusil et à ta grande surprise, ce texte vivifiant t’embarque aussi sec pour Cythère. Joe Boyd nous sert un cocktail surprenant, à base de vitalité du style, de background richissime, d’intelligence du regard, il frise parfois le Dylan de Chronicles, mais ce qui le hisse au niveau des grands mémorialistes que sont Robert Gordon et Peter Guralnick, c’est un sens aigu de l’histoire. Mac Rebennack dirait plutôt qu’il était au bon endroit au bon moment - The right place at the right time - Joe Boyd eut en effet la chance extraordinaire de vivre deux épisodes marquants de l’histoire du rock : le festival de Newport 65 (Dylan goes electric, accompagné par des membres du Paul Buttlerfield Blues Band), et l’UFO à Londres (découverte du Pink Floyd de Syd Barrett). Les vivre est une chose, les relater en est une autre. Et Joe Boyd nous les fait revivre comme si on y était. Voilà pourquoi il est nécessaire de lire ce petit book.

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    Voici ce qu’il dit du Newport 65 : «(Non seulement Dylan avait transformé ce festival) qui ne serait plus jamais le même, mais il avait aussi transformé la musique populaire et la ‘youth culture’. Tous ceux qui souhaiteraient raconter l’histoire des sixties sous l’angle d’un passage de l’idéalisme à l’hédomisme doivent situer le moment charnière autour de 9h30, le soir du 25 juillet 1965.» Un peu plus loin, Joe Boyd raconte qu’au moment où son ami Paul Rothchild se prépare à entrer en studio avec les Doors à Los Angeles pour enregistrer leur premier album, lui est sur le point d’entrer en studio avec le Pink Floyd à Londres pour enregistrer «Arnold Layne» - In 1966, the world was changing by the week - L’autre moment historique est le 14-Hour Technicolour Dream qui a lieu le 29 avril 1967 à l’Alexandra Palace - The underground was becoming the mainstream - avec à l’affiche Pink Floyd, Arthur Brown, Soft Machine, the Move, Tomorrow, les Pretty Things, John’s Children, Alexis Korner, the Social Deviants, Champion Jack Dupree, Graham Bond, Savoy Brown, the Creation et des tas d’autres luminaries.

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    Joe Boyd reste lucide sur l’impact des sixties et de ses idéaux : «L’idée que les drogues, le sexe et la musique pouvaient changer le monde m’a toujours semblé être d’une grande naïveté. Alors que les effets de la contre-culture grossissaient, ses valeurs se détérioraient. Alors que les revers politiques faisaient la une des journaux, les idéaux se diluaient plus tranquillement, mais quand même de façon marquante pour ceux qui le voyaient.» Joe Boyd fait bien sûr mention d’Altamont et d’autres faits divers, mais ce qui le choque le plus dans la dérive de la contre-culture, c’est cette image anecdotique tirée d’un roman de Michael Herr (Dispatches) : dans les hélicos, les mitrailleurs de l’armée américaine s’amusant à buter des fermiers vietnamiens pour le plaisir tout en écoutant Dylan et Hendrix sous leur cockpit headphones. Pour Joe Boyd, cette image met définitivement fin au mythe des sixties - That finished off what remained for me - Et il ajoute : «Aujourd’hui, quand les modes musicales changent, (les murs de la ville ne tremblent plus), ils sont couverts d’affiches publicitaires vantant les mérites de superficially subversive artists.» Joe Boyd nous épargne la liste des noms. On les connaît. Berk.

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    S’il craque pour Londres, c’est parce qu’en 1964, il se trouve à l’Hammersmith Odeon. À l’affiche, les Animals, les Nashville Teens, et les Swinging Blue Jeans qui ont comme invités Chuck Berry et Carl Perkins. Et là, Joe Boyd voit un truc incroyable : «White teenage girls screaming ecstatically at Chuck Berry», c’est-à-dire le pire cauchemar de l’Amérique, des blanches qui s’éprennent d’un nègre ! Mais ce n’est pas tout. Joe Boyd reconnaît une silhouette familière derrière le rideau, sur le côté de la scène. John Lee Hooker ! La nouvelle se répand vite fait dans le public. Des gamines commencent à crier : «Quoi ? John Lee ? Où ça ?». Et tout le monde se met à réclamer John Lee. John Lee ! John Lee ! Alors là, Joe Boyd est complètement scié : «C’est à ce moment-là que j’ai décidé de m’installer à Londres et de produire de la musique pour cette audience. En comparaison, America was a desert. Ces jeunes Anglais n’étaient pas une élite privilégiée, they were just kids, Animals fans. Et ils savaient qui était John Lee Hooker ! Aucun blanc en Amérique en 1964, excepté mes amis et moi, ne savait qui était John Lee Hooker.»

    À un moment donné, Joe Boyd a des ennuis avec la justice anglaise à cause des drogues. Joe Boyd n’est pas Keef, rassurez-vous, mais l’épisode lui a permis d’observer que la justice, anglaise comme américaine, s’en prend exclusivement à ce qu’il appelle the underclasses : «Pendant les sixties, les autorités s’effrayaient de voir autant de kids respectables prendre des drogues. À leurs yeux, c’était la fin de la civilisation. Aujourd’hui, les traders sniffent de la coke, des millions de kids prennent de l’ecstasy chaque week-end et la société continue de fonctionner normalement. Alors les autorités peuvent se concentrer sur les pauvres qui sont toujours aussi dangereux, en utilisant les lois anti-drogues à des fins d’intimidation et de rétribution.» Bien vu Joe !

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    Avant de débarquer à Londres, Joe Boyd fait aux États-Unis un parcours d’amateur sans faute. Dans les early sixties, il commence par bosser comme tour manager pour George Wein, le boss du Newport Festival : Joe accompagne en tournée les artistes de blues, de ville en ville, à travers les États-Unis, comme par exemple Sleepy John Estes et son harmoniciste Hammy Dixon.

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    Voici une belle anecdote : ils roulent toute la nuit et en arrivant à Syracuse, dans l’État de New York vers 8h45, ils voient un bar ouvert. Chouette ! Joe pense pouvoir entendre des histoires sur Robert Johnson et les Beale Street Sheiks pendant le petit déjeuner, mais ses espoirs fondent comme beurre en broche avec les bouteilles de bourbon qu’il doit acheter pour Sleepy John et Hammy - They were drunk by 9.30 and out cold by ten.

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    Joe Boyd accompagne aussi en tournée Brownie McGhee, Sonny Terry et le Reverend Gary Davis. Ils se produisent dans les coffee houses et les folk blues festivals - Originaires de Caroline du Sud, Brownie et Terry avaient suivi Leadbelly on to the 1940s folk circuit - Puis Joe nous brosse des trois personnages des portraits extrêmement pertinents : «Brownie était un habile finger-picking guitarist. Il était assez rond. Il marchait avec une cane et boitait. Derrière son apparente politesse, il y avait une énorme amertume : le fait d’avoir joué pendant des années pour des publics blancs avait laissé des traces. De son côté, Sonny était le génie du rural blues harmonica. Il était aveugle de naissance. Il était si gentil et si déférent derrière ses lunettes noires qu’on ne savait jamais ce qu’il pensait. J’ai découvert qu’une fois sortis de scène, Brownie et Sonny ne pouvaient pas se supporter. La seule chose sur laquelle ils arrivaient à se mettre d’accord, c’est qu’ils ne voulaient aucun contact avec le Reverend Gary, sans doute à cause d’une histoire ancienne.» Joe passe ensuite au Reverend Gary Davis, aveugle lui aussi. Pendant l’entre-deux guerres, il a sillonné les routes et prêché dans tout le Deep South. C’est dans le Bronx new-yorkais qu’on a découvert nous dit Joe «ses monumental skills in a long-forgotten ragtime picking style», et des tas de petits blancs sont venus chez lui prendre des cours de guitare - Gary avait une sacrée allure. Son menton était couvert de chaume gris. Il portait un chapeau fatigué et un vieux costume noir tout froissé. Quand ses lunettes noires glissaient sur son nez, on voyait le blanc de ses yeux d’aveugle. Un matin au breakfast, il horrifia Rosetta Tharpe et son mari/manager Russell : il attrapa d’une main tremblante l’œuf sur le plat qu’on venait de servir, le positionna au dessus de sa bouche ouverte, et, alors que le jaune d’œuf s’écoulait goutte à goutte sur sa chemise, il l’enfourna d’un bloc. Le blanc dégoulinant de graisse dépassait encore de sa bouche alors qu’il était en train de mâcher.

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    Joe Boyd adorait ces vieux personnages hauts en couleur, mais il avoue que de se s’occuper du Reverend Gary était un boulot à plein temps. Pour lui, il n’existait pas de meilleurs guitaristes que Sister Rosetta Tharpe et le Reverend Gary Davis. Joe accompagne aussi Rosetta en tournée, une Rosetta qui dit un jour à Joe : «By the time I was eighteen, I had my boots laced on up to my hips !». Quand elle eut des hits dans les années 40, Rosetta put acheter une maison avec son mari Russell à Philadelphie. Rosetta portait aussi nous dit Joe «une perruque rouge, un manteau de fourrure et des talons hauts. Elle était déjà allée jouer plusieurs fois en Europe» - Se retrouver assise pour le breakfast à côté du Reverend Gary, le genre d’homme qu’elle avait croisé 35 ans plus tôt sur les routes poussiéreuses de l’East Texas, ça n’était pas du tout ce qu’elle imaginait en acceptant de participer au Blues and Gospel Caravan qui allait débarquer en Angleterre. Encore un moment historique au crédit de Joe Boyd, qui en est l’un des acteurs, puisqu’il en est le tour manager - La tête d’affiche de la tournée était Muddy, un homme d’une extraordinaire dignité. Il se tenait très droit et s’habillait sharp. Il portait toujours un fedora, une petite cravate grise et une chemise blanche immaculée. Son regard était bon, mais il restait prudent avec moi - Joe Boyd vénère aussi the ceremonial priest of an exotic religion, Roland Kirk, «blowing continuous arpeggios in three-part harmony usisng his circular breathing technique».

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    Comme Joe grenouille dans le milieu des musicologues du blues, il finit par croiser ces deux croisés de la musicologie que sont Alan Lomax et Harry Smith. Lomax est allé dans les campagnes les plus reculées des Appalaches et du Deep South pour enregistrer ce qu’il appelle the field recordings. Quant à Harry Smith, il est connu dans le monde entier pour son masterful Anthology Of American Folk Music. C’est lui qui a enregistré Bukkah White. Et là Joe Boyd devient fascinant, car il nous dit pourquoi ces deux hommes sont tellement différents, cette différence qui existe entre l’avant-garde (Smith) et la old guard (Lomax), une différence qui allait conduire au fameux clash de Newport 65 : «Lomax était un ours, un coureur de jupons, un homme sûr de lui et de ses théories à propos de l’interconnexion entre les musiques des divers continents. En allant avec son magnétophone fréquenter les bagnards des chain-gangs du Mississippi et les Italiens qui exploitaient des champs de tabac, il avait développé des manières un peu rudes. Quant à Smith, il était devenu accidentellement collectionneur d’enregistrements de musique traditionnelle. C’était un homosexuel qui tournait des films expérimentaux, qui parlait plusieurs Native American languages et qui fumait fréquemment des joints. Sa collection de disques recouvrait presque entièrement le sol de sa chambre au Chelsea Hotel, pas très loin de l’appartement de Lomax on the West Side. Les chanteurs de folk new-yorkais préféraient les field recordings de Lomax, alors les musiciens de Cambridge, Massachusetts, préféraient les 78 tours commercialisés par Smith : Big Bill Broonzy, Jimmie Rodgers, the Carter Family et Blind Lemon Jefferson furent des stars des années 20 et 30 pour des raisons évidentes. Leur dimension artistique surpassait de très loin celles des amateurs qu’enregistrait Lomax. Alors Lomax voyait d’un sale œil cette commercialisation. Lors d’un dinner party à Londres dans les années 80, je lui fis remarquer que les folkloristes et les producteurs étaient des professionnels qu’on payait pour enregistrer de la musique destinée à un public ciblé. En guise de réponse, il m’invita à sortir pour continuer le débat à coups de poings.»

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    C’est à Cambridge, Massachusetts, en 1963, que Joe Boyd entend chanter Bob Dylan pour la première fois : «Je suis tombé au sol comme si on m’avait assommé. Pendant un long moment je n’ai pas pu bouger, et j’en avais les larmes aux yeux. (Ça se passait quelques mois après la crise des Missiles à Cuba). Aussitôt après ‘Hard Rain’, il enchaîna avec ‘Masters Of War’. Dans la petite pièce, la voix nasale de Dylan et son strumming de guitare vous enveloppaient.» Joe voit Dylan évoluer rapidement entre 1963 et 1965, il le voit échapper aux chapelles et prendre une avance considérable, prêt nous dit Joe à lancer l’assaut final sur la forteresse de l’American popular music - The next time our paths crossed, at the ‘65 Newport Folk Festival, I would help him storm the citadel - On est ravi que deux esprits aussi brillants se soient rencontrés.

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    Plus loin, Joe Boyd compare les deux cultures : l’anglaise et l’américaine. Il observe que les Anglais qui montent un groupe sont souvent plus originaux que ne le sont leurs collègues américains, trop respectueux de leurs racines musicales pour les recréer - Dylan, always the exception, was almost British par son insouciance, sa grâce vocale et la fluidité de sa technique de jeu - Et là, Joe Boyd pousse fabuleusement son raisonnement : «Dans une interview, Keith Richards explique qu’il n’avait au moment de sa rencontre avec Jagger qu’un seul EP, un EP que je connais bien sur Stateside, sous licence Excello, avec Slim Harpo d’un côté et Lazy Lester de l’autre. À force de l’écouter, ils ont rincé cet EP jusqu’à la corde. C’est une façon de voir les Stones comme une South-East London adaptation of the Excello style. S’ils avaient eu plus de disques, leur musique aurait sans doute été moins distinctive.» C’est sa façon de rendre hommage aux Anglais et à leur sens inné de la recréation.

    Quand il débarque pour la première fois à Londres au printemps 64, Joe voit les Pretty Things sur scène - I was impresssed, not so much by the derivative music, but by the show - Il trouve Phil May très efféminé. Plus tard il deviendra ami avec Phil et fera deux découvertes : «Un, l’autre talent de Phil est le tennis, dans les années 80, il m’a appris à améliorer mon revers. Et deux, Phil a toujours été bisexuel.»

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    C’est là que Joe Boyd apporte un éclairage fondamental sur la découverte du Paul Butterfield Blues Band : il se trouve un soir dans un club de McDougal Street, the Kettle of Fish, pour voir jouer Son House - the latest blues legend to emerge from the mists of history - À la même table, se trouve l’un des héros de Joe, Sam Charters, l’auteur de The Country Blues. Joe dit à Sam qu’il part à Chicago, mandaté par son boss George Wein pour rencontrer Muddy, et Sam lui dit : «Well there’s a band there you have to hear.» Joe se marre : «C’mon Sam, je sais tout de Magic Sam, de Buddy Guy, d’Otis Rush et de Junior Wells», des gens précise-t-il qui étaient alors encore inconnus. Et Sam lui dit non, «c’est un groupe avec des white kids et des black guys, led by an harmonica player called Paul Butterfield». Sam insiste pour que Joe aille les voir. Et il lui donne le nom du bar où joue ce groupe. Le lendemain matin, Joe appelle Paul pour lui raconter cette histoire. Paul prend l’avion pour Chicago immédiatement. Joe de son côté voyage en bus et arrive un peu plus tard. Bizarrement, cette info n’apparaît pas dans les deux Elektra books. Rothchild ne dit pas que l’info sur Butter venait de Joe, via Sam Charters. Joe et Paul se retrouvent donc dans ce bar de Chicago et quand Joe arrive, il voit Paul et Butter en train de se mettre d’accord sur les termes d’un contrat. Et quand Joe voit enfin jouer Butter, il est sidéré : «It was Chicago blues, hard edged and raw with nothing folk or pop about it.»

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    Retour au Newport 65. C’est Peter Yarrow de Peter Paul & Mary qui impose Butter au comité du festival. Les gens du comité sont attachés aux traditions et ne veulent pas entendre parler de modernité ni d’électricité. Joe : «Peter Paul & Mary étaient managés par Albert Grossman, l’ancien propriétaire d’un club de blues à Chicago qui était devenu l’équivalent américain de Brian Epstein. D’anciennes photos nous montrent un Grossman avec des petits yeux derrière des verres sans montures et vêtu d’un costume cravate. Depuis, ses cheveux étaient devenus gris et il portait des jeans. C’est Sally, sa femme, qu’on voit sur la pochette de Bringing It All Back Home avec Dylan. Grossman avait conduit Peter Paul & Mary au succès et il se préparait à y conduire Dylan.» Dans ce chapitre qu’il faut bien qualifier d’historique, Joe apporte des éclairages capitaux : «À l’exception du loyal Yarrow, le comité organisateur du Newport Folk Foundation haïssait Grossman.» Lomax qui faisait partie de ce comité organisait son Blues Workshop en marge du festival proprement dit. Il y programmait cette année-là Robert Pete Williams et Son House. Butter devait suivre et comme Yarrow l’avait imposé, Lomax l’avait accepté de mauvaise grâce. Alors pour introduire le set de Butter, il annonça some kids from Chicago qui ont besoin de tout un équipement électrique pour «essayer de jouer le blues». Grossman qui était aussi le manager de Butter était furieux. Au moment où Lomax passa devant lui, Grossman lui lança : «That was a real chicken-shit introduction, Alan», et Lomax bouscula Grossman. Puis, comme si ça ne suffisait pas, Lomax convoqua une réunion d’urgence du comité d’organisation, sans prévenir Peter Yarrow, bien sûr, pour un vote d’urgence : il voulait que le comité bannisse Grossman du festival - His crimes included not just the ‘assault’ on Lomax but being a source of drugs - Quand George Wein fut mis au courant de ce vote, il expliqua au comité qu’on ne pouvait pas virer Grossman, car tout le monde allait se barrer avec lui : Dylan, Peter Paul & Mary, Odetta et Butter, c’est-à-dire toutes les plus grosses stars du festival. Mais à ce moment-là, le pire est encore à venir : Dylan va passer à l’électricité ! Joe Boyd profite de l’épisode pour expliquer que Pete Seeger n’a jamais tenté de couper les câbles de la sono à coups de hache. Cette histoire dit-il est inventée de toutes pièces. Elle servait juste à illustrer le combat que se livraient les conservateurs et les modernistes.

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    Sur scène, c’est Joe qui branche Dylan. Al Kooper et Barry Godberg (keys), Mike Bloomfield (guitar), Jerome Arnorld (bass), Sam Lay (beurre) et Dylan montent sur scène pour l’un des épisodes les plus cruciaux de l’histoire du rock américain. Joe vérifie tous les réglages - Quand les musiciens furent prêts, j’envoyai mon signal au flashlight. The introduction was made, the lights came up and ‘Maggie’s farm’ blasted out in the night - Et Joe se rue devant la scène, dans la fosse réservée à la presse, pour suivre le concert - Si on le compare aux standards actuels, le son n’était pas très fort, mais en 1965 ce fut sans doute the loudest thing anyone in the audience had ever heard - Quelqu’un vient taper sur l’épaule de Joe pour lui dire qu’on veut lui parler dans le backstage. Alors il y va et tombe sur Lomax, Pete Seeger et Theo Bikel, furieux tous les trois : «Nous devez baisser le son, c’est bien trop fort !». Joe leur dit qu’il ne peut rien faire et qu’il faut aller à la régie. Ils lui ordonnent d’y aller pour faire baisser le son. Mais la régie, c’est Grossman, Yarrow et Rothchild qui trouvent eux que le niveau du son et bon - Tell Alan que le son est bon et dis-lui aussi qu’il aille se faire foutre - Yarrow accompagne l’injonction d’un doigt. Grossman et Rothchild éclatent de rire alors que Joe repart avec le message pour Lomax. Et c’est là que Joe Boyd, fabuleux écrivain et témoin de son temps, écrase le champignon : «Des paroles de chansons en roue libre, un mépris total des convenances et des valeurs établies, le tout accompagné by a screaming blues guitar and a powerful rhythm section, played at ear-spliiting volume by young kids. En 1965, les Beatles chantaient encore des chansons d’amour et les Stones jouaient a sexy brand of blues-rooted pop. Dylan c’était différent. THIS WAS THE BIRTH OF ROCK.» Et Joe ajoute : «Dylan avait laissé tomber the dialectic world of politic songs. Il chantait à présent his decadent, self-absorbed, brillant internal life. Il termina avec ‘It’s All Over Now Baby Blue’, crachant ses paroles avec le plus profond mépris à la gueule de the old guard.» Ces pages de Joe Boyd sur Dylan valent bien celles que Mick Farren lui consacre dans Give The Anarchist A Cigarette. Ils ont tous les deux perçu le génie de Dylan, un phénomène artistique qui est resté depuis lors inégalé. Ces trois books, le Farren, le Boyd et le Chronicles de Dylan appartiennent à la même communauté de pensée.

    Pour le remercier de l’avoir mis sur le coup de Butter, Paul Rotchild décroche un job pour Joe chez Elektra : Jac a décidé d’ouvrir un agence à Londres. Joe doit donc démissionner de son job pour George Wein. Sa mission à Londres va consister à découvrir de nouveaux talents pour continuer de moderniser Elektra.

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    Le premier groupe sur lequel Joe flashe, ce sont les Move. Chaque fois qu’un Américain débarque à Londres pour y séjourner, Joe l’emmène voir les Move au Marquee : John Sebastian, Zal Yanovsky, Paul Butterield, Mike Bloomfield, Jac Holzman, Phil Ochs et quelques autres y ont droit. Pour Joe, les Move sont aussi balèzes que les Who ou Hendrix qui ont été les révélations de Monterey : «Les Move étaient des ambitious working-class kids from Birmingham qui n’avaient aucune envie de révolutionner le rock, de prêcher l’amour et la paix ou de promouvoir les états seconds, tout ce qu’ils voulaient, c’était devenir riches et célèbres.» Joe fait un portait spectaculaire d’Ace Kefford, skeletal albino face - Ace went for the most powerful nail-your-chakras-to-the-seat-of-your-pants bass lines - Il voit Roy Wood comme un shaman-in-chief et Trevor Burton comme the innocent looking-one. Il qualifie leur musique de beer-drinker’s psychedelia - They made a far superior fist of deconstructing soul tunes than did Vanilla Fudge a year later - Alors Joe emmène Jac voir les Move dans leur loge à l’Edgbaston Mecca Ballroom. Il nous décrit la scène, et c’est comme si on y était : «(Cramped in the small room), Jac Holzman à la fois intimidant et impressionné, moi très sérieux, le Fagin-like Secunda and the monosyllabic Move. L’homme qui avait signé Jim Morrison et Arthur Lee était bien trop éloigné de son monde pour faire impression sur les Move.» Dommage. Les Move sur Elektra, ça aurait été le fin du fin, avec Love et les Doors.

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    À Londres, Joe Boyd croise donc ceux qu’il appelle les thugs - Les Thugs comme Grant et Don Arden ressemblaient à Lee Marvin dans Point Blank. Les exécutifs des maisons de disques installés dans leurs beaux bureaux n’imaginaient pas que des gens comme Grant et Arden pussent être aussi vicieux et aussi brutaux. Alors ces ronds de cuir acceptaient n’importe quoi parce qu’ils avaient peur. L’Américain qui suivait tout ça de près était bien sûr David Geffen - Selon Joe, il n’existait pas d’équivalent de ces thugs aux États-Unis. Les gens du Brill n’étaient absolument pas capables de gérer des artistes qui écrivaient leurs propres chansons et qui prenaient de l’acide. Comme Joe Boyd s’intéresse de près aux Move, il croise bien sûr Cordell & Secunda - Cordell & Secunda formaient la plus dépareillée des paires, mais ils eurent pas mal de succès entre 1966 et 1968 avec les Move, Procol Harum et Joe Cocker. Secunda venait de South London et avait grenouillé durant les early sixties dans le milieu du catch professionnel. Secunda était un gros dur de bandes dessinées, a reptilian hustler qui se vantait de ses séjours au placard. Il était vif d’esprit et doté d’un sinister charm. Cordell était aussi pimpant et relax que Secunda était moite et intrigant - Joe Boyd compare l’invasion du music biz par tous ces affairistes à l’invasion de l’Empire romain par les Wisigoths et les Ostrogoths : Lambert & Stamp (qui suivaient les traces d’Andrew Loog Oldham), Stigwood (qui se servait de Cream pour organiser l’avenir de Clapton), Mike Jeffreys (Joe l’écrit mal, il s’agit de Mike Jeffery, qui avait mis le grappin sur Chas Chandler et Jimi Hendrix), Chris Blackwell (masterminder de la carrière de Stevie Winwood), Chris Wright & Terry Ellis (Jethro Tull et Ten Years After), Peter Grant (Led Zep) - The Move en ratant leur conquête de l’Amérique, étaient l’exception - Oui, car Joe Boyd était convaincu que les Move pouvaient conquérir l’Amérique. Comme il est à Londres pour signer des groupes sur Elektra, il constate à un moment que pas mal d’occasions lui ont glissé entre les doigts : Stevie Winwood (à cause de Chris Blackwell), Cream (à cause de Robert Stigwood), Pink Floyd (à cause de Bryan Morrison), the Move et Procol Harum.

    C’est Joe qui rend le Pink Floyd célèbre à Londres dès 1966. Le Floyd n’est alors qu’un blues band fraîchement débarqué de Cambridge, mais Joe les trouve intéressants. Il fait écouter une démo du Floyd à Jac, mais Jac n’accroche pas. Tant pis. Alors que Joe cherche un autre label, Bryan Morrison lui brûle la politesse en emmenant le Floyd chez EMI. Comme Syd et les autres ont besoin de cash pour s’acheter une van, ils signent aussitôt pour récupérer l’avance. Cet échec laisse Joe assez amer.

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    Avec son copain John Hopkins, alias Hoppy, ils montent l’UFO fin 1966, parce qu’ils n’ont plus un rond. Joe ne bosse plus pour Elektra et Hoppy a cessé de travailler comme photographe pour International Times. L’UFO est au 31 Tottenham Court Road, sous une salle de cinéma. Le club est ouvert chaque vendredi soir de 10 h à 6 h du matin. Le soir de l’ouverture, le 23 décembre 1966, ils sont surpris de voir arriver autant de monde. En quelques mois, l’UFO fait connaître nous dit Joe «Pink Floyd, Soft Machine, the Crazy World of Arthur Brown, light-shows, tripping en masse and silk-screen psychedelic fly-posters». Hoppy et Joe louent le local à Mr Gannon, un homme charmant. Un soir, il prend Joe à part pour lui dire qu’il a le sentiment que certaines personnes fument de l’herbe - There’s a few people smokin’ dope in here - avec un trémolo à l’endroit du o de dope, nous dit Joe. Il répond alors à Mr Gannon : «Well, Mr Gannon, I can’t say this with absolute assurance, but I certainly hope you are mistaken.» Et Mr Gannon prend avec philosophie la répartie du Joe : «Well that’s as may be, and that’s as may be not, Joe. But all the same, je pense que ce serait une bonne idée de mettre le ventilateur en route.» Une fois que Bryan Morrison lui a barboté un Floyd qui est train de devenir énorme en Angleterre, Joe n’a plus qu’une obsession : trouver la groupe capable de remplacer le Floyd et de remplir l’UFO chaque vendredi. Tony Howard qui fait partie de la Morrison Agency revient vers Joe et lui propose de faire la paix. En signe de bonne volonté, il propose à Joe deux groupes gérés par l’Agency en remplacement du Floyd : Tomorrow et les Pretty Things. Alors Joe flashe sur les Tomorrow et ses concerts explosifs. D’où le titre de son récit. Avec son sens aigu de l’histoire, Joe estime les sixties vont de l’été 1965 jusqu’en octobre 1973 et connaissent leur pic le 1er juillet 1967 avec un set de Tomorrow at the UFO Club in London.

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    Joe croise aussi le chemin de Mick Farren et des Social Deviants. C’est Hoppy qui insiste pour que Joe vienne les voir répéter. Le résultat, c’est que Joe les trouve mauvais - Mick’s singing was devoid of melody and his group could barely play their instruments - Joe ne veut pas d’eux à l’UFO. Hors de question. Il dit à Hoppy qui insiste : «The Deviants would play UFO over my dead body.» S’ils veulent jouer à l’UFO, ils devront passer par dessus mon cadavre. C’est sans appel. Mais Mick Farren va se rendre indispensable en filant un coup de main aux entrées - Mick and his boys became a key part of my support team - Puis en avril 1967, Joe cède et laisse jouer les Deviants sur scène.

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    À la même époque, Joe entre dans sa période Incredible String Band, un duo folky folkah qu’il réussit à rapatrier sur Elektra. Jac en pince pour le folk, alors pas de problème. Joe pense que The Hangman’s Beautiful Daughter paru en 1968 est le meilleur disque qu’il ait produit. Alors autant prévenir les ceusses qui ne le savent pas : il faut vraiment aimer le folk pour entrer là-dedans. Dès «The Minotaur’s Song», on note une absence complète de magie et de mélodie. Mike Heron et Robin Williamson font dans le moyenâgeux. Il ne se passe rien. Mais les amateurs de folk obscur vont y trouver leur bonheur. Au fil des cuts, on observe que messires Heron et Williamson ne font aucun effort pour se rendre plus sympathiques. L’album tourne au cliché folk anglais. «Waltz On The New Moon» sonne comme une pauvre giclée de néant. On entend un glou glou dans «The Water Song», une chanson de troubadours. On est loin des Pink Fairies. Er avec «There Is A Green Crown», on est loin de Third World War. Pourtant c’est le même pays. L’album se réveille un peu avec «Swift At The Wind», un weird cut chanté à la plainte récurrente sur fond de gratté apoplectique. Le chant se veut immersif et la tendance est à la déchirure. Mais c’est vraiment tout ce qu’on peut en dire.

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    Le premier album d’Incredible String Band sur Elektra date de 1966 et n’a pas de titre. C’est du folky folkah pur et dur. Aucun espoir d’en sortir. La flûte double les coups d’acou, c’est assez rupestre, tout en restant soigneusement bucolique. Ils font même du festif de zyva mon gars avec «Schaeffer’s Jig». C’est le genre de truc qui doit faire baver Jac. Du vrai pur et dur à la mormoille. On ne saurait imaginer ni plus pur, ni plus dur. Heron et Williasmson sont dans leur petit monde bien hermétique. Ils attaquent «The Tree» à la flûte antique puis ils se prennent pour des mineurs du Kentucky avec «Empty Pocket Blues». C’est assez pointu car joué en picking des Appalaches. Ils font pas mal de fake Americana, et plus on écoute l’album et moins on leur fait confiance. On a l’impression avec «Niggertown» qu’ils prennent les gens pour des cons.

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    Paru l’année suivante, The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion est beaucoup plus intéressant, pour au moins trois raisons valables. À commencer par «Painting Box», un joli festival de gratté de poux, ah ça gratte sec dans le coin du springtime ! Ils grattent à la petite excédée avec une flûte en contrefort, et ça donne un mish mash assez puissant. Ces deux mecs sonnent comme les surdoués du régiment. L’autre point fort de l’album s’appelle «First Girl I Loved», une country pop anglais de niveau nettement supérieur. Il y a une fantastique énergie dans ce gratté de poux, c’est lui le gratté qui fait la grandeur du duo et ça devient tétanique car c’est bourré de feeling. Ils remontent aussi «Way Back In The 1960s» au country rock de String Band. C’est vraiment excellent, quel fabuleux brouet de fake Americana ! Non seulement ces deux Anglais se prennent pour des Américains, mais ils en ont en plus les moyens. Leur gratté de poux est sans doute le plus puissant d’Angleterre, c’est même trop américain pour être vrai. On comprend mieux pourquoi Joe a flashé sur eux. Les crin-crins inexorables de «Chinese White» ont dû plaire à Jac et le «No Sleep Blues» flirte avec Fred Neil. Ils sont dans une certaine richesse, un mélange de tradi Bribrit et d’Americana. Ils aiment bien jouer le cul entre deux chaises. Mais il faut leur reconnaître un sens aigu de la musicalité. Avec «The Mad Hatter’s Song», on les voit noyer leur soupe dans une psychedelia du tiers monde, c’est très étrange, ils soulignent leur do what you can aux instruments antiques. Ils adorent gratter de la fake Americana au bord de la Tamise. Leur parti-pris est de bousculer les préjugés, comme le montre «The Hedgehog’s Song». On finit par se faire avoir en beauté. Ces deux mecs sont beaucoup trop doués.

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    Sur le double album Wee Tam And The Big Huge paru en 1968, on trouve encore pas mal de petites friandises, notamment ce chef-d’œuvre fake Americana qui s’appelle «Log Cabin In The Sky». Il jouent ça au washboard et ça marche. Ils font ensuite de la dentelle de Calais avec «You Get Brighter», une dentelle de Calais florentine, bien détachée dans la lumière, c’est l’apanage du folk anglais. Comme souvent dans les trips, le mec ne lâche pas la rampe. Ils passent aux drug-songs avec «The Half Remarkable Question». Mike sort son sitar et Robin gratte ses poux, on se croirait à Marrakech. Ils ramonent bien les artères de la médina. Et comme le sitar favorise la montée au cerveau, ça devient de la pâmoison à rallonges. Joe nous dit que les String Band sont adeptes de la Sciento, mais on voit bien avec «Air» qu’ils sont aussi dans la dope. Ils font un peu d’orientalisme avec «Puppies», mais de l’orientalisme joyeux. Si on écoute ces albums, c’est uniquement parce que Joe Boyd dit avoir été remué, et comme c’est un homme de goût, on lui fait confiance. Mais il faut savoir se montrer patient. Avec son mélange de coups d’acou et de sitar, «The Yellow Snake» est presque beau, mais pour «Ducks On A Pond», ils partent en mode Bécassine. Une autre paire de manches.

    L’autre grand amour de sa vie de découvreur/producteur, c’est Nick Drake - There was something uniquely arresting in Nick’s composture - Joe pense que sa musique est «mystérieusement originale» et sa technique de guitare «complexe».

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    On comprend qu’il se soit passionné pour Nick Drake. Il suffit d’écouter les deux albums qu’il produisit pour Nick à Londres, Five Leaves Left en 1969 et Bryter Layter en 1971. Sur le premier se niche une véritable merveille d’intimisme Drakien, «The Toughts Of Mary Jane». Nick la nique à la magie pure, il a une façon unique d’instaurer son doux règne, c’est un mélange de magie et de brume, comme chez Robert Wyatt, c’est très pur, très rêvé, très attardé. On retrouve cette magie dans «River Man», gonna see the river man, Nick Drake fait régner une ambiance douceâtre et tiédasse, tout émane de sa voix et de sa façon de gratter ses poux. C’est violonné au plus mauve du crépuscule des dieux. Il crée l’ambiance à chaque retour de manivelle, avec un ton unique, une réelle chaleur de ton, c’est forcément inspiré, même si on ne court pas après le folk. Nick Drake ne travaille que dans la mélancolie fortement arpeggiée et donc mythifiée. Sa mélancolie est purement baudelairienne, elle fait écho à celle de Léo Ferré, «un désespoir qu’aurait pas les moyens». On reste dans l’éclat référentiel avec «Day Is Done» qui incarne l’aspect préraphaélite du rock anglais. Nick Drake propose une brume de son distinguée, très pure, très Burne-Jones, tu ne peux pas échapper au charme discret du vieux Nick. Il sonne tellement comme un port d’attache qu’on y jette l’ancre.

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    Bryter Layter est un peu plus sophistiqué et cette sophistication productiviste nous dit Joe ne plaisait pas à Nick. John Cale intervient sur deux cuts, «Fly» et «Northern Sky», qui sont un peu les points forts de l’album. Nick Drake attrape son «Fly» au vol, à la voix d’ange de nicotine qui va mal, please ! Il se fond dans sa mélancolie. «Northern Sky» symbolise la force de Nick Drake. C’est d’une rare puissance agonisante, ce mec pousse le bouchon de la beauté morose assez loin, il chante à la voix éteinte, mais il chante, il faut le savoir. Magnifique slow groove d’under the boisseau que ce «Poor Boy». Nick Drake navigue à la douce manœuvre de nobody knows, c’est très long, très orchestré, PP Arnold et Doris Troy font les chœurs, on entend du sax, on croit que Nick Drake touche au but, mais cette débauche de moyens l’indispose. Que fait-on dans ces cas-là ? On se suicide. Joe Boyd y revient longuement, sur ce suicide, une overdose d’antidépresseurs, officiellement. On revient à l’album et à l’«At The Chime Of A City Clock» qu’il chante sous le vent, c’est le goove suburbain. Il gratte ensuite «One Of These Nights First» dans l’ombre de l’underground, il tient son couldn’t be seen en haleine, c’est une merveille ténébreuse et lumineuse à la fois, on se love dans le giron du génie de Nick Drake, il est avec Syd Barrett et Robert Wyatt l’un des plus beaux artistes de son temps. Il chante littéralement sous le boisseau d’argent.

    Merci Joe Boyd pour ce beau livre et tous ces beaux albums.

    Signé : Cazengler, Joe Boit

    Joe Boyd. White Bicycles: Making Music in the 1960s. Serpent’s Tail 2007

    Nick Drake. Five Leaves Left. Island Records 1969

    Nick Drake. Bryter Layter. Island Records 1971

    Incredible String Band. The Incredible String Band. Elektra 1966

    Incredible String Band. The 5000 Spirits Or The Layers Of The Onion. Elektra 1967

    Incredible String Band. The Hangman’s Beautiful Daughter. Elektra 1968

    Incredible String Band. Wee Tam And The Big Huge. Elektra 1968

     

    Hot Rod - Part Two

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    Il n’est pas d’artiste plus intriguant que Rod The Mod. Considéré par beaucoup de gens comme un vendu, il n’en demeure pas moins un très grand artiste. Il fut un temps où le nom de Rod Stewart sonnait comme celui de Brian Jones ou de Ray Davies. Le Jeff Beck Group fut le plus grand groupe anglais de son temps, un groupe que Led Zep ne parvint jamais à égaler. Ceux qui ont vu les Faces sur scène savent qu’ils valaient largement les Stones, côté power, mais il ne leur manquait qu’une seule chose : des hits comme «Jumpin’ Jack Flash» ou «The Last Time». On ne va pas revenir sur l’époque Faces évoquée comme on l’a dit dans l’hommage à Ronnie Wood, on va se contenter d’explorer la carrière solo de Rod The Mod, une carrière qui a connu des hauts (très hauts) et des bas (très bas), comme toute carrière, surtout lorsqu’elle se mesure à l’échelle d’une vie. Il faut simplement garder bien présent à l’esprit que Rod the Mod est l’un des plus brillants interprètes de son époque. Son seul défaut fut peut-être de trop aimer l’argent. Mais comme Aretha ou Smokey Robinson qui ont eux aussi des discographies à rallonges, Rod réserve au gré des aléas quelques belles surprises.

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    Paru en 1969, le premier album solo de Rod The Mod porte deux noms différents : An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down et The Rod Stewart Album. Il est aussi paru sous trois pochettes différentes : une belle en France avec une photo, une jaune aux États-Unis et une Vertigo en Angleterre qui donne le vertige. Avec cet album, Rod The Mod impose un style unique, un roddish sound qui est un mix de rock, de Soul et de folk assez capiteux car chanté au mieux des possibilités maximalistes. Il est essentiel de rappeler que ce premier album solo sort la même année que Beck Ola, un autre album classique de l’histoire du rock anglais. Le seul point commun entre Beck Ola et l’Old Raincoat est l’excellent «Blind Prayer», un heavy blues que Woody joue en sur-tension de bassmatic avec un Martin Pugh au devant du mix. Comme dans le Jeff Beck Goup, Woody joue en solo et il croise Pugh comme s’il croisait Beck, il le croise à n’en plus finir. Ces mecs savaient créer l’événement. L’autre coup de maître de l’album est la reprise de «Street Fighting Man», en ouverture de balda. Mickey Waller bat le beurre pendant que Woody & Pugh grattent leurs poux. Ils font de la Stonesy pure et dure et Woody quitte le cut en beauté avec un énorme solo de basse, comme John Cale dans «Waiting For The Man». On trouve encore une merveille sur cette A bénie des dieux : «Handbags & Gladrags», une mélodie signée Mike d’Abo. Rod The Mod ne fait qu’une bouchée de cette extrême pureté. Woody fournit le bassmatic adéquat, il joue en mélodie pressante et ses notes chevauchent les crêtes. Il joue un peu comme Ronnie Lane. D’autres merveilles guettent l’imprudent voyageur en B, à commencer par le morceau titre, l’Old Raincoat, avec un Woody qui chasse sur les terres du Comte Zaroff. Ce fantastique entertainer est de toutes les relances, il développe une énergie considérable. Keith Emerson joue sur «I Wouldn’t Ever Change A Thing» et le groupe de Rod ramène dans «Cindy’s Lament» autant de son qu’en ramenait le Jeff Beck Group, mais sans la folie de Jeff Beck. Ils terminent avec une version de «Dirty Old Town» chantée à la perfection et qui préfigure celle des Pogues.

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    Pendant toute la période Mercury/Vertigo, Rod The Mod va réussir à maintenir le rythme d’un ou deux hits par album, et pas des petits hits à la mormoille. Alors on décide de le suivre à la trace. Sur la pochette de Gasoline Alley, on retrouve l’old raincoat, mais vautré sur le trottoir, enfin, si on peut appeler ça un trottoir. Le morceau titre est un joli street folk que Woody joue en slide, avec Plonk Lane on bass. Ils s’amusent bien à jouer cette dentelle de Calais. Retour au vieux Bobby avec «It’s All Over Now», mais joué en mode Faces, c’est-à-dire heavy boogie de fin de soirée bien arrosée. C’est au tour de Plonk de faire le zouave à la basse. Il bat Woody à plates coutures. Il bouclent cette belle A avec une reprise du «My Way Of Giving» des Small Faces. Plonk se joint à Rod The Mod pour les chœurs et ça donne un résultat plutôt émouvant. Les deux hits sont planqués en B, à commencer par cette reprise de «Cut Across Shorty» délicieusement heavy. Rod met son énorme moulin en route, avec en sautoir le deep doom de Plonk. Ces mecs sont comme les éléphants, ils jouent énormément. Puis Plonk s’en va faire des merveilles sur sa basse dans «Lady Day». Il tisse un fil mélodique qu’il mêle à celui de Woody.

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    De tous les albums solo de Rod The Mod, Every Picture Tells A Story restera sans doute le chouchou des fans, à cause bien sûr de «Maggie May», hit de rêve pour tous les kids qui ont connu l’Angleterre des early seventies - Wake up Maggie/ It’s late september and I should be back to school - on a tous chanté ça en faisant du stop vers Londres. Effarante allure de Rod The Mod, avec la magie du beat de Mickey Waller - You stole my heart/ I couldn’t leave you If I tried - Si à l’époque on était romantique, on était baisé. L’autre coup de génie de l’album, c’est «Mandoline Wind», idéal pour un crack comme Rod. Il chante son Wind à merveille, dans un environnement de pedal steel et de mandoline. Le solo de mandoline est l’une des septièmes merveilles du monde. Le morceau titre entre aussi dans la catégorie des cuts vénéneux, car chargé de big sound et de big singing de gorge chaude. Rod The Mod propose aussi une sacrée triplette de Belleville : «That’s All Right», «Amazing Grace» et une reprise du «Tomorrow Is Such A Long Time» de Bob Dylan. Il fait aussi en B une reprise faramineuse d’«(I Know) I’m Losing You». Avec ce vieux hit des Tempts, Rod The Mod devient Rod The Mad. Il ramène tout le heavy power du Jeff Beck Group. Merveilleux déballage de big dumb sound. Lors du pont, les éléments se déchaînent, on assiste à une véritable escalade de la violence avec un Mickey Waller qui tribal tout seul dans sa cave.

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    On reste dans l’ère des grandes pochettes avec celle de Never A Dull Moment. On y voit un Rod The Mod rétro prostré dans son fauteuil. C’est en B que se niche l’excellente reprise d’«Angel». Hommage génial à Jimi Hendrix, avec Plonk on bass. Il joue en mélodie. On a là ce que le rock anglais peut offrir de meilleur. On retrouve Plonk et Woody dans «Time Blue», un cut digne de la couronne d’Angleterre. On retrouve aussi l’excellent mandoline-man Martin Quittenton dans «Lost Paraguayos». Ce son illustre aussi bien que le glam la magie de l’Angleterre des seventies et sur cette merveille, Woody joue de la basse. On l’entend aussi bassmatiquer derrière Rod sur «Italian Girls». Il semble que Rod ait trouvé sa voie, il a un vrai son, avec un Woody qui bombarde et un Quittenton qui brode. Par contre c’est Peter Sears qui joue de la basse sur «I’d Rather Go Blind», un heavy blues d’antho à Toto.

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    Le dernier album anglais de Rod The Mod s’appelle Smiler. Il pose en full regalia sur le devant, mais il faut aller voir à l’intérieur du gatefold (comme d’ailleurs dans celui de Never A Dull Moment) : on y voit toute l’équipe élargie : musiciens, entourage et même parents. Superbe photo de famille, avec un Woody en costard rouge, la rock star par excellence. D’ailleurs Woody se régale à jouer «Hard Road», ce fabuleux cut des Easybeats. Admirable shoot de Facy raunch. Ils s’amusent comme des gosses avec ce vieux boogie en caoutchouc. On trouve deux resucées de «Maggie May» sur cet album : «Lochinvar» et «Mine For Me», pourtant signé McCartney. Mais c’est avec ce pur hot Brit rock qu’est «Sailor», puis la reprise du «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke que Rod The Mod donne la mesure de son génie. En B, il s’en va taper dans Goffin & King avec «(You Make Me Feel Like) A Natural Man». Dans la bouche de Rod, ça tourne à la magie.

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    Comme l’indique le titre, Rod The Mod quitte l’Angleterre en 1975 avec Atlantic Crossing. Adieu Plonk, Woody et le foot, voilà venu le temps du big american sound. C’est enregistré un peu partout, chez Hi, à Muscle Shoals, à Miami et du coup, on ne sait plus qui fait quoi. Par contre, on sait que Tom Dowd produit. On voit vite l’étendue du désastre : dans «All In The Name Of Rock’n’Roll», Rod The Mod perd tout le ruckus des Faces, même si les cracks de Muscle Shoals l’accompagnent (David Hood, Roger Hawkins, Al Jackson). Rod s’américanise pour un résultat dramatique. Il faut attendre ce «Stone Cold Sober» co-écrit avec Steve Cropper pour reprendre espoir, d’autant que Cropper gratte ça sec. Ça flirte avec la Stonesy. Et puis on se fait avoir avec la belle reprise d’«I Don’t Want To Talk About It» de Danny Whitten. Rod The Mod récidive un peu plus loin avec une fantastique interprétation de «This Old Heart Of Mine», un vieux hit signé Holland/Dozier/Holland. Signature de rêve, idéale pour un raucous comme Rod. Avec «Still Love You», il reproduit les dynamiques de «Maggie May». Il n’en finit plus d’aimer Maggie, I wouldn’t change a thing/ If I could do it all over again. Il crée vraiment une relation affective avec ses admirateurs. Pas facile de lâcher un mec comme Rod.

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    Rien n’indique sur le pochette d’A Night On The Town que l’album est enregistré à Muscle Shoals. On se croirait plutôt à la Maison Fournaise sur l’île de Chatou, là où fut peint le fameux Déjeuner des Canotiers. Bon ça reste du big Rod sound, mais avec un son trop américain. Il y a six guitaristes listés sur la pochette, du coup on ne sait pas qui joue sur «The Ball Trap». C’est vrai qu’on s’en fout. Sans l’Angleterre, Rod The Mod n’a plus de sens. Il n’est plus qu’un bon chanteur parmi tant d’autres. Il tente de refaire l’Angleterre des Faces à Hollywood, mais ça ne marche pas. L’album retombe comme un soufflé. Seul le morceau titre qui ouvre la Slow Face peut sauver cet album. C’est une merveilleuse rengaine. Il nous gagne à son corps défendant.

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    En 1977, rien à foutre de son Foot Loose & Fancy Free. Pffffff ! Pauvre ringard. On écoute tous les Buzzcocks ! «Hot Legs» ? Pffffff ! Il a des Vanilla derrière lui, Phil Chen on bass et le mec qui fait Woody s’appelle Jim Cregan. La voix de Rod est intacte, mais il est dans les hot legs. C’est la vie. Il faut attendre «You’re In My Heart» pour retrouver le styliste éblouissant. Sur la plupart des cuts, les Américains essayent de sonner comme des Anglais. Avec sa version de «You Keep Me Hanging On», Rod tente de rivaliser avec Mark Stein, mais ce n’est pas gagné, même s’il brûle bien le chant. Il termine avec «I Was Only Joking», une merveille de story telling - Suzy babe you were good to me - Pur jus de Rod The Mod américanisé. Il faut s’habituer à cette idée et ce n’est pas facile.

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    Suite de l’Américanisation des choses avec Foolish Behavior. On entre dans les années 80, c’est-à-dire la mort du rock. Alors Rod fait du boogie au bord de la piscine. On ne cherche même pas à savoir qui joue derrière lui, ça n’a plus aucun intérêt. Ah il y va le Rod avec son «Better Off Dead», il est devenu con comme une bite. Il a perdu l’art. Il va là où le biz le porte. C’est insupportable, mais il faut savoir que ça existe. On en souffre certainement autant que lui. Après tous ses grands albums, il est probable qu’il ait rechigné à se commercialiser à outrance. Il a encore de bons réflexes, comme le montre le morceau titre. Il nous dépasse quand il veut. Il est fantastique dans la fermentation de «My Girl» - She’s got a hold on me/ I mean my girl - Il revient comme un petit chat, mais c’est Rod la bête de sexe. Il chante son «Say It Ain’t Time» à l’extrême. Même dans des albums bizarres comme celui-ci, il peut chanter à la folie. Hot Rod.

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    C’est sur Tonight I’m Yours paru l’année suivante qu’on trouve sa version de «Just Like A Woman». Just perfect. The voice + the song. Dans le rôle du fan de Bob, Rod est parfait. Par contre, il fait un peu de diskö avec le morceau titre et ça coince. C’est l’occasion rêvée de dire du mal de ce chanteur extraordinaire. Il tape aussi dans le vieux hit d’Ace, «How Long». Ça marche à tous les coups. Un nommé Robin le Mesurier fait toutes les guitares. Mais le boogie de Hollywood n’a pas d’avenir («Tear It Up»). Rod parvient à sauver l’album à la force du poignet avec des trucs comme «Only A Boy» ou même «Jealous» qui frise pourtant le putassier. Il chante tellement bien qu’il finit par rendre tous ses albums attractifs.

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    Sur la pochette de Body Wishes, Rod porte un costard rouge Ferrari. On sauve un seul cut, là-dessus, «Move Me». Il y fait du hot Rod, il chante ça pied à pied, why don’t you move me ! Il chauffe à blanc le boogie rock de «Dancin’ Alone», mais ailleurs ça tourne à la putasserie. Son «Ghetto Blaster» est d’une atroce complaisance. Et la prod pue. L’époque veut ça. Mais c’est dans la pelle qu’il excelle, le Rod. Dès qu’il roule une pelle, comme dans «Strangers Again», avec sa petite langue de connard prétentieux, ça marche, et pourtant on le déteste d’avoir si mal tourné, mais bon, on l’écoute quand même. Sait-on jamais. On espère toujours une vieille resucée de Maggie May.

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    Camouflage est l’un de ses albums les plus putassiers. Il transforme l’«All Right Now» de Free en hit diskö. Comme il est millionnaire, il fait sa diskö des jours heureux. Il atteint probablement le fond artistique alors qu’il atteint le sommet de sa carrière de frimeur. Il tape maintenant dans la pop inepte («Heart Is On The Line»). Après Beck Ola, c’est intolérable. Quel gâchis ! Un si beau rocker ! C’est un suicide commercial, il devient une pauvre cloche avec son diskö funk de camouflage. Il a perdu toute sa crédibilité mais gagné des millions de dollars. Cet album est d’autant plus insupportable qu’on y voit une immense star se ridiculiser. C’est important de voir jusqu’où les gens sont capables d’aller.

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    On sauve le morceau titre sur Every Beat Of My Heart : il y redevient le magicien qu’on aimait bien. Mais pour le reste, il a perdu le fil. Il continue de chanter comme d’autres continuent de conduire. Comment a-t-il pu accepter de chanter une telle daube ? Ça restera un mystère. Au mieux du pire, il reste dans le vieux mode boogie-rock hollywoodien et fait du Rod. Il a du son, mais du son sophistiqué. Il a l’air de traîner dans un marigot, comme un vieux crocodile de luxe. Ça n’a plus de sens.

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    Après une série d’albums calamiteux, Rod semble reprendre son destin en main avec Out Of Order. On assiste au retour de la glotte parfaite dès «Lost In You». Sa glotte est son fonds de commerce, alors on ne va pas le blamer d’en avoir une aussi parfaite. Il est dans son son et son son marche, il est écœurant de frime, avec cette pochette de salon de coiffure, mais God, la voix est là. Il reprend l’habitude de retravailler ses chansons au corps comme le montre «My Heart Can’t Tell Me No». Il reprend le cap, il est le capitaine et c’est fantastique. Il retrouve les coudées franches et redevient l’immense artiste qu’il a été. Il fait une version diskö de «Nobody Knows You When You’re Down And Out», mais il la chante, c’est une version convaincue d’avance. Tout le monde a tapé dans ce vieux standard, Nina Simone, le Spencer Davis Group, Bobby Womack, mais Rod The Mod s’en sort avec les honneurs. Et voilà qu’il tape une version de «Try A Little Tenderness» et là t’es baisé. Il est dessus dès l’intro, à la chaleur de la voix. Il fait bien son Otis, oh yeah, il est le seul blanc à pouvoir retravailler la tenderness d’Otis, c’est merveilleusement orchestré, Rod patine dans le merveilleux verlainien, il creuse chaque syllabe dans le yeah yeah de so so easy, il redevient le chanteur de rêve qu’on adulait, le white niggah d’exception, il ramène le pathos dans les grandes orchestrations, les paquebots soniques qui traversent la nuit de Fellini et il monte sur le tard, comme Otis, mais sans aller jusqu’au gotta-gotta, dommage. Il termine avec un «Almost Illegal» amené à la Stonesy d’I said yeah. Le guitar slinger s’appelle Andy Taylor.

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    Paru en 1991, Vagabond Heart fonctionne aussi comme un sursaut. On y trouve trois merveilles à commencer par «Rebel Heart». Grosse prod. Il y ramène son swagger de London boy, putasssier oui, mais avec du son. Il fait un duo d’enfer avec Tina sur «It Takes Two». Il tape ça sec avec la Tina d’after Ike. Et puis il y a cet hommage miraculeux à Motown, «The Motown Song». Sinon, le vieux Rod se ressource aux fontaines de blé. Il cultive le charme puant de la bourgeoisie hollywoodienne. Mais bon, on l’écoute quand même. This is Rod, after all.

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    Suite de la phase de redressement artistique avec un troisième album bien foutu, A Spanner In The Works. Ça grouille de goodies là-dedans, à commencer par l’infernal «Muddy Sam & Otis» - I was only seventeen - Pas de plus bel hommage - Thank you Sam, thank you Otis, thank you Muddy for the times we shared/ For the sounds you made - Il n’y a que Rod qui puisse chanter ça à l’accent cassé. Autre énormité : «Delicious», fabuleux shake de big shakeout, ça joue à la déflagration orchestrale et c’est même assez raunchy, baby. Rod a conservé ses instincts carnassiers. Il rend encore un hommage à Sam Cooke avec «Soothe Me». Il remplit encore l’espace de façon extravagante avec «Purple Heather», il sort sa meilleure chaleur de ton, et cet enfoiré en abuse. «The Downtown Lights» prend vite des proportions de Beautiful Song. Comme c’est globalement un album de reprises, il tape aussi dans Tom Petty («Leave Virginia Alone») et Dylan («Sweetheart Like You», tiré de l’album Infidels). Tout ce que chante Rod est bon, c’est important de le rappeler, il chante à la vie à la Rod. De vieux relents de Maggie May remontent dans «Lady Luck» et le vieux «You’re A Star» de Frankie Miller lui va comme un gant.

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    Encore une photo de salon de coiffure pour When We Were The New Boys paru en 1998. Curieusement, il y fait une resucée d’«Oh La La», le vieux cut de Plonk et Woody. Ça joue à la folie Méricourt avec des violons irlandais. Rod colle à son destin. L’album est placé sous l’égide des Faces puisque ça démarre avec un «Cigarettes & Alcohol» qui perpétue la perpète des pépères. Puis il tape une cover du «Rocks» des Primal Scream. C’est assez brillant, plein de Rod, plein de power et plein de cuivres. Belle dégelée, en tous les cas. Il reprend plus loin l’«Hotel Chambermaid» de Graham Parker qu’il considère comme un concurrent. Hot Rod fout le paquet, il a toutes les guitares d’Hollywood derrière lui. Il ne fait qu’une bouchée du morceau titre, il adore redémarrer à l’épique du deuxième couplet, il ne manque plus que les cornemuses. Sacré Rod ! Il reprend aussi Skunk Anansie («Weak») et les Waterboys («What Do You Want Me To Do»). C’est du sans surprise.

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    Human sort sur Atlantic en 2001. Il y fait son numéro sur deux gros cuts, «To Be With You» et «Run Back Into Your Arms». Il ultra-chante au max du mix, comme il sait si bien le faire. Difficile de ne pas craquer face à tant de talent. Le jour où tu trouveras un mec qui chante mieux que lui, fais-le savoir. Il faut le voir aller chercher le groove. Avec «Peach», il propose un boogie assez convulsif, bardé de guitares et de violons. She was dark, il parle d’une petite black, il fait des confidences en mode rock’n’roll, et c’est excellent. Et pourtant l’album part du mauvais pied avec des trucs assez putassiers. Il faut attendre la fin de l’album pour retrouver la terre ferme, il ultra-chante «It Was Love That We Needed» et il nous refait le coup du big Rod avec «I Can’t Deny It», il chante tout ce qu’il peut, il devient moche avec son gros pif, mais il claque sa chique, le vieux Rod continue de passionner, il est à la fois le clown du système et un maître chanteur incontestable. Trente ans après ses débuts, il est toujours là, bon an mal an.

    En 2002, il entre dans une nouvelle phase, une sorte de consécration, qu’on appelle la phase du Great American Songbook, avec sept albums enregistrés sur huit ans. C’est une renaissance artistique, une façon de nous dire qu’il évolue bien. Il faut juste écouter cette série d’albums basés sur l’équation parfaite : the song + the voice. C’est du gagné d’avance.

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    Le volume 1 s’appelle It Had To Be You: The Great American Songbook et renferme deux pépites : «They Can’t Take That Away From Me» et «That Old Feeling». Le premier est signé Gershwin, c’est du swing joué à la pompe de jazz et Rod se situe au dessus des lois. Le deuxième est signé Chet Baker & Brook Benton, un classique du groove que Rod remonte au feeling, comme un saumon remonte le courant. Effarant ! La voix est là. Rod ne se sent plus pisser. Une merveille ! Il tape bien sûr dans Sinatra («The Way You Look Tonight» et «It Had To Be You»). Comme Bryan Ferry avant lui, il tape dans «Those Foolish Things», un vieux hit d’Ella et de Billie Holiday, Rod s’y colle et il rentre dans le lard du groove, alors forcément, on craque, tellement c’est beau. D’autres pures merveilles s’ensuivent, «Moonglow» et «I’ll Be Seing You» chanté aussi par Billie Holiday. Mais ce premier tour de manège finit par donner le tournis, surtout l’«Everytime We Say Goodbye» de Cole Porter, trop de swing, trop de professionnalisme, trop de son, trop de chant, on frise l’overdose. Tout est tellement glamourous, le vieux Rod explose toutes les turpitudes hollywoodiennes.

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    L’année suivante paraît As Time Goes By: The Great American Songbook Vol II. Même principe : des standards triés sur le volet chantés par l’un des plus grands interprètes du XXe siècle. Il se prend pour Chet Baker avec «I’m In The Mood For Love», c’est gonflé, mais ça passe. Le cut magique du Volume II est cette reprise d’«Until The Real Thing Comes Along», un heavy groove convaincu d’avance, c’est blanc mais c’est bien - My heart is yours/ What more can I say - Encore de la magie pure avec «I Only Have Eyes For You». Il entre dans le territoire sacré du doo-wop légendaire et ça tient en haleine. Il revient à Gershwin avec «Someone To Watch Over Me». C’est du très grand art, une merveille d’espoir et de swing. Il duette avec Queen Latifah sur «As Time Goes By» et ça tourne encore une fois à la magie pure - You must remember this/ A kiss is just a kiss - Irrésistible. Il rafle encore la mise avec le heavy groove de «Don’t Get Around Much Anymore». Il rafle toutes les mises. On le voit plus loin se prélasser dans «My Heart Stood Still», un vieux hit de Sinatra. Ces albums sont des bénédictions, à condition bien sûr d’aimer l’univers du croon.

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    Le volume III est sans doute le plus intense. Il s’appelle Stardust: The Great American Songbook Vol III et Rod attaque avec «Embraceable You» qu’il chante dans le gras du groove. Il enchaîne avec «For Sentimental Reasons», une Beautiful Song qu’il dévore à pleines dents, une merveille absolue d’I give you my heart, yeah yeah. On ne présente plus «What A Wonderful World». Rod entre dans l’eau magique du Wonderful World et Stevie Wonder l’accompagne à l’harmo. Il duette aussi avec Bette Midler sur «Manhattan», puis il swingue «Isn’t It Romantic» jusqu’à l’os. Avant Rod, ils sont tous passés par là : Ella, Chet Baker, Tony Benett et Mel Tormé. Encore un Gershwin avec «I Can’t Get Started», cette fois Rod fait son Louis Armstrong, il étale sa pâte dans le chant. Puis voilà «A Kiss To Build A Dream On», jazzé dans l’œuf du serpent, véritable apanage du swing d’antan, Rod est trop fort, trop subtil, il épuise la cervelle. Il duette enduite sur «Baby It’s Cold Outside» avec Dolly Parton et ses boobs. Elle sent bon le sexe. Retour à la racine du swing américain avec le «Night & Day» de Cole Porter. Ce swing galactique reste imbattable.

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    Il attaque Thanks For The Memory: The Great American Songbook Vol IV en duettant avec Diana Ross sur «I’ve Got A Crush On You». Cette vieille rosse de Ross ressort ses manières de courtisane, ça frise la putasserie et Rod paraît troublé. C’est très sexuel comme assemblage, elle ramène ses lèvres d’experte et ça devient vite équivoque. Nouveau duo de choc avec Chaka Khan et «You Send Me». Cette fois, ça chauffe ! Chaka ne lâche rien, elle arrive et balaye tout. Elton John a réussit à taper l’incruste dans «Makin’ Whoopee». Une chose est sûre : ce mec sait chanter. Encore une fantastique leçon de swing avec «Taking A Chance On Love». Il tient bon la rampe jusqu’au bout de ce volume IV, surtout avec «I’ve Got My Love To Keep Me Warm», il nous fatigue et il nous fascine en même temps, mais on l’encourage, vas-y Rod ! C’mon !

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    Le dernier volume du Great American Songbook paraît en 2010 et s’appelle Fly Me To The Moon: The Great American Songbook Vol V. Rod l’attaque avec un vieux hit merveilleux, «That Old Black Magic» qui date de 1942, du temps de Glenn Miller et de Judy Garland. Rod y plonge ses crocs d’artiste et de greedy man et en fait un hit de big heavy pré-American Sound. Puis cet enfoiré tape dans Charles Trenet avec «Beyond The Sea», il tente de récréer ce rêve de La Mer qui ne lui appartient pas, laisse tomber Rod, tu veux swinguer comme Charles ? Non, c’est Charles qui swingue, Rod sonne comme un parvenu américain, il oublie de swinguer la fin du cut, il n’a pas le power du fou chantant. Puis il va sur les terres d’Ella avec «I’ve Got You Under My Skin», c’est assez gonflé de sa part. Ce volume V est un drôle d’objet : à la fois une bénédiction (bien chanté) et une insulte aux interprètes originaux. Ces mecs-là se croient tout permis, et pourtant les reprises sonnent comme des hommages. Il file ensuite sur les terres d’Esther Phillips avec «What A Difference A Day Makes». Mais Rod ne fait pas le poids. Cette merveille appartient à Esther, Rod n’a pas le feeling intrinsèque qui fit la grandeur de Little Esther. Il retourne à la suite sur les terres de Sinatra avec «I Get A Kick Out Of You» et «I’ve Got The World On A String», c’est encore là que Rod est le plus à l’aise, dans le vieux groove de Cole Porter. Il revient à Sinatra avec «Fly Me To The Moon» et boucle avec le «Sunny Side Of The Street» de Louis Armstrong.

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    En 2006, il fait un album de reprises assez spectaculaire, Still The Same. Great Rock Classics Of All Time. Il démarre avec Fog et l’irrépressible «Have You Ever Seen The Rain». Son I know sonne si juste. Il est dans l’énergie de Fog - Coming down from a sunny day - Il fait bien sûr une cover de Dylan, «If Not For You», il caresse Dylan dans le sens du poil et fait de ce vieux shoot de romantica dylanesque une véritable merveille. Il tape aussi dans «I’ll Stand By You», l’un des slowahs les plus putassiers de l’histoire des slowahs et ça tient debout parce que c’est Rod. Puis il rentre dans le «Still The Same» de Bob Seger comme un renard dans un poulailler, il bouffe tout, la pop, le rock, les poules, les œufs, tout ! Il reprend aussi des trucs de Cat Stevens et des Eagles sur lesquels on ne va pas trop s’attarder et on file droit sur l’excellente cover de l’«Everything I Owe» de David Gates, le mec de Bread. Big heavy pop, fantastique énergie. Il décide de boucler avec une cover de «Crazy Love», mais face à Van Morrison, Rod ne fait pas le poids, oh la la, pas du tout.

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    Pour finir la phase des grands hommages compilatoires, voilà Soulbook. Cette fois, Rod rend hommages aux géants de la Soul, comme par exemple Stevie Wonder avec «My Cherie Amour». Évidemment, il l’avale tout cru. Quand il n’est pas le renard qui entre dans le poulailler, il est le crocodile qui rôde au bord du fleuve. Il fait ensuite un duo terrific avec Mary J. Blidge dans «You Make Me Feel Brand New», une belle Soul de chèvre chaud, et quand Mary arrive, elle dégouline de sensualité, alors Rod fait pouh pouh pouh ! Il tape aussi dans Jackie Wilson («Higher & Higher») et Smokey («Tracks Of My Tears»). Il manque tragiquement de crédibilité dans sa reprise de «Rainy Night In Georgia». Rod n’est pas Tony Joe White, c’est bon de le rappeler. Il s’en sort mieux avec ce vieux hit des O’Jays, «Love Train», composé par Gamble & Huff. Il avale cette fois la prunelle du black power.

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    Après cette cure de grandes chansons, Rod reprend son petit bonhomme de chemin avec des albums disons classiques. Il fait comme les copains, comme Totor, comme El Vez, comme Tav, comme les Beach Boys et comme les Four Tops un Christmas Album : Merry Christmas Baby. Il s’y montre encore pire que Totor, il cajole sa soupe, il n’y croit pas un seul instant mais il chante de tout son cœur. Il bat même tous les records. Il amène «Santa Claus Is Coming To Town» au groove de jazz. En fait il place son Christmas album sous l’égide du swing de jazz. Il duette avec Ella Fitzgerald sur «What Are You Doing On New Year’s Eve» et il fait le show avec «When You Wish Upon A Star». Il est dessus, il redevient le magicien que l’on sait.

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    Il marche sur la plage pour la pochette de Time, paru en 2013. Il attaque «She Makes Me Happy» au oh-ooh, il ramène sa vieille magie vocale pour redevenir Rod the Blow, il chante au oooh-woooh et rafle la mise. Il bénéficie d’une prod de rêve et reste l’un des grands chanteurs de son époque. L’autre énormité s’appelle «It’s Over», il reste l’immense chanteur que l’on sait, il fait de la pop américaine puissante qui finit par devenir énorme. On retrouve sa vieille puissance dans «Beautiful Morning». Il connaît les tenants et les aboutissants, rien ne peut lui résister, c’est bardé de son, avec un sax et des chœurs de Dolls, eh oui. Il refait son London boy avec «Finest Woman». Il sait driver un heavy boogie rawk à la mode des Faces, il est excellent à ce petit jeu-là, awite, il ressort toutes ses vieilles ficelles de caleçon, et les caleçons de Rod, c’est quelque chose. Côté compo, Rod est dans tous les coups, ce qui explique pourquoi le niveau général est faible. Très faible. Le vieux Rod fait de la soupe, alors du Rod The Mod fit en son temps des merveilles.

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    Another Country sort en 2015. Hollywood Rod porte une veste en cuir noir. Il attaque aux violons du pays avec «Love Is». Il donne aux Américains une petite dose de roots à la mormoille, on entend des cornemuses, du violon et encore du violon, c’est rempli à ras-bord. Voilà le Rod élevé au grain, il ramène toute la ferme à Hollywood. Ces mecs-là sont capables de tout et de n’importe quoi, il faut le savoir. C’est la raison pour laquelle on les admire et pour laquelle on continue d’acheter leurs disques, histoire d’assister à leur magnifique décadence. Si tu n’as pas vu ça, tu n’as rien vu. On a tous raté la chute de l’Empire romain. Pour se consoler, on a celle d’Hollywood Rod. Pour se faire un billet, il est capable de faire n’importe quoi. Comme il a une voix, il en profite. On en ferait tous autant. Avec «Please», tu en as pour ton argent, tu veux du Hollywood Rod ? Tu as du Hollywood Rod. Stay with me tonight. Oui, c’est ça, t’as raison. Son «Walking In The Sunshine» n’est pas orienté vers l’avenir, mais vers le tiroir-caisse. Il donne sa voix au biz de la dernière heure. Prod imbuvable, mais ça marche. Il fait encore du reggae de bar de plage («Love And Be Loved») et ramène ses fucking cornemuses dans «We Can Win». Le voilà emporté par le mainstream, il ne maîtrise plus grand chose. Hollywood Rod est devenu Fétu Rod. Il ramène tout le bataclan de la vieille Angleterre dans le morceau titre et renoue le temps d’un cut avec Rod the Pop («Batman Superman Spiderman»). Il sait encore allumer une pop de rêve. Globalement, ses derniers albums sont un peu spéciaux, un peu trop putassiers pour les gueules à fuel. Mais bon, de temps en temps, sa voix impose une sorte de respect.

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    Le dernier album en date s’appelle Blood Red Roses. Hollywood Rod est assis derrière le digi, en costard blanc. L’album réserve quelques bonnes surprises, passé le cap des diskö-kuts d’ouverture de bal. Il tente de nous refourguer ses vieux tours de magie avec «Farewell» et il développe pour l’occasion sa fantastique énergie balladive. C’est un hommage à Ewan Dawson, son vieux pote dont il parte dans l’autobio - Oh you/ Yeah you/ Were like a brother to me - Et là oui, on y va, car c’est balèze. Il nous refait le coup du vieux mage un peu plus loin avec le morceau titre, amené au son irlandais et dedicated to the great Ewan McColl. Il faut être à la hauteur pour écouter ça, on est vite dépassé par le génie cavalant d’Hollywood Rod. Cette fois il dépasse même l’entendement, c’est vite violent, avec le beat des origines. Il déclenche une incroyable furia del sol avec ses Roses, et ça débouche sur un final extravagant, plein d’énergie irlandaise montée en noise, hey hey ! Retour à la belle pop bien drivée avec «Rest of My Life», c’est putassier mais extrêmement bien foutu. Il tape dans le vieux «Rollin’ And Tumblin’» de Muddy, mais le Rollin’ à Hollywood, ça fait marrer. On entend une charge d’éléphants. Il fait encore deux coups d’éclat : «Julia» et «Honey Gold». Il chante comme une pauvre crêpe géniale, c’est ça le problème. Même s’il fait la pute, il est bon. Il fait tout le boulot, comme un vieux boxeur. Il crée un pathos énorme d’Honey Gold - Somebody is smiling down on you - Il est épatant, Hollywood Rod, le power est toujours là.

    Signé : Cazengler, Rote tout court

    Rod Stewart. An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down. Vertigo 1969

    Rod Stewart. Gasoline Alley. Vertigo 1970

    Rod Stewart. Every Picture Tells A Story. Vertigo 1971

    Rod Stewart. Never A Dull Moment. Mercury 1972

    Rod Stewart. Smiler. Mercury 1974

    Rod Stewart. Atlantic Crossing. Warner Bros. Records 1975

    Rod Stewart. A Night On The Town. Riva 1976

    Rod Stewart. Foot Loose & Fancy Free. Riva 1977

    Rod Stewart. Foolish Behavior. Riva 1980

    Rod Stewart. Tonight I’m Yours. Riva 1981

    Rod Stewart. Body Wishes. Warner Bros. Records 1983

    Rod Stewart. Camouflage. Warner Bros. Records 1984

    Rod Stewart. Every Beat Of My Heart. Warner Bros. Records 1986

    Rod Stewart. Out Of Order. Warner Bros. Records 1988

    Rod Stewart. Vagabond Heart. Warner Bros. Records 1991

    Rod Stewart. A Spanner In The Works. Warner Bros. Records 1995

    Rod Stewart. When We Were The New Boys. Warner Bros. Records 1998

    Rod Stewart. Human. Atlantic 2001

    Rod Stewart. It Had To Be You: The Great American Songbook. J Records 2002

    Rod Stewart. As Time Goes By: The Great American Songbook Vol II. J Records 2003

    Rod Stewart. Stardust: The Great American Songbook Vol III. J Records 2004

    Rod Stewart. Thanks For The Memory: The Great American Songbook Vol IV. J Records 2005

    Rod Stewart. Still The Same. Great Rock Classics Of All Time. J Records 2006

    Rod Stewart. Soulbook. J Records 2009

    Rod Stewart. Fly Me To The Moon: The Great American Songbook Vol V. J Records 2010

    Rod Stewart. Merry Christmas Baby. Verve Records 2012

    Rod Stewart. Time. Capitol Records 2013

    Rod Stewart. Another Country. Capitol Records 2015

    Rod Stewart. Blood Red Roses. Decca 2018

     

    L’avenir du rock

    - Lemon Incest

     

    D’une nature secrète, l’avenir du rock n’avouera jamais qu’il se sent parfois dépassé. Sa conseillère en communication ne rate pas une seule occasion de le taquiner :

    — Vous voulez toujours paraître sûr de vous, mais on voit bien qu’il vous arrive de vous surestimer...

    — À quoi voyez-vous ça, Nadia ?

    — Votre nez ! La pointe frémit lorsque vous défendez un groupe auquel vous ne croyez pas tant que ça.

    — Vous me rassurez ! Au moins vous n’avez pas vu mon nez s’allonger !

    — Vous êtes bien égal à vous-même. Vous vous en sortez toujours par une boutade. Au fond, c’est ce qui fait votre charme.

    — Ma chère Nadia, dois-je vous rappeler que je vous paye pour me conseiller et non pour me draguer ?

    — Allez, soyez fair-play, avenir du rock. Je ne fais qu’utiliser vos méthodes. Juste pour vous montrer l’effet que ça produit.

    — Bon cessons de batifoler, ma chère Nadia. Nous avons une journée chargée. Par qui commençons-nous ?

    — Nous avons rendez-vous à 11 h avec les frères d’Addario.

    — Ah très bien !

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    Responsables d’un petit buzz en 2016, les frères d’Addario sont vite devenus célèbres. Leur groupe s’appelle Lemon Twigs et leur premier album Do Hollywood. Leur truc, c’est de se distinguer à tout prix. Leur exemple pourrait rappeler celui des pré-Sparks, du temps où ils s’appelaient Halfnelson. Les Twigs pourraient aussi prétendre à être les Bowie des temps modernes, ils ont cette modernité de ton chevillée au corps, comme le montre «As Long As We’re Together». Ils visent le délibéré, l’absence de frontières, ils échappent à toutes les particularismes, ils sont à la fois intimistes et présents. Ils transforment leur pop en art. Attention avec les Twigs, il faut s’attendre à tout sauf à de la pop conventionnelle.

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    Ils sont résolus à brouiller toutes les pistes. Leur «How Lucky Am I?» est à la fois très pur et inclassable, avec son piano et ses harmonies vocales. Encore plus déroutant, voici «Hi+Lo» et ses grosses cavalcades teutoniques sur la glace du lac gelé, leur monde se complexifie mais fascine en même temps, ils s’amusent à casser le concept du hit, ils le fracassent en mille morceaux. Ils finissent néanmoins en mode hit pop, high & low for you, et ça explose. Ces deux-là ne respectent rien. Ils s’amusent à sonner comme des cadors avec «I Wanna Prove To You», c’est alarmant et réconfortant à la fois et cette pop baroque éveille vite l’intérêt, tellement elle se situe aux antipodes de la soupe qu’on nous sert aujourd’hui. Leur légèreté de ton les préserve des commentaires haineux. Ils sont vivaces et perspicaces, leur pop est à la fois baroque et sans avenir, mais que d’élégance dans l’élocution ! Ils ne se prendront jamais au sérieux, et ça va les sauver. Avec «Baby Baby», ils entrent à nouveau dans un délire. Ils fracassent littéralement la commerciabilité des choses. Ils échappent à tous les cadres. Ils terminent avec «A Great Snake» et s’imposent avec tout le sérieux du monde. Cette démarche ne te rappelle rien ? Mais oui, Dada, mais les Twigs sont américains et donc c’est autre chose. Dada est trop profondément européen, trop Arpy, trop romano-Tzarique. Leur Snake est très gorgeous, très introduit dans la vulve, l’ambiance reste à l’impertinence, rien ici ne correspond à rien, mais en même temps ça a du poids. Ils finissent tout de même en mode Mercury Rev.

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    Go To School est un album qu’il faut faire l’effort d’écouter sans trop s’arrêter sur les textes, car c’est un mini-opéra et donc un projet ambitieux. Autant le dire toute de suite : ils sonnent exactement comme Big Star avec «Queen Of My School». C’est joué à la dégringolade d’Alex Chilton, même processus, mêmes guitares, même power du poppisme. La fin de l’album est nettement plus intéressante, avec des cuts comme «Never Know», une fantastique explosion de pop supérieure, ou encore «The Fire» qui sonne comme un vrai hit, une vraie leçon de maintien. Incroyable stature de la tenure, c’est chanté au creux du menton, les deux frangins poussent bien le bouchon et le thème musical est fantastique. Ils sont les maîtres de leur monde. S’ensuit une Beautiful Song, «Home Of A Heart (The Woods)», ils retapissent la pop au cul des Twigs et ils passent ensuite à la Stonesy avec «This Is My Tree». On retrouve les accents tranchants de Steve Harley dans «Never In My Arms Always In My Heart», et ce chant typique suivi à la guitare. Très anglais, décadent et baroque à la fois. Ils vont parfois faire un petit tour à Broadway («The Student Became The Teacher») et dans un rock world qui n’est pas vraiment le nôtre («Rock Dreams»). Ils échappent aux cadres et aux modes. Il faut attendre «Lonely» pour renouer avec la beauté. Ils finissant en saluant les Beatles du White Album avec l’indicible «If You Give Enough» joué au thérémine.

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    Et voilà qu’en 2020 paraît Songs For The General Public. Pour fêter l’heureux événement, Shindig! leur octroie deux pages. Leur intention était de faire something that is no bullshit, like Paul Revere & The Raiders. Les deux frangins adorent jongler avec les références. Ils citent volontiers le Street Legal de Dylan et l’Holland de Brian Wilson. Ils citent aussi les Stooges et les Dolls pour «Leather Together», avec un chant à la Pete Shelley. Ils ont raison de faire appel à ces noms magiques, car leur Leather est amené à la violence extrême. Ils savent déclencher les furies de non-retour. Ça prend une tournure incontrôlable et ça explose en folie Méricourt de yah yah yah. Le coup de génie de l’album s’appelle «Hog» - You’re my confidente/ Now once in a while you haunt/ My dreams/ They turn into nightmares/ The water into mud/ The bed is soaked with blood - Ils montent ça jusqu’au sommet de l’art - I’m not you ! - Avec le «Hell On Wheels» d’ouverture de bal et cet accent tranchant, on se croirait chez Steve Harley & Cockney Rebel. C’est assez surprenant et plein de vie. Ils créent leur monde en toute impunité, avec un joli brin de décadence. Leur pop est inclassable, assez enjouée et même enjouable. On pense bien sûr à Halfnelson. Cette pop baroque n’a aucun espoir de plaire, mais ce n’est pas son propos. Ils amènent «Fight» aux accords de hit, mais ce n’est pas un hit. Ils montent chaque fois au créneau, gorgés d’esprit des seventies, au propre comme au figuré, c’est-à-dire au son comme au look. «Moon» sonne comme de la heavy pop désespérée. Ces deux mecs sont d’une enviabilité sans nom, ils battent la campagne avec la pop sauvage de «The One» et son solo arc-en-ciel. Ils développent une énergie de tous les instants. Avec «Only A Fool», ils explorent des territoires inconnus, ils créent des fondus chauds et veloutés dans le cul du diable, c’est même beaucoup trop baroque. Mais en même temps, ils inventent un genre : le baroque explosif. Il faut savoir l’accepter. Mine de rien, ils fabriquent de la modernité.

    Signé : Cazengler, l’immonde twig

    Lemon Twigs. Do Hollywood. 4AD 2016

    Lemon Twigs. Go To School. 4AD 2018

    Lemon Twigs. Songs For The General Public. 4AD 2020

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    Jon Mojo Mills : Looking for a place to dream. Shindig! # 105 - July 2020

     

    Inside the goldmine

    - Wendy est la Rene

     

    Les deux flics de la patrouille ne rigolaient pas.

    — C’est quoi ton nom ?

    — Rene... Je suis Rene...

    Les deux cops échangèrent un regard chargé d’incertitude. Le plus gros des deux répondit au bout d’un instant :

    — Et mon cul, c’est du poulet ?

    — Mais si, officer, je suis Rene...

    — Tu vois, petite salope de négresse, mon copain il est pape. Ça t’en bouche un coin, pas vrai ?

    — Pape ?

    — Ben oui, si toi t’es reine, lui il est pape, tu piges ? Get It ?

    Elle commençait à paniquer. Elle comprenait qu’elle allait passer à la casserole... Elle portait une mini-jupe, ce qui devait encore plus les exciter, elle avait oublié son sac et il faisait une chaleur terrible, même au cœur de la nuit.

    — Je vous jure sur la bible que je suis Rene...

    Le flic maigre commença à déboutonner sa braguette.

    — Me suis jamais tapé une reine, ma bite va s’anoblir... Suis certain qu’elle va adorer ça...

    Le gros s’épongeait le front. D’un ton menaçant, il lui ordonna de se tourner :

    — Maintenant, tu remontes ta jupe et tu nous montres ton cul, magne-toi !

    Alors elle tenta sa chance. Elle se mit à chanter et à claquer des doigts :

    — I smell something in the air/ You know it smells like/ bar-B-Q !

    Les deux flicards semblèrent pétrifiés. Elle dansait et chantait avec une niaque extraordinaire.

    — If I had some I wouldn’t care because/ I like bar-B-Q !

    Ils furent comme entraînés par ce jerk de reine, le maigre se mit à danser avec sa bite à la main et le gros fit onduler ses poignées d’amour, les deux bras en l’air. Alors elle mit la gomme et prit son refrain au raw de Stax :

    — Well I like bar-B-Q/ You like bar-B-Q/ We like bar-B-Q/ You know I sure like bar-B-Q !

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    On trouve ce hit énorme sur une rétrospective de Wendy Rene parue en 2012 sur Light In The Attic : After Laughter Comes Tears (Complete Stax & Volt Singles + Rarities 1964-1965). «Bar-B-Q» fait partie des hits de ce qu’on appelle l’early Stax. Elle est marrante, la petite Wendy Rene, elle chante d’une voix aiguë sur le gros beat Stax, c’est complètement juvénile, elle s’amuse comme une folle. Comme tous les autres artistes signés sur Stax, Mary Fierson est arrivée avec son frère Johnny en 1963, au 926 East McLemore Avenue, pour tenter sa chance, et pouf, c’est Otis qui va la rebaptiser Wendy Rene. Wendy avait 16 ans et son frère 17 - We went down to the Stax recording company - Wendy avoua à Mister Stewart qu’elle avait des chansons et Mister Stewart lui demanda de les lui montrer. Ça lui plut et il demanda à voir les parents de Wendy pour la signature du contrat. Mister Stewart cherchait the next big thing et pensait l’avoir trouvé avec Wendy Rene et son frère Johnny.

    Wendy était fière car Monsieur Cropper, Booker T, Al Jackson et Packy l’accompagnaient. Puis en 1965, elle décida d’arrêter pour élever ses enfants. Stax insista pour qu’elle reprenne du service et participe à la tournée d’Otis en 1967, mais elle hésitait à revenir dans le biz et finalement elle déclina l’offre. Ce fut un sacré coup de pot, car c’est durant cette tournée qu’Otis et les Bar-Keys sont morts noyés, suite au crash de leur avion dans un lac du Wisconsin. Wendy l’avait échappé belle.

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    Il faut écouter Wendy Rene. Elle est adorable, si sucrée, si féminine. Comme Carla qui est encore au lycée à cette époque, elle fait des slowahs très staxy avec des chœurs de femmes languides. Elle parvient à arracher certains balladifs du sol, comme de «What Will Tomorrow Bring». Elle duette parfois avec son frangin Johnny dans les Drapels («Wondering When My Love Is Coming Home»). Elle fait pas mal de Carla Thomas, donc il faut aimer ça. Elle chante son «Crowded Park» pied à pied, c’est nappé d’orgue, un peu à la 96 Tears. Elle est très présente, mais pas aussi percutante que Rozetta Johnson. Bon, c’est vrai, on ne peut pas tout avoir. Il faut parfois accepter de changer ses désirs plutôt que le cours du monde, oh ce n’est pas facile, nous sommes bien d’accord, mais avec un peu de volonté, on peut espérer y parvenir. Light In The Attic fait bien les choses, puisqu’il s’agit d’un double album, alors la fête se poursuit en C avec un «Love At First Sight» bien embobinant. Avec «She’s Moving Away», elle lève une pâte de Soul bien épaisse. Elle n’a pas une voix très ferme, mais elle force la sympathie. Comme Carla, elle tartine tout ce qu’elle peut, elle y va de bon cœur, elle n’a pas de problèmes d’octaves, elle fait une Soul très primitive. Encore un joli groove de Staxy Soul avec «The Same Guy» et une belle basse au devant du mix. C’est excellent, un peu rampant et staxé jusqu’à l’os. Tout ici est ficelé au ras des pâquerettes de McLemore. Elle fait son gros popotin avec «Can’t Stay Away», c’est tellement épais qu’elle parvient à transcender la notion de primitivisme Soul. C’est toujours bien tartiné, jamais tartignolle. Wendy Rene propose une early Soul merveilleusement contrebalancée. Quelle fantastique présence ! Elle reste toujours au bord du faux, comme d’autres au bord du gouffre.

    Singé : Cazengler, Reine des pommes

    Wendy Rene. After Laughter Comes Tears (Complete Stax & Volt Singles + Rarities 1964-1965). Light In The Attic 2012

    *

    Encore une fois parmi les nouveautés la pochette m'a tenté. Comment résister aux sortilèges d'une fée, surtout si elle représente la déesse du destin ! Deux opus à l'actif de Mother Morgana. Des autrichiens. De la ville de Graz, grosse cité située à cent cinquante kilomètres de Vienne.

    RISE

    MOTHER MORGANA

    ( 06 Janvier 2022 )

    Katharina Franz : vocal, keyboards / Jacob Mayers : bass, lyrics / Stefan Höfler : drums / Fabian Gössler : guitare, enregistrement.

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    Artwork : Ines Peinhaupt. Trois des morceaux de cet album ont paru précédemment agrémentés de trois dessins reproduits à leur place ci-dessous. Le lecteur pourra méditer sur la différence des styles avec la pochette finale du CD. L'on y retrouve toutefois le corbeau à tête squelettique, est-ce celui qui siégeait sur l'épaule gauche d'Odin et qui connaissait l'avenir, celui-ci étant facile à prophétiser toute chose étant soumise à sa corruption dixit Aristoteles. Encore faudrait-il savoir qui se cache sous la mort. Mother Morgana le proclame, Rise est un concept-album. Si la pochette semble souriante, le sujet l'est moins. Comment retrouver son chemin intérieur lorsque l'esprit a craqué.

     

    Emptiness – Dream I : avancée sonore inaudible, une voix voilée s'élève incompréhensible, ce qui est sûr c'est qu'une monture trottine dans le brouillard, elle continue imperturbable malgré des herbes hautes de guitares qui tentent de l'arrêter, le voyageur continue son chemin, tout se tait, seul reste un chuintement de marécage. Ce premier rêve est juste un début de cauchemar.

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    Outcast and stranger : basse conciliante, il s'avance, on le voit, on ne l'entend pas, maintenant sa présence est indubitable, il parle mais à l'intérieur de bruits, imaginez sa voix comme un craquement de bruyère séchée, Katharina traduit ses paroles pour nous, elle conte son désarroi et crie son désespoir, pourquoi est-il empli de tant de sable de solitude, la musique continue toute seule, elle ne peut plus rien pour lui, elle a beau prendre de l'importance, ce que l'on perçoit c'est ce crissement de roue de charrette mal huilée qui se répète tel un appel au secours qui ne veut pas dire son nom.

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    Call me echo : galop fracassé de batterie et charge de guitares, éclats de synthétiseur, il-elle chante, tout bas, il-elle répète les mots que chacun de nous prononce dans sa vie, lui-elle les a aussi proférés, mais il-elle ne sait plus quand, où et pourquoi. Soubassement pianistique, il-elle se souvient qu'il fut un temps où il-elle se souvenait, la terrible incertitude de lui et d'elle-même assombrit les guitares qui pèsent lourd, le drame est là dans cette trahison du réel qui n'a pas été à la hauteur des rêves vécus. No hiding – Dream II : un clavier lance les étincelles d'un brasier qui rougeoie, la voix du cavalier se fait plus claire, juste quelques mots qui taisent plus qu'ils ne disent.

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    Rise : quelque chose arrive, une vague de musique, la mer qui bat les rochers, l'on dirait que Katharina retient sa voix tout en l'allongeant, elle n'en peut plus elle vocalise sur des escarpins de guitare, la chose est là, tout près, elle ne demande qu'à sortir, l'on pressent une bête informe, une bulle de souvenirs qui ne veulent pas se souvenir, un globo qui ne veut pas crever, du verre brisé qui se reconstitue avant que l'on ait pu voir, que l'on ait pu savoir, mais l'envie de passer outre, de se persuader qu'il importe peu de regarder les yeux crevés du passé, terrible combat de soi-même contre soi-même, passer oultre. Emotion : guitare klaxonnante et danse tournoyante, quelque chose au fond de soi, je ne sais pas quoi, mais je pressens, musique en danse du sabre, il est temps de régler ses comptes avec soi-même, d'abord avec la réalité du monde et des pantins qui me ressemblent qui le peuplent. Exaltation. Don't dive to deep – Dream III : intermède, des paroles qui ricanent, des notes de piano qui explosent, un grignotement de souris affairée qui dérange. Sea of vision : l'on cède toujours, l'on glisse, l'on s'enfonce dans le gouffre, est-ce une défaite ou une victoire, le monstre se précise, Katharina nous prend par la main et nous oblige à regarder les documents délavés, l'on sait que l'on brûle, tintements de cristal, hurlements de peur et de colère, il est impossible de reculer, la musique vous interdit de regarder par le trou de la serrure, l'instant de vérité approche. La mer musicale nous emporte. Farewell letter : lettre d'adieu et de trahison, lui et elle se répondent, batterie martelée et course rythmique, froissements sonores, vocal de colère et de dépit, un motif arabisant évoque la cruauté du monde et les yatagans de la souffrance et de la haine inassouvie. Veil of ilusions : tout doux comme des temps de rédemption, le morceau débute comme une symphonie, la voix de Katharina se charge d'y mettre le feu, les rêves les plus fous entrent en collision avec la réalité du passé, il n'est pas mort, il a retrouvé son égo, il sait qu'il faut avoir du courage pour briser les menottes que l'on s'est soi-même passées. Il est nécessaire de vivre avec soi-même si l'on veut aller de l'avant. I am you are me – Dream IV : quatrième instrumental, un piano qui joue classique, la voix parle, un peu voilée, mais l'on comprend que le passé ne nous quitte jamais, que les rêves brisés subsistent aussi dans leurs moments les plus délicieux, que personne ne pourra vous les enlever, qu'ils sont en vous comme la bosse est sur le dromadaire. Strange ways : délivrance, Katharina chante, un peu jazz, musicalement le morceau tranche avec tout ce qui précède même si les guitares et la batterie remplacent les cuivres et les violons, à mi-chemin le rock revient pour mieux s'éloigner, nous refait le coup deux fois, mais Katharina nous donne   l'impression d'être  un vieux crooner désabusé de l'existence qui n'en continue pas moins à se battre comme un lion face à la vie.

    Agréable à écouter mais pas vraiment rock. Le groupe a des idées, il lui manque le pétrole de la puissance. Le thème n'est pas vraiment original, il est souvent développé par les groupes de metal et de doom, la qualité du texte est toutefois à souligner.

     

    ENDONAUTICA

    MOTHER MORGANA

    ( Juillet 2019 )

    Katharina Franz : vocal, keyboards / Fabian Gössler : guitare / Michael Ambroschütz : bass /

    Martin Furian : drums / Jacob Mayers : texts.

    Artwork : Denica Denkmair

    Leur premier album. Un concept-album plus ou moins directement inspiré de 2001 Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick et peut-être aussi du jeu Randonautica. La pochette, très belle en elle-même, trop emphatique, ne correspond pas à l'esprit de l'album.

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    Ignition : belle performance de Katharina sur un groove imperturbable, elle ne chante pas le dictionnaire, plutôt un dépliant publicitaire pour nous proposer un voyage hors des limites de notre monde, on l'imagine à Cap Canaveral, au pied d'une gigantesque fusée interstellaire, déguisée en Monsieur Loyal en train d'appâter le client, attention à sa voix de poupée siliconée, bouchez-vous les oreilles comme Ulysse, sans quoi vous partirez, une tuyère rugissante se superpose au groove et l'on vogue déjà vers les étoiles. Musique rotor, forte et puissante. Hybris : Un ton au-dessus. Le voyage n'est pas ennuyeux car l'on peut parcourir deux routes à la fois, celle des étoiles et celle intérieure qui nous permet d'explorer notre passé, Katharina nous enchante de sa voix aérée. Maintenant elle est prête à tout, à passer la porte de l'inconnu. Longue traversée musicale, solo de batterie et note de synthé attiseur terminales. Odyssey : des cordes de guitare et la voix de Katharina s'enroulent autour d'elles telles un serpent versicolore et venimeux, attention à la piqûre tout s'emmêle et se brouille malgré la netteté cristalline de ce vocal, nous avons dû beaucoup voyager, dans le film, nous sommes dans la dernière scène, que se passe-t-il au juste, sommes-nous victimes d'une illusion programmée ou dans le cerveau macrocéphale d'un bébé imaginatif. Profitons-en pour goûter l'orchestration, peu de moyens et beaucoup d'effets, ce que les paroles n'expliquent pas, le background le traduit. Magnifique. Whispering : où sommes-nous, dans un cauchemar, dans une illusion, dans une solitude sans fin, la voix de Katharina semble constituée de larmes gelées, parfois elle s'énerve, désire si fort retoucher à la réalité, mais la glaciation éternelle l'emprisonne une nouvelle fois, la guitare soloïse comme si elle devait attendre toute une éternité avant qu'elle ne se réveille. C'est si bien fait que l'on se croirait dans la partition d'une comédie musicale, préparée au millimètre près pour triompher à Broadway. Wild eyes : suspense et délire. Une voix si lointaine. A qui parle-t-elle et surtout d'où parle-t-elle, depuis les tréfonds de son angoisse métaphysique ou quelque chose de trivial est-il vraiment en train de se passer, groove-blues, lorsque la mort s'avance vers nous, quel masque porte-t-elle, le nôtre, celui de l'ennemi à soumettre auquel il faudra peut-être se montrer servile. Une guitare qui file, une batterie qui pointille, tout va très vite, tout va trop vite. Jusques où ? Point d'interrogation synthétique. Icarian : Quelques notes qui tombent. Tout est fini. Le corps se désagrège. Lentement mais sûrement. Le temps de traverser le silence et de passer de l'autre côté. De l'autre côté de la vie. Dans cet espace plat que nous nommons la mort. Qui n'est que l'autre nom de l'éternité. Elle est retrouvée. Qui ? Ô temps suspends ton vol ! Serait-ce l'amour, ou le rire démoniaque de l'ironie qui au bout des circonvolutions du tapis volant instrumental vous invite à entreprendre le voyage.

    Cet album est bien meilleur que le deuxième. Totalement différent. On ne croirait pas qu'il s'agisse du même groupe. La section rythmique d'origine n'est plus sur le deuxième album. Elle avait cet avantage de jouer clair, de se marier en voiles blancs et gazes transparentes avec les autres instruments qui paraissent avoir plus d'espace pour respirer. Ce qui distingue ce disque de beaucoup d'autres, c'est son originalité. Il ne suffit pas de posséder un concept, encore faut-il savoir le faire bouger. Ici l'on ne sait pas ce qu'il va se passer au morceau suivant. Tout est surprise. Tout est signifiant. L'auditeur est en attente, et jamais déçu. Pourtant le disque possède une unité sidérante. Sur Rise l'on pressent une bonne chanteuse, sur celui-ci elle nous confond de par son talent. Quelle facilité, quelle plasticité. J'espère que ce petit chef-d'œuvre ait été reconnu à sa juste valeur en Autriche.

    Damie Chad.

     

    *

    L'image est mystérieusement apparue sur ma page FB, apportée par une cigogne ai-je hypothésé en déchiffrant le titre L'enfant de la lune, whaou ! un album pour les tout-petits, avec ce bleu de couverture clinquant de Klein, cette tache jaune qui monopolise l'œil, en prime cette bonne grosse lune blanche, on se l'arrachera dans le coin-lecture des maternelles, lorsque mon regard est tombé sur le nom de l'auteur en bas à droite, j'ai compris mon erreur. L'affaire était beaucoup plus sérieuse.

    MOONCHILD

    ALEISTER CROWLEY

    ( Trad: Audrey Muller & Philippe Pissier )

    ( Editions Anima / Novembre 2021 )

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    D'ailleurs inclinez le volume ( devant, derrière, sans omettre le dos ) vers la lumière et vous verrez... Ce que vous devez voir. L'on ne présente plus Aleister Crowley ( 1875 – 1947 ) aux kr'tnt-readers. Les Beatles ont figuré sa figure sur la pochette de Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band, Jimmy Page a tenu à s'acheter le manoir du Magicien le plus célèbre du vingtième siècle, comme aime à le rappeler dans sa docte introduction Mark S. Morrison.

    Phillipe Pissier a déjà traduit en notre langue plusieurs traités de magie de Crowley. Je sais, le mot de magie ne semble pas trop sérieux aux esprits raisonnables, détendez-vous, souriez, cette fois-ci c'est un roman, vous voici soulagés, vous êtes prêts à vous lancer dans une lecture pour le moins abracadabrante – avec Crowley il faut s'attendre à tout – mais une fiction sans danger qui n'engage à rien puisque c'est un roman ! Bien sûr vous avez raison. Un roman certes, toutefois un roman de magie. Si vous êtes courageux continuez la lecture de cette phrase, car plus qu'un roman de magie, nous avons affaire à un roman magique.

    Peut-être n'êtes vous pas très versé en magie. Cela tombe bien. Moonchild peut être lu comme un manuel de magie pour débutants qui n'y connaissent rien. Facile à comprendre, il ne se présente pas comme un précis théorique, n'ayez crainte ce n'est pas votre maladresse qui est appelée à entrer en action. Les personnages du roman s'en chargent. Z'êtes dans votre fauteuil comme si vous regardiez un western à la télé. Toutefois un western ésotérique. Ce qui change la donne. Nous voici obligé d'explorer le premier tiroir à double-fond. Aucune tricherie. Même si Moonchild est un roman à clefs multiples. Vous bénéficiez d'un éditeur, Anima, sympa : en fin de volume une dizaine de pages vous révèlent l'identité véritable des différents personnages. Pour être un Mage, Crowley n'en fut pas moins un homme. Règle ses comptes avec le petit monde ésotérique de son époque. Vous voici transporté au cœur de la Société Hermétique de l'Aube Dorée, cette société secrète britannique à cheval sur les dix-neuvième et vingtième siècles qui compta parmi ses membres le poëte Williams Butler Yeats, rappelons que Crowley fut lui-même poëte et que nous étions en une époque où la poésie fut un des véhicules essentiels du Mystère...

    A la fin du dix-huitième siècle les sociétés secrètes traditionnelles s'effondrent. Raymond Abellio synthétisera ce phénomène politique sous l'appellation de dévoilement de l'ésotérisme. Les enseignements secrets seront à la portée de tous. Le Romantisme s'en saisira. L'entreprise magicke de Crowley, durant toute sa vie, consista à revisiter tous les éléments dispersés de l'ésotérisme traditionnel afin de les rassembler selon une méthode de grande efficience capable de préserver cet héritage séculaire en le transformant en arme de combat contre la déhiscence péréclitante du Monde Moderne. Un tel projet de conceptualisation hégémonique rencontra de multiples oppositions. Crowley empêcha bien des sommités reconnues de l'ésotérisme d'ésotériser en rond...

    Je vous ai promis un western. Un vrai, avec le combat impitoyable des affreuses tribus peaux-rouges contre les gentils cowboys. Donc pas de féroces Séminoles ni de Septième de Cavalerie en renfort au grand galop, nous avons mieux en magasin, pire aussi. Deux ordres secrets engagés en une lutte à mort. Rassurez-vous les forces du bien l'emporteront sur les forces du mal. A cette nuance près qu'il ne faut pas trop se précipiter d'entrevoir ces deux postulations selon un regard éthique. Le néophyte en prend plein le cerveau. Tactiques et mises en pratique sont longuement exposées. Notamment les fameux rituels de sorcellerie. Ce mot n'est pas employé une seule fois dans le livre, reconnaissez que le petit frisson qui a parcouru votre moelle épinière n'était pas désagréable. C'est beaucoup plus subtil que cela. L'est sûr que les programmes à la bave de crapaud et de sang de porc-épic prélevé dans un cadavre encore chaud de moine syphilitique décédé depuis exactement treize heures sont l'apanage du camp adverse, celui qui s'oppose à l'équipe dans laquelle Crowley s'est doublement enrôlé puisqu'il apparaît sous forme de deux personnages.

    Le livre n'abuse point de ces oripeaux. Il se présente avant tout comme une réflexion sur l'essence de la magie. Sans tirer vers l'abstraction abstruse. De simples discussions tenues en un vocabulaire des plus simples. Nous vivons dans la réalité du monde. Du monde que nous percevons. Avec nos sens. Il est donc toute une partie du monde dans lequel nous vivons que nos limites sensitives nous interdisent d'appréhender. Le monde est peut-être beaucoup plus étendu que nous ne le pensons. Dans les quatre directions de la boussole. Mais aussi en hauteur et en profondeur. Nous ne squattons qu'un étage. Pourquoi n'existerait-il pas d'autres êtres vivants qui batifoleraient à nos côtés, et au-dessous et au-dessus de nous. Sans que nous les remarquions. La magie est l'art d'entrer en contact avec ces entités très différentes de nous, de les appeler, de pactiser avec elles afin qu'elles nous aident à réaliser nos desseins les plus sombres comme les plus lumineux. Cette vision du monde n'est pas très éloignée de celle des anciens grecs qui imaginaient le monde comme un assemblage de sphères emboîtées les unes dans les autres, chacune sous l'égide de la puissance tutélaire d'un Olympien.

    Crowley, même s'il a rejeté avec violence le christianisme familial, restera marqué par la fantasmagorie culturelle chrétienne. D'où à première vue ce camp du bien opposé au camp du mal. Crowley est beaucoup plus subtil que cela. Le lecteur préfèrera connaître cet enfant de la lune, qu'est-ce qu'au juste un enfant de la lune. C'est un enfant conçu selon les effluves séléniques. Une opération difficile qui exige calme et précision. L'enjeu est de taille. Il faut trouver la mère. Qui se doit d'être en accord avec le projet. Ce n'est pas la partie la plus difficile. L'ennemi rôde autour de la maison-chrysalide. Beaucoup plus embêtant. Une sombre puissance est aux aguets. Ses agent seront éliminés. Il est temps de relire Le Masque de la mort rouge d'Edgar Poe. Vous pouvez monter la garde la plus attentive en dehors et dedans le bunker protecteur, le cheval de Troie est déjà au centre de la place-forte depuis le début.

    Régal du lecteur. Rituels et contre-rituels se succèdent. Nous qualifierons ceux de la partie adverse de visqueux. Imaginez les démarches et les bêtes répugnantes que vous associerez à cet adjectif. Intellectuels sont les rituels qui arrêteront ces hostiles et gluantes menées. Intellectuels parce que tout se passe dans la tête. Nous n'avons pas cité Edgar Poe au hasard, d'abord parce qu'il est nommé dans le roman, surtout parce que le poëte du Corbeau s'est beaucoup préoccupé de la notion de réversibilité. Que tend à nous laisser entendre Crowley ? Que tout rituel est réversible à l'image d'un symbole. Toujours est-il que les choses malgré les menées des uns et des autres s'arrangent d'elles-mêmes, au final beaucoup de bruit pour pas grand-chose, le drame tourne au vaudeville.

    Ne soyez pas déçu. Si votre pardessus est réversible vous pouvez le retourner autant de fois que vous le désirez. Le vaudeville se transforme en histoire sans fin. La magie serait-elle une occupation stérile qui mène à tout et à rien. Vous n'avez rien compris du tout. Moonchild n'est pas un livre de magie, mais un livre magique. Bis repetita placent. Allez chercher l'enfant de la lune chez sa nounou, et laissez jouer les hommes entre eux. Ils ont mieux à faire que de torcher les gosses. Mark Morrison prévient le lecteur moderne, Crowley était misogyne. Que ce roman ne tombe jamais dans les mains d'une sectatrice Me tooïste ! Gloire à Audrey Muller qui a participé à la traduction ! Les esprits faibles rajouteront une deuxième couche : la magie ne serait-elle pas une occupation futile, pas plus importante que la partie de foot que disputent les gamins du quartier sous vos fenêtres.

    Le livre n'est pas terminé. Ne manquez pas de lire l'épilogue qui nous raconte ce que deviennent les personnages. Le roman fut publié en 1929 – année de crise - mais écrit aux Etats-Unis, en 1917. Le but de Crowley n'était pas de rédiger un bon roman rempli d'étranges péripéties dans le but d'étonner et de captiver le lecteur. Moonchild est une œuvre macgicke et métapolitique. Elle est à lire comme un rituel destiné à entraîner les USA à entrer en guerre contre l'Allemagne et surtout à rappeler la nécessité d'une renaissance spirituelle de la modernité. Le roman lui aussi est réversible. Vous pouvez le relire.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 7 )

    HOLLY DAYS IN AUSTIN ( II )

    DICK RIVERS

    ( New Rose / 1991 )

    On prend les mêmes et l'on recommence. Pas exactement, ce serait trop simple.

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    Oh boy ! : rien à dire, ça change tout. Même orchestration, mais le vocal à pleine dents, c'est ainsi que l'on se rend compte de la difficulté de chanter en français ! Cette nécessité de resserrer les vocables de notre langue, de les compresser au maximum, de les réduire, de les mettre en bocal comme ces crotales que l'on jette vivant dans le moonshine et qui ne peuvent plus mordre malgré les torsades de leur agonie... Well, all right : ici, c'est un peu le contraire, Rivers chante trop ''français'', le titre paraît adopté de sa version française et non de Buddy, ce qui manque ce sont les nuances, ces courbures palatales de Buddy qui ne passe jamais en force. Heartbeat : absentes les effluves nasales de Buddy, Dickie bien à côté de la plaque, cette version anglaise fait regretter la french connection établie par Bernard Droguet avec le roman de Fitzgerald, les belles infidèles ont parfois beaucoup plus d'attrait que les épouses soumises à leur seul mari, s'affranchir en toute franchise est vraisemblablement le secret de toute adaptation – et non pas traduction – réussie. It doesn't matter anymore : doit être un grand fan de Buddy le petit Dickie pour reprendre pour la deuxième fois le titre le plus plat du rocker de Lubbock – Holly se cherchait plus qu'il ne s'était réellement trouvé, et le rock 'n' roll s'annonçait déjà comme la future cause perdue in the States – quoi qu'il en soit, en n'importe quelle langue, à Austin ils ont réussi à sauver les meubles et faire mieux que l'original. Ce qui entre nous n'était pas difficile. Malgré la multitude de ses possibilités Buddy n'était pas un chanteur de charme. Everyday : envoyez la musique, cette version enlevée est peut-être meilleure que la précédente, sûrement parce que le timbre de Rivers paraît beaucoup plus éloigné en langue originale de celui de Buddy, profonde coupure avec le monde de bisounours dans lequel nous plonge la douceur hollyenne. Not fade away : Vous préfèrerez la version sur Dick 'n' Roll et celle-ci à son homologue en langue verlainienne, please play loud, cela semble donner raison à ceux qui affirment que l'on ne peut chanter le rock 'n' roll qu'en idiome shakespearien, toutefois c'est mal poser le problème, même s'il existe de très belles et rares adaptations, le secret de la réussite consiste à créer et non à reprendre. Ce qui déjà effectue une brisure avec le déploiement du rock américain qui a énormément progressé de reprise en reprise. True love ways : l'a trouvé la parade Dickie pour nous offrir un somptueux cadeau, bye-bye Buddy, oubliez-le, Rivers se souvient de son ami lointain, la chante à la Elvis Presley, voix grave et profonde, d'une manière très différente de sa version française. Take your time : les bons plans, c'est comme la recette de cuisine dont on use et abuse dès que des invités se pressent à la maison, le vice d'Elvis reprend Rivers, nous sort de temps en temps – pas toujours car il ne faut pas exagérer – sa voix caverneuse, comme ce n'est pas tout à fait un slow, Dickie la laisse de côté sur les passages rythmiques. Wishing : passe en force Monsieur Rivers, certains trouveront qu'il est un peu cavalier envers Buddy, mais piquer un cheval aux hormones avant la course est de bonne guerre, surtout si l'on remporte la bataille. En plus il fait ressortir l'orchestration qui semble donner du clairon. Maybe baby : ce n'est pas meilleur, Dickie chante plus vite que ses chaussures. En français on pardonne, on feint de croire que l'on a mal entendu, mais en anglais c'est quelconque. De fait la meilleure version française de Maybe Baby c'est New York avec toi de Téléphone. Non créditée à Buddy. Reminiscing : la beauté de la version de Buddy c'est le sax qui écrase tout, le gars à lunettes se contentant de minauder tout autour, ce coup-ci Dickie y va plus à fond et j'ai l'impression qu'ils ont remis le sax devant. Vous préfèrerez la Rivers french touch. Crying, waiting, hoping : était-ce vraiment la peine de faire semblant de mâcher du chewing gum, certes Buddy était américain, mais il ne donnait pas l'impression de rouler un palot à un cheval quand il s'avançait pour embrasser une fille. On eût aimé un peu de distinction et non cette furia franchese trop balourde.

    Nous serons plus sévère envers cet Holly Days in Austin II, si le premier est une curiosité qui mérite le détour, ce second malgré quelques meilleurs scores ne ravira que les fans, s'avère dispensable. Ce qui n'oblitère en rien ce mémoire hommagial de Dick Rivers dédié à Buddy Holly.

    Damie Chad.

    P. S. : une triste nouvelle, la mort à l'âge de cinquante-six ans de Pascal Forneri, le fils de Dick Rivers. Il réalisa des clips notamment pour son père et pour Rachid Taha.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    Episode 14

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    CONFERENCE SOMMITALE

    Les filles toussaient. Le Chef avait passé toute la nuit à fumer Coronado sur Coronado afin d’élaborer le plan Alpha, d’épaisses volutes de fumée bleutée avaient envahi l’abri et rendaient l’atmosphère irrespirable, nous étions tous regroupés autour du Chef et attendions les directives.

    _ je vous sens tous tout ouïe serrés autour de moi comme un banc de sardines, pendant que vous dormiez, malgré les bruits suspects qui me parvenaient - les filles rougirent ou plutôt rosirent d'un rose socialiste libéral - mon vaste cerveau n’a point cessé de méditer un quart de seconde, voici donc le résultat de mes cogitations transcendantales.

    L’heure était grave, Molossa et Molossito se couchèrent aux pieds du Chef, et ne tardèrent pas à fermer les yeux, toutefois leur oreille gauche de temps en temps affligée d’un léger tiraillement trahissait leur attention, les braves bêtes étaient aux aguets et ne perdaient pas un mot des étonnantes analyses et terribles décisions auxquelles le Chef s’était livré :

    _ Il m’en coûte de le reconnaître, l’Avorton a raison - un oh ! de stupéfaction généralisée accueillit les paroles du Chef - chaque fois que le SSR intervient dans cette redoutable et incompréhensible affaire, les morts s’entassent à foison, à croire que ces impétrants y prennent du plaisir, cela ne peut plus durer !

    Le Chef alluma un Coronado, nous nous tûmes respectueusement durant cette délicate opération , une fois celle-ci terminée le silence s’installa. Au bout de cinq longues minutes je l’interrompis :

    _ Qu’allons donc nous faire ?

    _ Agent Chad, modérez vos ardeurs, je répondrai par un seul mot à votre interrogation angoissée, Rien !

    Cette fois-ci ce fut un Oh ! scandalisé qui jaillit de nos bouches, le pavillon droit des chiens se leva et s’abaissa signe de leur grande perplexité.

    - Je sens que le fait de ne pas bouger de toute la matinée vous effraie, vous avez peur de vous ennuyer, je le comprends, votre cervelet maigrelet ne peut se complaire à rouler de vastes interrogations, aussi je vous octroie une demi-heure de répit, sortez, précipitez-vous chez les marchands de journaux, achetez chacun une dizaine de revues et revenez les lire ici. Exécution immédiate.

    UNE SEANCE DE LECTURE

    Trente minutes plus tard, nous étions de retour, chacun surchargé d’un énorme paquet de diverses publications. Le Chef nous transmit ses dernières instructions.

    _ Sachez que nous ne faisons que suivre les leçons d’Edgar Allan Poe, un des plus grands esprits de l’Humanité, selon lequel il est inutile de se rendre sur les lieux d’un crime, la cause, et donc la solution, de toute affaire mystérieuse se trouve obligatoirement en dehors de celle-ci, hélas l’on ne peut pas être dans tous les coins du monde, par bonheur il existe des milliers de personnes qui se chargent de cette tâche, ce sont les journalistes sempiternellement à l’affût, ils collationnent tout ce qui leur tombe sous la main, sans réfléchir aux implications de leurs trouvailles qu’ils rangent dans les faits divers, donc lisez attentivement, l’un de vous finira par dénicher un indice qui orientera la suite de notre enquête.

    Pendant près de trois heures l’on aurait entendu une mouche marcher au plafond, la matinée fut studieuse, nous épluchâmes divers périodiques en long en large et en travers, hélas en vain. Sans doute y serions-nous encore si Molossito n’avait poussé un jappement. Nous nous étions immédiatement tous levés, heureux d’échapper à notre fastidieuse corvée pour déverrouiller la porte d’entrée et permettre au chiot d’arroser le gazon, Molossito nous tourna ostensiblement le dos, sauta lestement sur les genoux du Chef occupé à rêvasser sur son Coronado.

    _ Ah ! Ah ! Je subodore que ce jeune voyou a quelque chose à nous montrer, sans quoi il ne brandirait pas si fièrement une revue dans sa gueule, ah ! un choix canin intelligent : Trente millions d’amis, voyons voir, tiens une trace de truffe humide particulièrement baveuse page 33, écoutez-moi le titre de cet article : Le Trublion de la Tour Eiffel enfin arrêté ! Agent Chad voudriez-vous de votre voix mâle et virile nous lire cette prose que je pressens de première importance.

    De ma belle voix de baryton dont les modulations ne sont pas sans produire de délicieux frissons parmi la gent féminine je m’exécutais.

    _ Depuis plusieurs semaines les riverains de la Tour Eiffel avaient noté un changement anormal dans le comportement de leurs toutous chéris. Systématiquement leurs compagnons à quatre pattes se mettaient à aboyer comme des sauvages entre dix-sept et dix-huit-heures. La mairie alertée envoya un spécialiste qui assura que c’était la faute au changement climatique. Cette explication ne convainquit personne. Des citoyens excédés se réunirent et décidèrent de former une milice chargée de quadriller le quartier afin de découvrir l’origine de cette fureur canine. Après une longue enquête le coupable fut repéré. Une espèce de chanteur de rue qui de cinq à six heures du soir venaient chanter ( fort mal ) sous le parvis de la Tour Eiffel. La Mairie prévenue se défaussa de toute responsabilité en arguant de la liberté d’expression artistique qui reconnut-elle pouvait déplaire à certaines personnes et à certains chiens mais à laquelle elle ne saurait s‘imposer au nom des droits fondamentaux et démocratiques qui régissent notre société. Au moment où nous mettons sous presse nous sommes prévenus par un lecteur fidèle que hier soir à dix-huit heures pile un car de policiers procéda à l’arrestation du quidam qui rangeait son matériel. Le prévenu est en garde-à-vue au commissariat du dix-septième arrondissement, nous n’en savons pas plus. Nous espérons que cet abominable malotru qui se livre à des actes de tortures auditives sur de pauvres bêtes innocentes sera déféré au parquet et passera de longues années en prison.

    _ Agent Chad n’avez-vous pas honte, c’est votre chien qui ne sait pas lire qui trouve l’information capitale alors que vous n’avez cessé de regarder les illustrations de la revue pornographique : Gros Nibards et Petits Culs

    _ Oh ! firent les filles

    _ Il est évident que nous devons entrer en contact avec ce Neil Young, il est clair comme de l’eau de roche que l’on a voulu protéger ou mettre au frais ce rigolo, Agent Chad, débrouillez-vous pour vous faire arrêter par la police et rester en garde à vue dans la même cellule que ce gazier, revenez nous rendre compte de ses révélations. Exécution immédiate !

    TRAVAUX D’APPROCHE

    Lecteurs ne tremblez pas, il n’est aucune mission qui ne soit hors de portée d’un agent du SSR. Ma première idée fut de trucider une vielle mémé en pleine rue, d’être ceinturé et livré à la police par deux ou trois citoyens courageux. A la réflexion il n’était pas sûr que je sois emmené au commissariat du dix-septième. Je me devais d’agir avec discernement et subtilité. Rien ne sert de se précipiter. La réussite de toute entreprise tient de l’instant approprié à son déclenchement. En médecine ce principe est assuré par la chronobiologie qui consiste à administrer à un patient le médicament à l’heure à laquelle il lui sera le mieux approprié, les anciens grecs parlaient du kairos, cet instant propice garant de la réussite de votre action. Je passais la journée à me livrer à de menus achats, c’est à trois heures du matin que je sonnais à l’entrée du commissariat du dix-septième arrondissement. Je devais jouer serré, mais j’étais prêt, c’était maintenant ou jamais.

    A trois heures du matin je sonnais donc à la porte du commissariat. J’avais au préalable effectué quelques changements dans ma tenue. Pas grand-chose, j’avais pressé sur mes vêtements les nombreux steacks hachés que je m’étais procurés tout au long de la journée dans diverses boucheries. J’étais couvert de sang des pieds à la tête. Un guichet s’ouvrit, l’œil inquisiteur du préposé à l’accueil ne fut pas sans le remarquer

    _ Holà, Monsieur que vous arrive-t-il, vous avez été renversé par une voiture, je vous ouvre tout de suite !

    _ Merci Monsieur, c’est très gentil, non je n’ai pas été renversé par un chauffard, je viens de tuer ma femme, je ne l’ai pas fait exprès mais elle m’a énervé, elle voulait que je fasse la vaisselle !

    _ Ah, ça ne m’étonne pas, elles deviennent toutes folles ces temps-ci, elles ont de ces prétentions exorbitantes qui dépassent l'imagination, entrez, entrez, je vous prépare une tasse de café pour vous remettre !

    J’étais au cœur de la citadelle, la première partie de ma mission était accomplie. J’étais assez fier de moi, je l’avoue modestement.

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 261 : KR'TNT ! 381 : DEREK TAYLOR / JESUS AND MARY CHAIN / VALERY MEYNADIER / THE WILD ONES / WALTER'S CARABINE / LITTLE RICHARD / ALEISTER CROWLEY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 381

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    05 / 07 / 2018

    DEREK TAYLOR / JESUS AND MARY CHAIN

    VALERY MEYNADIER / THE WILD ONES

    WALTER'S CARABINE / LITTLE RICHARD

    ALEISTER CROWLEY

     

    VACANCES !

    COMME CHAQUE ANNEE LES VALEUREUX ACTIVISTES DE KR'TNT ! PASSENT LEURS MOIS D'ETE DANS LES ÎLES PARADISIAQUES ENTOURES DE SINGES HURLEURS ET DE JEUNES FILLES NUES ( A MOINS QUE CE NE SOIT LE CONTRAIRE ). SOYEZ JALOUX ! TANT PIS POUR VOUS !

    INUTILE DE VOUS SUICIDER, NOUS REVIENDRONS LE 30 AÔUT.

    TÂCHEZ DE SURVIVRE, CROISSEZ ET MULTIPLIEZ-VOUS !

     

    Derek Taylor vaut son 
pesant d’or

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    Vient de reparaître l’As Time Goes By de Derek Taylor, un recueil de mémoires rock qui a pour triple particularité d’être vif, drôle et pour le moins irrévérencieux. Comme l’ouvrage n’est pas gros, il s’avale d’un trait. La vivacité du style confirme ce qu’inspirent les images de Taylor disposées sur la couverture : ce sont celles d’un homme intelligent. Comme le savent tous les physionomistes, les deux choses qu’on remarque immédiatement sur un visage sont l’intelligence et le manque d’intelligence.

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    C’est Paul Myers qui nous met l’eau à la bouche dans un très bel article de six pages paru dans Mojo. La première double nous montre George Harrison assis, grattant sa guitare au milieu d’un attroupement de hippies et on voit Derek Taylor sur la droite de l’image, assistant lui aussi au récital.

    Comme Shel Talmy ou Boss Goodman, Derek Taylor fait partie de ces personnages de second plan qui jouèrent des rôles capitaux dans l’histoire du rock. Il doit principalement sa réputation aux Beatles, dont il fut l’attaché de presse dès 1963. En fait, Paul Myers n’est pas loin de penser que les Beatles lui doivent tout. Myers parle d’une époque où les attachés de presse faisaient la pluie et le beau temps.

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    L’histoire est simple. En 1963, Taylor pige pour un canard de Manchester et quand il voit les Beatles pour la première fois à l’Odéon, il tombe de sa chaise (c’est lui qui le dit) : «Au début des années soixante, je ne voyais pas grand-chose d’intéressant dans la pop, but then came the Beatles to the Odeon Cinema, Manchester in May 1963, and I fell.» L’éloge qu’il écrit dans son canard plaît tellement aux Beatles que Brian Epstein l’engage et pouf, c’est parti ! Taylor devient the Beatles Press Officer. En prime, il réécrit la chronique hebdomadaire de George dans le Daily Express et fait le nègre pour Brian Epstein qui publie son autobio, A Cellarful Of Noise. Taylor admire profondément ces quatre petits mecs qui, comme lui, viennent de nulle part. Et tout particulièrement George : «Cher George. Je n’ai rien à dire de George qui ne soit chaleureux ou affectueux, et même fraternel. Globalement, c’est un saint homme.»

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    Ses mémoires ne fourmillent pas spécialement d’anecdotes. Elles fourmillent plutôt de traits d’esprits - Je ne sais pas ce qui était le pire, être avec les Beatles quand l’horrible pression nous jetait dans les bras de docteurs qui nous prescrivaient des pilules, ou être avec eux quand tout allait bien. Vous savez, certains jours, j’avais la langue sèche et gonflée à force de vouloir expliquer correctement les choses à des journalistes incroyablement stupides, et pourtant, c’était le bon temps, j’avais l’impression de mourir au combat avec mes boots aux pieds - Taylor rappelle que les Beatles ne furent acceptés en Angleterre qu’une fois acceptés aux États-Unis. The long and winding road.

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    Le récit de Taylor s’articule autour de trois périodes : ses débuts Press Officer des Beatles, comme on vient de le voir, puis son départ en 1965 pour la Californie où il va travailler pour des groupes au moins aussi importants que les Beatles, et en 1968, retour à Londres, après la mort de Brian Epstein, pour retravailler avec les Beatles, cette fois au siège d’Apple, à Savile Row.

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    Californie, février 1965. C’est un certain Bob Eubanks qui l’engage pour le compte de sa boîte, Prestige Publicity. Taylor installe sa femme et ses quatre enfants à Los Angeles et commencer à travailler pour la crème de la crème de la scène locale qui est alors en plein boom : Paul Revere & The Raiders, puis Captain Beefheart, les Beau Brummels et pas mal de figures en passe de devenir iconiques. Il admire beaucoup Paul Revere qu’il qualifie de ‘North America, Oregon, answer to Liverpool’. Il affirme que «dans les mid-sixties, Paul Revere fit probablement plus de blé que n’importe quel autre groupe de rock dans le monde.» Au moment où il écrit son texte (1973), il dit que Paul Revere fait toujours autant de blé et que Mark Lindsay chante encore dans le groupe. And I must say, they have my admiration. Voilà, c’est tout le style de Derek Taylor, sharp & funny. L’autre réponse américaine aux Beatles (et à Gerry & The Pacemakers, comme il le rappelle avec un sourire en coin), ce sont les Beau Brummels. Mais un soir, Taylor emmena les Brummels voir un autre groupe qui démarrait, les Byrds, et ça ne plut pas au manager des Brummels qui vira Taylor sur le champ, l’accusant de bouffer à tous les râteliers. Eh oui, les Byrds venaient tout juste d’engager Taylor, comme attaché de presse, car ils avaient le même producteur que Paul Revere, Terry Melcher. Et d’après David Crosby, c’est Taylor qui va fabriquer les Byrds, tout au moins leur image, mais n’est-il pas vrai qu’à l’époque, l’image compte autant que la musique ? - On savait qu’il avait aidé les Beatles à démarrer et il n’est bien sûr pas imaginable que les Byrds aient pu démarrer sans Derek. Il communiqua brillamment pour nous et on avait confiance en lui, car il a toujours été carré avec nous - Taylor positionna en effet les Byrds comme the American Beatles et les accompagna lors de leur tournée anglaise de 1965 pour les présenter à la presse. Taylor fut aussi fasciné par les Byrds qu’il l’avait été par les Beatles - Tous plus charmants les uns que les autres et au moment où vous lirez ces lignes, soyez certain que David Crosby aura été explorer d’autres frontières, toujours plus loin, and like, how far out can you get ? - Et il ajoute plus loin : «Ma femme Joan et moi adorions les Byrds, et rien ne nous touchait plus que le premier line-up des Byrds qui chantait ses hits magiques sur Sunset Boulevard, dans les mid-sixties. Si les Beatles sont à l’origine de tout, les Byrds le sont aussi à leur manière.» Taylor dit aussi que les Byrds étaient le groupe préféré des Beatles.

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    Pendant son séjour hollywoodien, il eut en plus la chance de travailler pour les Beach Boys, grâce à Van Dyke Parks qui fit les présentations. C’est l’âge d’or de Brian Wilson qui enregistre Pet Sounds. Derek Taylor voit immédiatement l’impact visionnaire de cet l’album. Il écrit dans Disc & Music Echo que Brian Wilson est un genius. Plus tard, à la mort de Derek, Brian Wilson dira que Taylor s’était gouré : ce n’était pas lui, Brian Wilson, le genius, mais Derek Taylor. Eh oui, Derek Taylor bâtissait des réputations qui allaient se transformer petit à petit en véritables mythes. Et chaque fois, il s’appuyait uniquement sur la qualité de ce qu’il entendait : Beatles, Byrds, Beach Boys, Beau Brummels, Paul Revere, Captain Beefheart, force est d’admettre qu’il n’y a rien à jeter, chez tous ces gens-là. Quand par exemple il entend «1941» de Nilsson sur son auto-radio, il achète un carton entier de l’album Pandemonium Shadow Show et en envoie des copies à tous ses amis. Aussitôt après, John et Paul prennent contact avec Nilsson pour le féliciter et George l’invite à une fête à Los Angeles. Derek Taylor venait de lancer la carrière d’un autre personnage à dimension iconique. Il est aussi avec Alan Pariser et Ben Shapiro à l’origine du festival de Monterey. Quand Lou Adler entre dans la danse, Shapiro et Pariser sont éjectés.

    Bizarrement, Taylor n’est pas très bien payé, pendant son séjour californien. Lorsque les impôts lui tombent dessus pour un arriéré, ce sont les Beach Boys qui lui filent du blé. Rappelé à Londres par les Beatles, Taylor organise une fête d’adieu au Ciro’s pour financer son voyage. Il invite 500 amis qui payent une entrée de 5.50 $ pour le financement. Tiny Tim, les Byrds et Captain Beefheart jouent à l’œil. Taylor rentre à Londres complètement transformé : «On ne se sentait plus anglais, ce qui était plutôt une bonne chose. On appartenait à une sorte de communauté rock’n’roll, qui n’avait plus rien à voir avec nos origines, mais avec ce qu’on avait dans la tête, comme on disait à l’époque.» Il revient longuement sur ce qu’il appelle the Californian experience, qui pour lui est une expérience unique : «Vous devez juste vous installer là-bas et compter sur votre capacité à vous adapter, à rester vivant et en bon état. Si vous le faites en Californie, alors vous saurez le faire partout ailleurs. Faire quoi ? Tout. Prenons l’exemple des Beach Boys, ils y sont nés, ils y sont devenus célèbres, cinglés, complètement transformés, ils sont un parfait exemple de ce qu’est la California du Sud - incohérente, laxiste, optimiste, vaste, futile et innovante.»

    De 1968 à 1970, il vécut une autre expérience intense, celle d’Apple à Londres. L’argent coulait à flots et les Beatles achetèrent un immeuble à Savile Row pour y installer leur business. Taylor reprit ses fonctions de Press Officer et retrouva de vieux compagnons de route comme Neil Aspinall qui appartenait lui aussi au cercle rapproché depuis les origines. C’est le temps magique du White Album et du dernier concert des Beatles sur le toit de l’immeuble.

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    C’est aussi l’époque ou Allen Klein entre dans la partie, et c’est un peu le cœur du récit. Curieusement, Myers ne fait aucune allusion à l’arrivée de Klein dans cette histoire. A-t-il vraiment lu ce livre ? On se pose la question car à partir d’un moment, Klein dévore tout, dans ce livre.

    Comme Taylor, Boss Goodman et Shel Talmy, Allen Klein fait partie des grands acteurs de second plan de l’histoire du rock, mais pas forcément au bon sens du terme. Klein est un businessman américain qui après avoir géré les affaires de Sam Cooke, prit en mains celles des Stones puis des Beatles. C’est justement Taylor qui favorisa la prise de contact, via Tony Calder. Aucun des quatre Fab Four ne voulait le prendre au téléphone et Taylor parvint à établir un contact entre Klein et John qui après l’avoir rencontré et passé une nuit à bavacher, tomba sous son charme. George et Ringo itou. Mais pas Paul qui ne voulait pas entendre parler de ça. Paul voulait que son beau-père Lee Eastman prenne les affaires des Beatles en main. Mais Klein l’emporta, et Paul quitta les Beatles.

    Pour assainir les affaires de ses clients, Klein commençait par faire le ménage dans le personnel. Il débarqua à Savile Row pour virer les gens. Il arriva un beau jour dans le bureau de Taylor : «Klein came up to see me and said everything was going to be great. Great was a great word in thoses days. Great.» Et pouf, il commence à virer les gens comme des chiens. Méthode de management américaine : on rachète une boîte qui perd de l’argent, on assainit en dégraissant et on revend avec un profit. Klein demande à Neil Aspinall et à Taylor de lui faire des listes, ce qui bien sûr n’est pas possible. Il leur explique alors que les choses pourraient être bien pires - Usually, I come in and fire everybody - Oui d’habitude, il vire tout le monde quand il arrive. Alors virer ou être viré. Pour le pauvre Taylor, le rêve d’Apple se transforme en enfer - The Apple of our dreams was in a hell of a state - Même quand il décrit l’écroulement de ses rêves, Taylor réussit à être drôle.

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    Le pire est à venir avec la parution de l’album Let It Be. Klein fait remixer «The Long And Winding Road» par Phil Spctor qui ajoute des chœurs et des violons. Ça met Paul hors de lui. Comment ose-t-on bricoler sa chanson ? Ça fait rigoler Klein qui fait paraître Winding Road en single. Alors Paul se demande ce qui a déconné dans l’histoire des Beatles qui avaient pourtant tout fait pour protéger leur liberté artistique. Il n’avait plus aucune prise sur ses propres compos - He was wondering what went wrong. I am wondering too. Everyone is wondering. But Klein isn’t wondering. He knows, he knows - Et Taylor ajoute : «Klein is now Mr Big and Apple is an ABKCO (Allen B. Klein & Co, get it ?).» Selon lui, Klein a redressé les comptes, mais il se demande où sont passés Apple et les Beatles - If you find out, let me know - Taylor se sent un peu responsable de cette catastrophe, mais vers la fin du livre, il reconnaît que toute cette histoire dépassait complètement les gens, l’histoire des Beatles n’était pas à taille humaine - too big, too bloody vast for human beings, frail, ill-prepared human beings - et la chute tombe comme un couperet : «The manner of the ending of the Beatles is a shame, a real bummer.» Taylor n’a pas aimé la fin de cette histoire qui devait rester forcément magique. «Pour parler de moi, et c’est la première fois que j’avoue ceci, il est évident que d’avoir travaillé trop longtemps pour les Beatles a fini par tuer ce qu’ils m’avaient apporté au début - une façon de vivre extrêmement intense et de tous les instants - mais j’ai aussi perdu ce que j’avais toujours eu, la capacité de m’amuser (a capacity for fun). Plus rien ne m’amusait, parce que je pensais avoir perdu le droit de m’amuser.»

    Taylor brosse un portrait quasi balzacien de Klein, tout en profondeur : «Je pense que Klein est un homme cruel, mais je pense aussi que je l’aime bien, et je crois qu’il m’aime bien aussi, bien que ni l’un ni l’autre ne sachions au fond ce qui nous pousse l’un vers l’autre. On est loin d’être francs là-dessus. Peut-être chacun de nous est-il terrorisé par l’autre. En tous les cas, je sais que je le suis.» Oui, à sa manière, Allen Klein est un titan et Derek Taylor sait que ce n’est pas son cas. Cette clairvoyance ne fait que grandir les deux personnages.

    Après ce funeste épisode, Taylor passe à autre chose et bosse pour Warner. Il produit des gens comme Nilsson qu’il admire toujours, et s’occupe des Stones, de Viv Stanshall et d’autres gens. Et puis un jour, il croise Allen Klein dans une rue à Londres : «Il me serra dans ses bras et se mit à danser comme un ours autour de moi en disant :’How ya bin’, des trucs dans ce genre. Il me dit aussi qu’il cherchait plus à me revoir que je ne cherchais moi-même à le revoir. ‘True, Allen’, lui répondis-je, ‘mais il y a des périodes où c’est plus facile de vous aimer, comme par exemple en ce moment, Allen.» Vous l’aurez bien compris, ce livre tire sa force du niveau des échanges.

    Signé : Cazengler, Tayl’orbite

    Derek Taylor. As Time Goes By. Faber & Faber 2018

    Paul Myers. King Ink. Mojo # 294 - May 2018

     

    The wind cries Mary Chain - Part Two

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    Deuxième retour des Mary Chain à Paris, après le grand hiatus cubitus, cette fois au Trianon, à deux pas de l’Élysée Montmartre. Cette belle salle offre les mêmes conditions de confort et d’espace, avec en plus les deux étages de balcons rococo qui caractérisent si bien les salles de théâtre bâties au XIXe. L’organisation s’adapte au prestige du groupe : volume ni trop petit ni trop grand, à l’image des Mary Chain qui ne sont ni des stars et qui sont aussi des stars, mais des stars de l’underground britannique, ce qui les sauve. De quoi ? Mais du star system classique qui commercialise tellement les groupes qu’ils en perdent leur âme. Les exemples abondent, il vous suffit de reluquer les couvertures des magazines spécialisés. Les Mary Chain n’ont fait à une époque que des unes intéressantes comme celles du NME qu’on lisait de la première à la dernière ligne chaque semaine, en plus du Melody Maker et de Sounds. On se régalait lorsque Jim et William Reid donnaient une interview. William ne disait connaître que quelques accords dont il ne savait même pas les noms et Jim ajoutait que pour faire du rock, ça ne servait à rien de savoir jouer de la guitare, il suffisait simplement d’avoir un peu d’imagination. Les frères Reid savaient provoquer, avec un panache que tenteront d’égaler les frères Gallagher, mais sans véritablement y parvenir. Liam et Noel ne compenseront leur manque de morgue que par une agressivité verbale qui n’a jamais été égalée depuis. Ils tiraient à boulets rouges sur la concurrence et on se poilait bien, comme lorsqu’on lisait Le Pal de Léon Bloy. Pas de pitié pour les canards boiteux. Comme les frères Reid, les frères Gallagher se moquaient du qu’en dira-t-on comme de l’an quarante. Eh oui, ils avaient les chansons et le son, alors rien ne pouvait les atteindre. Surtout pas les critiques. Il fut un temps où les rockers anglais ne mâchaient pas leurs mots, et ça donnait un sacré jus aux pages de tous ces vieux canards qui semblaient ronronner et qui ne fournissaient plus beaucoup d’efforts, puisqu’ils s’adressaient à ce que les gens du marketing appellent un public captif. Tous les fans de rock lisaient ces trois ‘tabloids’ britanniques chaque semaine, enfin peut-être pas les trois, car les sensibilités rédactionnelles variaient selon le support : Sounds soutenait vaillamment le punk-rock britannique, le Melody cultivait une certaine forme de classicisme pépère et pour assurer sa survie face au Melody, le NME se positionnait toujours en pointe, proposait des articles de fond qu’on conservait (comme on conservait les articles d’Yves Adrien dans R&F) et filtrait les tendances. La chronique la plus importante du NME était probablement On, un quart de page qui présentait chaque semaine un groupe débutant. C’est là qu’on découvrit les Chrome Cranks, par exemple, ou encore Jacob’s Mouse, des groupes qui n’avaient aucune chance d’apparaître ailleurs. Mais une fois apparus dans On, on ne les perdait plus de vue. Ces groupes symbolisaient la relève et quand le mec de On disait sans détours que Peter Aaron chantait comme Iggy, il ferrait l’hameçon. Il ne restait plus qu’à trouver le disque, et à cette époque, c’était extraordinairement compliqué. Les gens ne savent pas la chance qu’ils ont aujourd’hui de pouvoir entrer à n’importe quelle heure du jour et la nuit chez le plus grand disquaire du monde : Discogs. Tu cherches le premier album des Chrome Cranks ? Il est là. Et tous les autres disques de l’histoire du rock aussi. Si on continue d’aller fureter chez les disquaires, ce n’est plus pour dénicher des choses précises, on revient au plaisir de la découverte, comme on l’appelait à une époque.

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    Pas de plaisir de la découverte au Trianon. On a le cirque habituel des roadies qui vérifient cinq ou six fois de suite l’accordage de la basse et des guitares, qui trouvent des pannes de dernière minute sur les micros de la batterie et qui nous font détester encore plus l’attente. C’est comme on dit aujourd’hui d’une pénibilité sans nom. Comme on est arrivé en avance pour choper une place au premier rang, on se bouffe le cirque des roadies dans son intégralité, ainsi que la première partie dont on évitera de parler par charité. Pourquoi le premier rang ? Parce que l’an passé, il y avait trop de brouillard sur scène et on ne voyait rien ou presque. Et celui qui fait tout le spectacle, c’est William Reid, sur la droite de la scène, coincé entre ses deux gros amplis Orange marqués JESUS et ses retours. Même s’il ne bouge pas, il fait le spectacle. William Reid est l’un des guitaristes les plus complets et les plus fascinants d’Angleterre. Comme Chris Spedding, il joue absolument tout non pas en accords, mais en climats, c’est-à-dire qu’il amène du son là où il faut et des thèmes mélodiques pour soutenir de chant de son frangin Jim. Un cut comme «April Skies» qui date très exactement de trente ans a toujours le même pouvoir d’envoûtement. À quelques mètres sur la droite de la barrière, une très belle poule est déjà en transe, elle chante en même temps que Jim, les yeux fermés, et jusqu’à la fin, elle chantera toutes les chansons avec Jim les yeux fermés et les bras en l’air. Des fans de cette classe ajoutent encore à la magie du concert. Chaque fois qu’ils montent sur scène, les Mary Chain provoquent une sorte de commotion intersidérale, un mélange de beauté mélancolique et de violence sonique unique au monde. Jim reste devant, on le sent terriblement timide, il veille à rester fermement inexpressif. Il dit merci en Français et marmonne parfois des choses si bas qu’on ne les entend pas. Mais lorsqu’il chante, il réinstalle les Mary Chain sur leur piédestal. La salle est pleine de gens qui connaissent bien ce piédestal. Évidemment, ils enchaînent avec «Head On», l’un de leurs hits les plus mirifiques, l’un de ceux qu’on jouait à une époque dans un groupe de reprises, mais on préférait la version ultra-explosive des Pixies (tirée de leur meilleur album Trompe Le Monde) à celle des Mary Chain qu’on trouvait trop molle, question tempo. Ce qui fait la grandeur de «Head On», c’est la promesse que nous fait Jim alors que sonne l’apocalypse - Take me down/ To the dirty part of town/ Where all my trouble/ Can’t/ Be/ Found - Et le Found, il faut le cracher, le hurler, car à ce moment-là, le guitariste, que ce soit William Reid ou un autre, part en vrille sur un thème d’une beauté stupéfiante. Et bien sûr, avec «Head On», le fantôme de Jean-Jean surgit, car c’est lui qui nous chantait ça à s’en casser la voix, tout en grattant cette Epiphone rouge dont il était si fier. Jean-Jean, vieux compagnon de route, notamment pour tous ces concerts des Mary Chain qu’on voyait ensemble et qui s’est fait la cerise voici deux ou trois ans, vaincu par une maladie qui ne portait visiblement pas de nom. Mais en studio, il gardait «Head On» pour la fin, car il ne pouvait plus rien chanter après, tellement il en screamait la substantifique moelle. Alors évidemment, ça sonne les cloches d’entendre ce truc au Trianon. On reprenait aussi «Darklands», que les Mary Chain vont jouer un peu avant la fin du set. Jean-Jean vénérait la mélodie de ce cut qu’on jouait très laid-back, évidemment. C’est un morceau de chanteur, bien sûr, mais le travail qu’y faisait William en background était d’une beauté sibylline, tout en mélodie et d’une justesse de goût effarante. Ils vont enfiler les hits comme d’autres enfilent la cousine dans la cuisine, des trucs du style «Snakedriver» et «Teenage Lust» qui roulent comme autant de pierres blanches dans le jardin du rock anglais, ces choses du temps d’avant qu’on considérait comme de très haute importance, comme la perfection du sonic boom, refuge et oxygène à la fois, modèle et orgasme. Tout le son des Mary Chain passait par l’épiderme et par la cervelle en même temps. C’est tellement rare qu’il n’est pas inutile de le souligner.

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    Et quand ils tapent dans le vieux «Some Candy Talking», la poule aux yeux fermés sur la droite commence à basculer dans le soufisme. Elle n’a pas la place de bouger, car les premiers rangs sont devenus des rangs de sardines en boîte avec des mecs qui sautent et qui envoient de méchants coups dans le dos. On fait ouch toutes les deux minutes. On pensait que le concert allait être calme et puis non, au contraire, dès que William envoie la purée, ça pogote dans la boîte à sardines et quelques débuts de shootes éclatent ça et là. Impossible de rester dans la musique, le chaos règne. Et pourtant William Reid cultive le chaos, on devrait trouver ça logique, mais les coups dans le dos sont d’une violence qui oblige à réagir, et pour ceux qui sont habitués aux gigues de fosse, c’est un classique. Le problème, c’est que tous ces mecs-là n’écoutent pas la musique. Ils ne se défoncent pas pour écouter la musique et entrer dans l’univers du groupe qu’ils vont voir, ils se défoncent pour autre chose. La musique des Mary Chain ne semble pas faite pour ce type de chaos, comme l’est le punk-rock, par exemple. Au temps de l’âge d’or du punk-rock londonien, il n’était pas question d’aller devant. Surtout que le fait d’être français se voyait comme le nez au milieu de la figure. Et aussitôt après ce havre de paix qu’est «Darklands», William met en route cette apocalypse notoire qu’on appelle «Reverence» et qui reste l’un des cuts les plus violents de leur répertoire. Jim y va franco de port à coups d’I wanna die just like Jesus Christ et une sorte de tornade sonico-déflagratoire s’abat sur le pauvre Trianon, quelque chose de l’ordre du surnaturel, et le plancher se met une fois de plus à onduler. On a cette fois l’impression très nette qu’il va céder et qu’on va tous descendre d’un étage. William Reid sait lever des ouragans, d’ailleurs c’est tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il retrouve sa carrure de wizard of sound. Il est l’un des derniers survivants de cette caste du guitaristes qui savaient créer leur monde. Il joue avec une concentration de tous les instants et veille à ce que le monde s’écroule avec lui. Tant de pouvoir dans les mains d’un petit branleur écossais, quelle indécence ! Et pourtant c’est exactement le spectacle qu’il nous offre, sous son énorme tignasse blanchie. Ces mecs vieillissent (et nous aussi), mais leur sonic trash ne prend pas une ride. En rappel, ils vont taper dans une nouvelle série de cuts de non retour, du genre «Just Like Honey», qui reste la pop-song parfaite d’antan, et le «Cracking Up» qui annonça leur retour en 1998, quand on n’espérait plus rien d’eux. Fantastique morceau monté sur un riff tarabiscoté imaginé par William Reid et qu’on écoutait à l’époque sur le parking, en attendant que le studio de répète soit libre. Ils bouclent ce voyage à travers le temps avec leur cut le plus dévastateur, le plus ultime, «I Hate Rock’n’Roll» et là, baby blue, tout bascule dans le gouffre de Padirac.

    Signé : Cazengler, Mary Chiant

    Jesus & Mary Chain. Le Trianon. Paris XVIIIe. 27 juin 2018

    *

    Tout près de Beaubourg. Mais pas au centre-cul. Quoique, si l'on réfléchit à la valeur sémantique des mots que l'on récuse, l'on soit toujours au plus près de l'objet du délit, celui de la plus haute vertu selon Maurice Scève. Un lieu inhabituel pour les rockers, le local LGBT. Lesbiennes, Gays, Bi, Trans, je traduis pour ceux qui auraient des doutes sur la signification des initiales, n'ayez pas peur, toute sexualité est équivoque, puisqu'elle met en cause au moins deux fragmentations du réel, vous-mêmes et votre désir. Oui je suis en danger, mais divin, puisque ce soir Valéry Meynadier lit quelques extraits de son livre Divin Danger.

    28 / 06 / 2018

    CENTRE LGBT / PARIS

    VALERY MEYNADIER

    + MARIE COLETTE NEWMAN

    Petite salle du bas, au bout d'un escalier hélicoïdal, public essentiellement féminin, car la performance s'inscrit dans les les festivités préparatoires au Salon du Livre Lesbien à la Mairie du Troisième Arrondissement de 14 à 18 heures, le samedi 7 juillet 2018.

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    Silence. Toutes deux sont assises. Valery Meynadier le visage retranché dans le rideau de sa chevelure noire, le corps à moitié voilé par le ruissellement de cette longue chevelure - telle une toge de prêtresse antique - qui une fois debout tombe en cascade, très bas, bien en-dessous de ses genoux. Marie Colette Newman, carrure d'homme transgressive, penchée sur sa guitare basse électrique dont la forme et la décoration ne sont pas sans évoquer une mandorle vénitienne. La diseuse de bonnes aventures se lève et sépare les serpents de ses cheveux, les tient dans sa main, les exhausse tels des boas sacrés – ceux qui dormaient dans la couche d'Olympias la mère d'Alexandre – elle profère les litanies succulentes du plaisir saphique, et Marie Colette entremêle les mots de ses cordes, elle suit les flexibles inflexions de la voix, sait se faire caresse, tendre insinuation, intumescence de clitoris, et vaporisations implosives, car les vocables de Valéry Ménadier se dressent droits d'ardeurs et d'impudeurs tel le reflet tranchant de la vitre du désir transparent de l'autre, ils chantent les chaudes chattes de femelles énamourées, toi brulante, émois sans atours, la langue cherche ton sexe comme la courbure du bateau appelle l'effusion de la mer chavirante. Les lèvres se livrent et le livre s'élève en cette lente gesticulation du corps de l'officiante. Deux coques de chair s'entrechoquent en offertoire, Valéry lit, du bout de la langue, elle susurre et murmure, ses gestes délivrent le dire de l'appel exaucé, la foule, à sa bouche allaitée d'écume, boit ses paroles d'un miel bourdonnant d'Hymette lesbienne, et suit des yeux la lente danse sacrale de son corps de femme, qui ondoie et ondule, gracieux, gracile, qui raconte les jouissives rencontres décisives, l'entremêlement charnellement gordien que tout effort de séparation resserre plus qu'il ne défait. Statue de foudre mobile, transformée en incarnation de la Grande Déesse, celle qui préside aux grandes étreintes comme aux arrachements les plus cruels, elle est, et la poétesse, et la lyre modulée, qui chante dès que le vent de l'attirance effleure et effeuille ses nerfs de vulves vives et frémissantes. Elle ne prend le micro que pour confier encore plus bas les secrets inexpiables des joies les plus païennes. Elle préfère parler à voix nue, espiègle et piégeuse, dans le rire de l'innocence et de l'offrande. Colombe qui roucoule les passions les plus enivrantes ou qui scande les dandinements orphiques de l'appel à l'orgasme du chant et des chairs tendues à en mourir. La guitare de Marie Colette se tait à l'unisson de la voix de Valéry Maynadier. Elles nous laissent, désireux, fiévreux, inassouvis. Tout est dit. Surtout et avant tout le non-dit. Silence et applaudissements nourris.

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    ECHANGES

    D'autres lectures suivront. Agréables à écouter, sereinement servies par quatre lectrices. Un mise en scène qui suscite l'intérêt, mais ces textes de prose - empruntés à des autrices, elles dédicaceront leurs ouvrages au Salon du Livre Lesbien, à féminiser je préfèrerais auteures, qui présente davantage de hauteur - relatent des expériences diverses, toutefois ces récits romanesques ne bénéficient pas des densités poétiques de Valéry Meynadier. Plus que le sujet, en littérature c'est l'altitude d'écriture qui établit les différences. Le style fait l'homme disait Buffon, l'a oublié de rajouter, la femme aussi.

    La soirée se termine devant les petits fours. L'occasion de faire de belles rencontres. Valéry Meynadier a raison, le danger est partout.

    Damie Chad.

     

    29 / 06 / 2018 - TROYES

    3B

    THE WILD ONES

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    Un peu d'équipée sauvage ne messied pas aux rockers, justement ce soir les Wild Ones, venus à Troyes spécialement de Belgique, la teuf-teuf ronronne. Ronchonne aussi. Taxes sur les Harley-Davidson, taxes sur le beurre de cacahuète, décidément l'on en veut à la gent rockine, et la prochaine fois faudra se contenter d'un pépère quatre-vingt kilomètres heure pour se rendre aux 3B. A se sentir pousser une âme de complotiste paranoïaque. En plus la fidèle monture est obligée d'emprunter un sens interdit et de brûler un feu rouge pour éviter les travaux qui encombrent la rue du 3B. Mais rien ne saurait arrêter un rocker en quête de concert.

    Chaleur écrasante, les vitres du 3 B sont largement ouvertes. Pas un souffle d'air. Pas grave, ce soir c'est du lourd, Béatrice la patronne m'assure que la balance a été explosive.

    THE WILD ONES

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    Difficile à admettre mais c'est comme ça. Les Wild Ones ont inventé la machine à remonter le rock'n'roll. Quatre sur scène, et c'est parti pour le grand voyage. Ne sont pas pressés, simplement la pulsation originelle, nous la font entendre longtemps, le temps de descendre le Mississippi et de nous promener dans les quartiers interlopes de la New Orleans. Jack O Ronnie est à la double bass, c'est lui qui pulse, qui jazze, un cœur noir qui bat infiniment, quelque chose qui est là depuis le début, une vibration primordiale, un battement incessant d'ailes de corbeau noir, celui qui s'en vint rendre visite à Edgar Poe pour lui signifier l'infinie déréliction d'exister dans le bonheur de vivre sur cette terre, et de l'autre côté Big Brett roucoule, tout doux, l'eau qui coule sous la proue du show-boat qui remonte le courant, l'harmonica sans fin, qui ne s'impose pas, mais qui se révèle indispensable, entre deux eaux, poisson pilote qui n'en guide pas moins et accompagne le navire vers les quais aventureux. Entre les deux, Tony La Monica, à la guitare, dans le sillage, l'on ne l'entend pas mais l'on n'écoute que lui, cette manière de passer les riffs lof sur lof, en douce, l'air de rien, mais toute la manœuvre sur ses doigts experts. Le quatrième, l'ont surnommé Skinny, vraisemblablement parce qu'il n'a jamais eu peur que le ciel lui tombe sur la tête, alors il vous le fracasse à chaque seconde sur ses peaux. Un halètement tonitruant, des saccades d'étambot qui permettent de frôler les incidences du rivage, de flirter au plus près de tous les naufrages, en les évitant toujours. Si loin du rockabilly étiqueté pure america, dans la feu souterrain de ce que Rimbaud appelait la folie nègre. Ce premier morceau à considérer comme une ouverture musicale d'opéra.

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    Et le rideau noir du fond se déchire violemment, l'homme-léopard apparaît soudainement, personne ne l'attendait, mais le voici, sous sa casquette, Wild One Dee plante sa longue silhouette devant le micro, derrière lui les portières claquent et la chevrolet démarre. De ma vie je n'ai jamais entendu Maybelline malmenée de cette manière. Même le vieux Chuck n'a jamais osé, l'avait carrossée et maquillée le gamin de Saint-Louis de façon à la rendre appétissante pour les blancs adorateurs de country, mais les Wild Ones l'ont repeinte en noir, une fleur purpurale et vénéneuse, le fluide du beat par-dessous et cet étirement indolent des lyrics, z'avez l'impression qu'ils l'ont rallongé de quinze mètres, vous ne voyez qu'elle dans les rues, elle rafle tous les regards, l'harmonica de Brett imite les engouements du carburateur, Jack freine le riff à tous les coins d'avenue, Skinny écrase mollement quelques cops au passage, et la ballade se poursuit follement, vous vous précipitez aux croisements pour l'applaudir, et Dee l'en a plein la bouche, mééé-beu-lii-neu, fait durer le plaisir, Jolly Jumper le cheval fou de Lucky Luke en train de se débattre avec un chewing gum à la noix de coco, jamais une fille n'a mis aussi longtemps pour se déshabiller avant de vous rejoindre dans le lit, oui mais après le goût de la sueur sous votre langue, délectable, inimitable.

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    Dites rockabilly, les Wild Ones rigolent, vous répondent rock'n'roll, sans frontières, sans clôtures barbelés, sans idées fixes, sans étoiles jaunes, sont pour les melting-pots explosifs et partagés, les tumulus de grandes jouissances, précisez root-rock ou rockin-blues, ils s'en fichent, s'affichent rythm'n'blues, and blues. D'ailleurs la lune s'obscurcit, c'est l'heure où les loups sortent du bois et hurlent à l'astre séléniquement blafard. Dee se métamorphose, n'est plus qu'un garou, s'avance vers vous, dressé sur ses pattes-arrière, l'esprit vaudou s'empare de lui, l'a le regard vicieux, l'est le loup méchant, celui de votre enfance qui va vous croquer fissa le petit chaperon rouge ( qui n'en demandait pas tant ) et le voici maintenant dans la maison des sept petits chevreaux, les avale tous, à pleines dents, jusqu'au tout petit, le dernier, l'innocent qui s'était caché dans l'horloge, Dee vous le bouffe aussi avec le cadran et le balancier en prime. Brett hulule sur son harmo, Jack vous a de ces enjambées chaloupées sur sa big mama, Skinny vous démolit tout ce qui passe à sa portée, vous casse le bois et la baraque, et Tony explose sa Fender, vous vrille les riffs, vous perfore les intestins et vous les dévide en un tour de main, à tout seigneur tout honneur, Howlin'Wolf, le chamanique, est de retour et le combo mène la harde au grand galop. Le public embraye d'instinct, non ce n'est pas l'accompagnement musical pour un documentaire sur les chihuahuas, mais une séquence de la Horde Sauvage de Peckinpah.

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    Le blues dans tous ses états. La maladie bleue qui ne se soigne pas. Vous le confirment aussitôt avec I Don't Need No Doctor de Nick AshFord le truc qui vous nique le trou de l'ass très fort et vous le réduit en cendres. Pour vous dire que c'est chaud brûlant. Les Wild Ones ont une spécialité quand ils jouent un morceau. Original ou reprise. D'abord c'est comme tous les bons groupes, mettent du cœur à l'ouvrage, vous sortent un truc impeccable, léché, fouillé, sans défaut, envoyé derrière le mur du son, une petite merveille. Voilà, c'est fini, pesé, emballé, livré avec les compliments de l'entreprise. Remboursé si vous trouvez mieux ailleurs. Et vous êtes comme l'idiot du village, le crétin de service, l'imbécile heureux qui croit avoir trouvé le nirvana. Avec votre bonne foi de débile congénital, vous vous préparez à applaudir des deux mains. Le plouc qui s'en va remercier la cuisinière pour les gâteaux d'apéritif au glyphosate qu'elle a achetés au supermarché. Donc au prochain concert des Wild Ones ne passez pas pour un péquenot. Retenez bien ceci, quand ils ont terminé le titre, ce n'est pas fini. Vous ont envoyé au tapis, les dents éparpillés sur le ring, vous ne savez plus qui vous êtes, vous ont montré la Sainte Vierge toute nue, et bien non, ce n'est que le début, vous croyez stupidement qu'ils vont passer au morceau suivant puisqu'ils ont donné la version définitive de celui que vous venez d'écouter, et bien non, ce n'était que la mise en bouche, une intro, car brutalement tout s'accélère et vous vous apercevez que le film possède une deuxième séquence projectile, là où tous les autres vous passent le générique de fin, eux ils embrayent sur la dernière ligne droite, une chevauchée de trois cents kilomètres, encore plus sauvage que tout ce qui a précédé. Vous terminent en beauté, à la Jayne Mansfield, encastré sous le pare-buffle du poids-lourd, vous en sortez décapité, mais heureux.

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    Trois sets de fous. Royaux. Et vous n'avez encore rien vu, Jack qui se saisit de son archet pour faire longuement gémir sa big mama au godemiché, elle n'en peut plus, elle rêve qu'elle joue dans un quatuor à cordes, qu'elle est la reine du super orchestre symphonique de Salzbourg, l'en devient folle, danseuse étoile et grande gigue de la sarabande des yatagans ensanglantés, Brett et son coffre au trésor d'harmonicas inépuisables, glousse comme la poule rousse que l'on poursuit pour la trucider pour le rituel vaudou, glougloute sans fin telle une voie d'eau boueuse qui s'infiltre dans la coque du bateau, un naufrageur, qui allume des feux sur le rivage pour vous tromper, vous le savez mais vous ne pouvez pas vous empêcher de vous déchirer les oreilles sur ces récifs tentateurs. Skinny qui vous tape sur le système, un forgeron de génie qui vous fout martel en tête, le genre de gars qui vous détruit la maison et vous sortez en courant pour mieux l'admirer, Tony qui vous fait flamboyer sa Fender comme un oriflamme, dans la mêlée vous vous fixez sur elle et vous savez que vous êtes sur le sentier qui mène droit au jardin des délices, ou des supplices, mais cela n'a plus d'importance, Dee est au vocal, chante autant avec son corps d'homme-panthère qu'avec sa voix. Ce sont tous les mystères du rock'n'roll qui transitent par son gosier, les marécages du blues, les grandes plaines, les rapides du rock, les pistes cahoteuses du boogie, les clandés et les jukes joints, les bouges et la sorcellerie animale des peaux-rouges, ça foisonne comme les feuillets d'herbe bleue des poèmes de Walt Whitman, O Captain, O my Captain !

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    Un concert ? Non un régal. Merci à Fabien pour le son impeccable, et à Béatrice la patronne, pour cet inestimable présent des Wild Ones.

    Damie Chad.

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    ( Photos : FB Béatrice Berlot sauf première qui ne correspond pas au concert au 3B,

    prise sur le FB : The Wild Ones )

    TEARS, TOIL, SWEAT & BLOOD

    WALTER'S CARABINE

     

    Marius Duflot : basse, vocal / Foucaud de Kergolav : guitare, harmonica / Joe Ilhareguy : drums.

    Réalisation : Vince Pozadski /

    Studio Swampland de Lo Spider : Toulouse.

    Octobre 2017.

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    Devil's Door : tapotements initiaux, ceux qui viennent de loin lorsque vous collez l'oreille sur le rail pour savoir si le train arrive. Ne tarde pas à débouler et à vous trancher la tête. Ne le regrettez pas, tout de suite après c'est la cavalerie Comanche qui vous passe sur le corps, enfin un western musical dont vous êtes le héros. Hélas les meilleurs aventures ont une fin et le film s'arrête brusquement. Mais quel ravissement, jamais entendu un groupe valser avec un tel son, tout est bon, les guitares, la voix, le rythme, un monde en trois minutes, la vie, la mort et la transfiguration. Dummies : ont compris votre déception, ce coup-ci vous en donnent pour votre argent, une séquence de treize minutes, des rebondissements toutes les trente secondes, des brisures rythmiques à vous étirer les os, un batteur qui vous découpe les côtes à coups de cymbales, de la grandiloquence, des arrêts sur image, des travelling furieux, vous voici seul désespéré et une tintinnabulisation de grincements s'en vient vous entraîner dans une danse de saint-guy souterraine qui jaillit brusquement comme un geyser d'eau brûlante dans le désert. Dommage que vous soyez obligé de marcher pieds nus sur le sol infesté de serpents venimeux, prennent un malin plaisir à s'enrouler autour de vos jambes alors que le reptile de l'angoisse s'installe dans votre cerveau. N'aviez jamais cru que le temps pourrait durer aussi longtemps, et c'est encore pire lorsque tout s'accélère, une chose est sûre, cette terre ne vous offrira jamais le bonheur de vivre, vous aimeriez que votre âme s'envole vers les étoiles mais le ciel est aussi noir que le couvercle d'un cercueil. Le seul avantage, c'est que vous n'avez pas le temps de vous ennuyer, n'auriez jamais deviné que vous prendriez autant de plaisir à agoniser. Soyez positif, le tempo s'accélère, vous courez et escaladez la dernière dune de sable. Ne vous dirai pas ce que vous trouvez derrière. Erarserhead : de la douceur dans ce monde de brutes, le rythme est bon mais sont-ils vraiment obligés de psalmodier une prière pour votre enterrement. Cette voix qui vous arrache la langue et cette musique de coups de marteaux sur les articulations de vos genoux, vous essayez de leur échapper mais la poursuite s'annonce impitoyable. En plus vous êtes du mauvais côté, le dos collé au mur des fusillés. Eclats de rire pour ne pas pleurer. Glory : ça tire dans tous les sens, une véritable fête, vous vous remuez comme sur le dance-floor. N'oubliez pas que l'on achève même les chevaux fous. Vous ne vous serez jamais autant amusé. Rugissements d'enthousiasmes souverains. Hell Hill : la même chose qu'au précédent mais à la puissance mille, jerk tous azimuts, une espèce de brouhaha de voix métaphysiques vous enveloppe et les guitares vous surfilent votre linceul à toute vitesse. Une véritable feria mexicaine. Ce peuple n'a jamais su se tenir. Lover Lover : l'amour ne sera jamais une consolation tout au plus un delirium tremens qui vous fait perdre le son des réalités. Ça saute et ça tressaute comme si vous découpiez les pointillés du charivari à la dynamite. Time to ignition : souffle le vent du désert, le tambour des sables vous poursuit et la voix vous prend en chasse. Mais qu'avez-vous fait au bon dieu pour être victime d'une telle lapidation, le cauchemar ne s'est jamais arrêté mais ça repart encore plus fort et plus speedé, sont à vos trousses, un conseil, ne comptez que sur un miracle, sont déjà en train de commander le champagne pour fêter dignement votre trépas. Vous feront brûler à petit feu. Par pure bonté, pour que vous n'ayez pas froid, et maintenant ils hurlent autour de vous comme des chacals affamés. Train : déchirure d'harmonica, la station n'est plus très loin, essayez de la rejoindre avant que le train ne s'y arrête, z'avez intérêt à vous manier car le convoi arrive à toute blinde, les bielles s'emballent, et personne n'a envie de vous attendre. Poussent même le vice jusqu'à accélérer le shuffle. Les sept dernières minutes de votre existence, trop tard vous marchez sur les traverses tout essoufflé, l'on vous crie de vous dépêcher, le train repart doucement. Mais sûrement. Vous restez sur le quai, vos rêves s'évanouissent, mais où donc avez-vous laissé votre tête ?

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    Vous ressortez de cet album en piteux état, mais vous n'avez plus qu'une idée, vous précipiter au guichet pour refaire le voyage. Une unité sonique sans égale. N'ont pas additionné au hasard et à la la queue-le-leu leurs huit nouvelles compos. Z'ont d'abord créé, un son, une atmosphère, une idée, un désir, un labyrinthe, une chimère, vous rentrez dans le disque pour n'en ressortir qu'une fois que vous l'avez parcouru en entier. Rien à sauter, rien à jeter. L'est des livres fascinants dont vous lisez toutes les pages, les Walter's Carabine, une fois qu'ils vous ont mis en joue, c'est comme le gang de Jesse James, c'est jusqu'au bout et jusqu'à la mort. Un véritable album avec sa couleur unique, qui n'appartient qu'à lui, comme très peu de groupes français savent en produire. Un truc qui peut rivaliser sans crainte avec moult ovnis venus d'outre-Manche ou d'outre-Atlantique. Carton plein.

    Damie Chad.

     

    BIG BEAT

    N° 30 / Juillet 2018

    LITTLE RICHARD

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    Pour son trentième numéro Big Beat frappe un grand coup. Rappelons que le N° 1 de cette revue parut au mois de juin 1969, Jerry Lee Lewis en couverture. En 1982 la revue s'arrêtait, mais les combattants de la première heure ne cessèrent pas le combat. En 2008 naissait le blog Roll Call visité par les Cats de tous les pays notamment des USA qui venaient y chercher des documents qu'ils ne trouvaient pas chez eux. Cette mine d'or à ciel ouvert disparut en 2016 malgré les lettres de protestation envoyées à Google - Kr'tnt s'était fait à l'époque le relais de la campagne de protestation restée sans effet et sans réponse - mais dès septembre 2016 Alain Mallaret, impénitent activiste rock, redonnait vie à Big Beat sous forme digitale numérisée, disponible gratuitement sur Calaméo. Nous vous avons déjà entretenu de quelques numéros précédents mais celui-ci dû aux plumes d'AlainMallaret et Pierre Penonne se révèle d'une lecture indispensable.

    Little Richard en couverture... et dans tout le reste du numéro. Au demeurant fort épais pour employer un adjectif qui conviendrait mieux à une revue papier. Rien ne vous empêche d'ailleurs de le tirer sur votre imprimante... De nombreuses belles photos certes mais elles n'occupent qu'une toute petite partie de l'ensemble dévolu au texte. Avec ce bémol grimaçant, le français n'apparaît qu'épisodiquement, l'anglais prime, mais rassurons-nous il s'agit d'une langue simple qui délaisse ces tournures idiomatiques qui rendent si malaisée la lecture de nombreux livres et articles rédigés par des autochtones.

    Alain Mallaret et Pierre Penonne ont agi en archivistes méthodistes. Ont adopté l'ordre chronologique pour présenter la biographie de Little Richard. Ce qui n'exclut pas les petits recoins spécialisés. Compilent les faits et les dates. Situent brièvement les divers personnages – musiciens, chanteurs, producteurs - rencontrés par Little Richard, s'attardent sur les sessions d'enregistrement et les sorties de disques. Les colonnes regorgent de renseignements précis et indispensables pour qui veut se faire une idée de la carrière de Little Richard. Quelques anecdotes mais pas d'analyses musicales ni de perspectives générales qui mettraient en relation l'œuvre du Petit Richard avec l'ensemble de la musique de son temps.

    Cette somme amène des précisions indispensables pour les tout premiers enregistrements de l'artiste, de même tout ce qui concerne la période gospel, sur laquelle on ne s'attarde guère d'habitude, est passée au crible, les addictions de l'idole à différents produits ne sont pas passées pudiquement sous silence, et puis peut-être le plus intéressant l'on côtoie le King du rock'n'roll de beaucoup plus près lors d'une de ses tournées européennes - tous les concerts soir après soir - et sa venue en Suisse avec rencontres personnelles et discussions conviviales.

    Plusieurs heures de lecture sont nécessaires pour écluser cette somme richardienne. Plus ce bonus inestimable, d'en ressortir en ayant la sensation d'être plus riche et plus savant qu'avant. Un bel hommage rendu à un des deux plus grands pionniers encore vivants. Et ce plaisir d'entrevoir Cosimo Matassa, Odetta, Roy Brown...

    Damie Chad.

     

    LE DIT DE RODIN

    ALEISTER CROWLEY

    ( L'ARACHNOÏDE / 2018 )

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    Le rock a toujours éprouvé quelques sympathies envers le côté obscur de la force, selon une ontologie occultiste cette musique peut être classée en tant que démarche initiatique de la main gauche. Vous savez celle des agissements dont il vaut mieux que la dextre reste ignorante... Cette attirance vient de loin, de l'origine, le blues ne pourrait-il pas être entrevu comme une sécularisation des cérémonies et rites vaudou ? Lorsque le sang bleu du red rooster a été récupéré par une jeunesse blanche d'un niveau culturel plus élevé – ce qui n'exclut en rien une certaine et clinquante superficialité - elle s'est trouvée des intercesseurs un peu moins primitifs, rehaussés d'un plumage, et d'un ramage, théoriques plus étendus. Anton Szandor Lavey et Aleister Crowley en furent les deux personnalités élues les plus saillantes, encore que Lavey et Crowley ne participent pas d'une démarche identique. Crowley se prévalant d'une plus grande expérimentation.

    Mais ici il s'agit d'un des textes de la toute fin de ce que l'on pourrait appeler le premier Crowley, celui qui n'a pas encore atteint la véritable plénitude de sa dimension magicke. Son recueil le Rodin In Rime reste encore tributaire des influences mythographiques de l'Ariel Shelleyen et des Phares Baudelairiens, le poëte entrevu en tant que démiurge capable d'avoir par ses proférations une influence, une action efficiente, sur le monde.

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    Rien de plus dissemblable que les personnalités de Crowley et Rodin, mais la rencontre eut lieu. Et Rodin ne fut pas le moins intéressé. Crowley lui offrit - ce que les musiciens se permettaient en mettant en musique les vers des poëtes – mais selon une synesthésie plus rare, transmuter en vers les sculptures. Réduire le volume, en lignes. Vénus callipyge transformée en traits de lettres. Rodin désignait le lieu, Crowley écrivit la formule. Du coup Auguste donna plusieurs de ses dessins pour illustrer quelque peu la forme des vers. Orgueil Crowleyen. Rodin et le dieu de la Bible avaient eu besoin de glaise pour pétrir le corps de l'homme et de la femme. Crowley n'eut la nécessité que de quelques gouttes d'encre. Crowley renversait les tables de la loi, Qui peut le moins, peut le plus. Inversion des valeurs avait annoncé Nietzsche. Rien à voir à voir avec la qualité qui primerait sur la quantité. Plutôt la force magicke, la volonté d'abstraire l'esprit de l'argile terrestre. Rodin arrachait le mouvement, au marbre et au métal, Crowley tatoue d'étranges rituels d'exhaussement de la chair humaine. Dans les deux cas il ne s'agissait pas de donner vie à la matière inerte mais de la reprendre. Ce qu'un Dieu a fait, l'artiste peut le défaire. Il s'agit de savoir regarder et de savoir lire. Ce qui n'est pas donné à tout le monde.

    Vous avez de la chance. Philippe Pissier s'est chargé de traduire le Rodin in Rime de Crowley, une translation scrpituraire, en Le Dit de Rodin, qui d'autre que lui aurait pu se charger de ciseler ce travail d'orfèvre ! L'a déjà donné, en douce et docte langue françoise, la traduction la plus exacte de la plupart des traités les plus importants de la Bête. N'oubliez jamais que la robe d'écarlate de la prostituée de l'Apocalypse et la pourpre impérieuse de la plus haute poésie, sont toutes d'eux, une seule et même couleur, initiatique et alchimique.

    Un livre qui ne manquera pas d'interroger les amateurs de rock. Car cette musique est avant tout affaire de sens et de volume. Et de puissance.

    Damie Chad.

    Elégant volume de 158 pages disponible aux Editions de l'Arachnoïde, www.arachno.org, et dans toutes les bonnes librairies. 21 Euros. Le Dit de Rodin avec sept lithographies de Clot d'après les aquarelles d'Auguste Rodin. Traduction française de Philippe Pissier agrémentée de quatre appendices de documents rares et inédits, et précédée de 49 Toasts pour un siècle qui s'éloigne, d'André Murcie ( aka Damie Chad ).

    Lecture indispensable pour tous les fans de Led Zeppelin et de metal.